Le 15 Mars 2OO5 représentait un tournant important dans l’histoire des luttes sociales au Niger en contexte démocratique. Un puissant mouvement social s’est constitué, expression d’un ras-le-bol populaire, fruit d’une longue maturation, et puisant dans la riche tradition des luttes démocratiques inaugurées par la conférence nationale. Un an plus tard, l’on s’interroge encore sur la signification et la portée de cette mobilisation citoyenne qui a soulevé l’enthousiasme de tous les démocrates et progressistes de par le monde et sur laquelle de nombreux espoirs ont été placés. Aura-t-elle tenu toutes ses promesses ?
Un contexte très particulier
L’année 2005 coïncide avec la réélection d’un régime dont le mandat précédent a été marqué par l’incurie, une gestion prédatrice sans précédent de l’État telle qu’illustrée par les scandales régulièrement rapportés par la presse, un développement de la corruption qui a valu à notre pays d’être classé dans le peloton de tête des pays les plus corrompus selon l’organisation Transparency International et une indifférence criminelle à l’égard des problèmes qui assaillent les classes populaires et la nation en général.
Au plan économique, ce second mandat du Président Tandja intervient après la mise en œuvre laborieuse d’un programme dit de réduction de la pauvreté (PAS) signé avec les institutions financières internationales et dont les effets sur les secteurs sociaux, l’éducation et la santé en particulier, sont des plus désastreux. A cela s’ajoute une famine qui affecte gravement plus du tiers de la population consécutivement à la mauvaise pluviométrie et à la mauvaise gestion des stocks de sécurité alimentaire. Dans le domaine social l’année 2005 clôture un quinquennat de luttes citoyennes menées par les structures de la société civile, centrées principalement autour de la défense des services publiques, et largement médiatisées par la presse privée. Ces grandes mobilisations, rendues possibles par le contexte de paupérisation accentuée dans lequel les politiques néolibérales ont plongé l’écrasante majorité des nigériens, ont souvent été le théâtre d’une convergence avec les partis politiques de l’opposition..
La signification profonde du mouvement du 15 mars
En s’élevant contre le train de mesures fiscales contenues dans la loi de finances rectificative, retirées pour des raisons électoralistes du corpus des mesures adoptées quelques semaines auparavant par le parlement en session ordinaire, les organisations de la société civiles étaient loin d’imaginer à quel point elles exprimaient le sentiment général.
Plus que l’institution d’une TVA sur les produits de consommation courante (farine de blé, sucre, lait et eau à partir d’un certain seuil) dont l’effet sur le coût de la vie est très évident, c’est d’abord le cynisme et l’indifférence à la détresse des plus démunis qui ont le plus choqué les citoyens. Sentiment d’autant plus justifié au regard des avantages en tout genre que les classes au pouvoir s’octroient régulièrement.
Le peuple, en participant aux manifestations de la société civile, entendait manifester sa colère et son indignation face à un régime, certes légitimé par les urnes il y a à peine un mois, mais en lequel il ne se reconnaît plus. Il entendait par là même rappeler aux hommes politiques que leur raison d’être est de proposer des solutions concrètes aux problèmes de la nation et non constituer un problème pour la nation.
C’est une exigence de changement de cap, de prise en compte de ses préoccupations qui est véritablement exprimée par le peuple. C’est un appel à redéfinir les bases du rapport entre gouvernants et gouvernés et une exigence de changement de mode de gestion de l’État, de démocratisation des rapports sociaux, qui constituent l’enjeu véritable.
Atouts et faiblesses de la mobilisation citoyenne de mars 2005
En contraignant le gouvernement à rapporter les mesures fiscales objet de la contestation sociale, la société civile a enregistré une grande victoire d’autant plus éclatante que le pouvoir a paru déterminé à ne pas céder, mettant en avant qu’il est tenu par ses engagements au sein de l’UEMOA.
Une autre victoire a résidé dans l’ampleur de la mobilisation et à la composition de la base sociale du mouvement. En effet les manifestants de Mars 2005 appartenaient aux couches et classes sociales populaires dans leur majorité et se recrutent à la fois dans la majorité au pouvoir comme à l’opposition lorsqu’ils revendiquent une affiliation politique. Ils sont des dizaines voire des centaines de milliers de femmes et d’hommes, de jeunes et de vieux à répondre spontanément et de manière désintéressée à l’appel de la société civile. Une diversification des formes de luttes est apparue, de nouveaux canaux de communication sont employés qui laissent une place importante à l’initiative locale et favorisent une mobilisation de proximité tranchant avec les méthodes bureaucratiques si souvent observées en de telles circonstances. Autant d’atouts qui forcent l’admiration et qui autorisent tous les espoirs sur l’issue du mouvement.
Il est cependant indéniable que de nombreuses faiblesses sont apparues dont certaines, très importantes, marqueront durablement le mouvement social si des mesures correctrices ne sont pas apportées.
En premier lieu, il s’agit de l’appréciation erronée de la signification de la mobilisation populaire et des attentes profondes des nigériens. Si l’institution de la TVA a soulevé des foules comme jamais auparavant, il n’en demeure pas moins que le peuple aspirait véritablement à un changement. Peu importe qu’il ne puisse pas donner un nom et un contenu précis à ce changement. S’en tenir, dans les négociations avec le gouvernement, aux revendications relatives aux mesures fiscales n’est pas la réponse appropriée à ce mouvement. L’exemple de la mobilisation consécutive à la répression de la manifestation estudiantine du 9 Février 1990, qui a débouché sur l’exigence d’une démocratisation de la société, doit être une source d’inspiration.
Deuxièmement, tout au long des manifestations, il n’y a pas eu d’efforts pour organiser, certaines couches populaires qui n’émargent pas habituellement dans les structures associatives. De même, la direction du mouvement ne s’est pas attelé à le structurer à responsabiliser les différentes structures parties prenantes à différents niveaux, préférant diriger comme à l’accoutumée et concentrer toutes les responsabilités entre leurs mains avec tous les risques de flottements en cas de répression. Ce qui a limité le contact des dirigeants de leurs organisations respectives.
Enfin des attitudes sectaires, le refus de prendre en compte la diversité et la pluralité du mouvement ainsi qu’une absence de gestion consensuelle du mouvement a fait apparaître de profondes divergences au sein des dirigeants et entre structures qui ont affecté la cohésion relative qui a prévalu jusque-là.
Quelles perspectives ?
Les faiblesses stigmatisées plus haut témoignent manifestement de l’absence de perspectives progressistes chez bon nombre des animateurs du mouvement. De telles grandes mobilisations populaires permettent une transformation du rapport des forces avec le pouvoir même momentanément. Elles ne se produisent pas quotidiennement et sont de ce fait des occasions de revanche pour les forces sociales.
En effet, de nombreuses luttes ont été menées ces dernières années sans pour autant parvenir à faire fléchir le gouvernement. La mobilisation actuelle représente une opportunité pour inscrire de nombreux points à l’agenda des négociations.
En outre, il faut en avoir une claire conscience, tout acquis arraché dans cette lutte est provisoire. Le gouvernement reviendra à la charge dès que les conditions le permettront, dès que le rapport des forces l’autorisera. Seule une transformation radicale des structures socio-économiques et politiques peut permettre de résoudre durablement les problèmes auxquels est confronté le mouvement social.
Cette faiblesse n’est pas spécifique au seul mouvement social. L’activisme déployé par l’opposition parlementaire pour aider le gouvernement à se tirer d’affaire, à sortir de l’impasse en circonscrivant les négociations à la recherche de sources alternatives de recettes fiscales ; témoigne de l’absence d’une véritable alternative à la régression sociale actuelle et à l’ordre néocolonial en place.
C’est donc la construction de cette alternative, et dans cette optique la définition d’un nouveau lien entre mouvement social et mouvement politique, qui est le véritable elle défi à relever par les acteurs du mouvement social.