En janvier 1997, CAOVA a apporté son témoignage et livré plusieurs documents sur l’affaire Eternit à la Polizia Giudiziaria de Turin qui l’avait convoqué. Ces informations, CAOVA les tenait de ses archives conservées depuis 1982, des témoignages recueillis auprès de victimes ou de leurs proches en Suisse et surtout grâce au dépouillement des documents d’Eternit, notamment de son journal d’entreprise pour les fabriques de Niederurnen (canton de Glaris) et de Payerne (canton de Vaud). Cette lecture a permis d’identifier plus de 6000 travailleurs d’Eternit Suisse et par conséquent d’établir des statistiques fiables sur leur origine, leur état de santé, leur occupation, etc. En effet, ces informations, comme tant d’autres, sont tenues secrètes par la multinationale Eternit dont un journaliste avait dit que c’était « la plus secrète au monde ».
Le 24 mai 2010, l’expert de CAOVA a été cité à témoigner par le Ministère public au Palais de Justice de Turin. Les questions du Procureur ont porté sur les pratiques industrielles d’Eternit, soit la protection de la santé des travailleurs, l’information sur les risques de l’amiante, le tonnage d’amiante utilisé au cours des années, la connaissance des risques par la direction d’Eternit. Il a été demandé au témoin que toutes les informations qu’il apporterait soient datées avec précision. En effet, la chronologie de ces données est essentielle pour déterminer la responsabilité des inculpés, Stephan Schmidheiny et Jean-Louis de Cartier de Marchienne, responsables d’Eternit Italie.
Voici le condensé approximatif des sujets abordés lors de l’audition et des réponses aux questions posées par le substitut du procureur Raffaele Guariniello :
I. A propos de la pratique productiviste d’Eternit
Vu l’impact et le nombre de publications scientifiques concernant le risque de maladies dont les cancers pulmonaires chez les personnes qui inhalent de l’amiante et la légitime curiosité d’Eternit exploitante, transformatrice et distributrice d’amiante, il ne subsiste plus le moindre doute sur la connaissance de ces risques par la direction d’Eternit et ceci depuis 1950 au moins, année où la relation entre cancer pulmonaire et amiante fut incontestable.
Cependant, vers 1962 les risques d’asbestose, de plaques pleurales et de cancer pulmonaire se sont accrus dramatiquement par la confirmation que l’amiante produisait une autre maladie, le mésothéliome, soit d’un cancer de la plèvre, du péritoine ou du péricarde. L’évidence de la relation entre mésothéliome et inhalation d’amiante est alors reconnue universellement.
Ce cancer, aucunement lié au tabagisme, est incurable, mais ne se manifestait que plusieurs décennies après l’exposition. Ses nombreuses victimes, retraitées pour la plupart, ont pu être dissimulées aux statisticiens et aux médias, tout comme les victimes de cancers pulmonaires qui pouvaient être attribués au tabagisme, y compris passif.
Face à la suite des découvertes sur la nocivité de l’amiante, cette fibre est dès lors considérée comme une substance toxique et cancérigène. Ainsi, Eternit est confronté à l’alternative suivante, soit supprimer immédiatement l’amiante de ses produits - ce qu’elle fera sans peine dès 1980 - soit prioriser les bénéfices que lui apportent le tandem amiante et ciment, en niant et relativisant ses risques par tous les moyens et le plus longtemps possible.
C’est cette orientation qu’a choisie la multinationale Eternit dès la moitié du siècle passé ce qui lui a permis d’en prolonger l’extraction, la fabrication et la vente d’amiante-ciment durant près d’un demi-siècle avant son interdiction. Le rendement exceptionnel du marché de l’amiante-ciment, qui a rendu milliardaires les deux frères Schmidheiny [Stephan et Thomas], l’un fournissant l’amiante, l’autre le ciment, peut expliquer l’acharnement de ces frères à poursuivre coûte que coûte leur affaire.
Non seulement Eternit a continué à diffuser sa production, mais elle l’a considérablement accrue, comme si, prévoyant la fin de l’amiante-ciment, elle voulait en profiter au maximum. En Suisse, berceau d’Eternit, la production a été doublée de 1962 à 1994. Qui plus est, Eternit n’a pas hésité à ouvrir de nouvelles fabriques d’amiante-ciment, dans les pays pauvres notamment. Ce choix coupable a eu pour conséquence une explosion du nombre de victimes de l’amiante dans les régions du monde où Eternit s’est implanté. Cette « catastrophe sanitaire » qui est loin d’être éradiquée, a été occultée pourtant pendant de longues années jusqu’à ce que les cancers de la plèvre et des poumons des salariés d’Eternit décédés soient comptabilisés, ce que CAOVA a tenté de faire faute d’études officielles.
Les historiens expliqueront peut-être une fois comment une poignée de chefs d’entreprise a pu exploiter, transformer et mettre sur le marché son cancérigène et ceci dans des régimes démocratiques, dans des États censés protéger la santé de ses populations et ceci sous la houlette d’organisations internationales telles que l’OIT ou et l’OMS censés défendre, respectivement, les conditions de travail et la prévention de la santé.
II. Comment exploiter l’amiante le plus longtemps possible
Pour poursuivre pendant des décennies son marché, malgré les risques avoués et la multiplication du nombre de malades et de décès comme suite à une exposition à l’amiante, Eternit a construit un arsenal médiatique pour se protéger des scientifiques, des médias, des élus et de l’opinion publique.
Quant aux salariés d’Eternit, point de craintes pour leur employeur. Ils sont sous contrôle étroit d’une direction paternaliste brandissant le « bâton » du licenciement, de la dénonciation, de la rétrogradation de son poste et la « carotte » d’une hypothétique promotion, d’une participation à l’innovation, à l’équipe sportive maison ou à l’organisation des festivités… Les médias ne se risquent plus à approcher les portails des fabriques et les syndicats indépendants finissent par baisser les bras face à des travailleurs leurrés par les harangues paternalistes. Les organisations de défense des travailleurs sont espionnées et les syndicats sont proscrits. Par exemple, on a su par les lettres confidentielles de Stephan Schmidheiny à son complice italien Luigi Giannitrapani avec quelle ardeur il fit la chasse au syndicaliste Charles Levinson [qui dirgea de 1964 à 1983 l’International Chemical, Energy and General Workers’ Federation, sise à Genève] qui voulait protéger la santé des travailleurs. L’organisation des travailleurs et les menaces d’interdiction de l’amiante ont été le cauchemar des frères Schmidheiny.
Seuls des naïfs croient encore à la transparence de la multinationale Eternit. En fait, elle a toujours menti et pour que ces mensonges restent secrets, elle fonctionnait avec une double organisation : l’une secrète et l’autre officielle.
C’est ainsi que Stephan Schmidheiny contrôlait SPA (Italie). Stephan avait un « complice » dans le conseil d’administration : Monsieur Luigi Giannitrapani, administrateur-délégué d’Eternit à Gênes, auquel il écrivait des lettres secrètes, non pas concernant l’administration courante de l’entreprise, mais, sur les questions essentielles de l’avenir de l’entreprise. C’est ainsi qu’il s’inquiète des conséquences de l’interdiction de l’amiante en Suède, de la mobilisation des travailleurs italiens prévue en 1978 qui auraient été informés par Monsieur Levinson, organisateur de réunions syndicales portant ombrage à Eternit et sur la grève de travailleurs d’Eternit ayant eu lieu en Turquie. Une nombreuse correspondance entre Stephan Schmidheiny et son complice a été retrouvée par hasard dans une usine italienne.
C’est donc face à l’opinion publique, les entrepreneurs consommateurs d’amiante-ciment, les décideurs que sont les architectes et les ingénieurs, face aux administrations publiques, gros consommateurs de produits Eternit que la multinationale va dresser son arsenal défensif. Cette guerre pour le maintien de l’amiante-ciment durera en Europe des années 1950-60 à 1980-90. Mais elle se poursuit et s’intensifie ailleurs. Voici l’inventaire des armes défensives utilisées successivement par Eternit.
« L’amiante peut être utilisé sans risques »
La première arme utilisée est de propager l’idée que l’amiante peut être utilisé sans risques moyennant certaines mesures de sécurité dont le nettoyage des lieux de travail, la ventilation des postes à risque, l’utilisation de nouveaux outils de travail de l’amiante-ciment susceptibles de disperser moins de fibres, etc. L’arme de “l’usage contrôlé de l’amiante”, a été inventée par son principal exportateur et promoteur, le Quebec. Ce fut le premier mensonge qu’ils propagèrent lors des conférences sur l’amiante du BIT (Bureau International du travail], le second étant que les fibres de substitution seraient plus dangereuses encore…
Pourtant, une simple observation des mines d’amiante, des fabriques d’amiante-ciment, des chantiers où il était manipulé suffisait à dénoncer l’illusion d’un “usage contrôlé”. Comment peut-on contrôler les invisibles et inodores nuages omniprésents de fibres microscopiques ? Face à ce discours lénifiant, les toxicologues ont immédiatement répliqué : “la seule précaution est l’interdiction”.
« Il suffit d’être en dessous d’une concentration maximum »
Pour prétendre que l’amiante pouvait être utilisé de façon sûre, Eternit a exploité les prétendues mesures de concentration d’amiante sur le lieu de travail. Un certain nombre de fibres par volume d’air ne devait pas être dépassé. Ces concentrations maximales admissibles n’ont cessé d’être révisées à la baisse au point que l’on a fini par affirmer qu’il n’y avait pas de seuil minimum : « Une seule fibre d’amiante inhalée peut provoquer un cancer » .
À cet effet Eternit a créé son secteur Amiantus, censé réduire les risques sanitaires sur les lieux de travail. Les mesures de concentration d’amiante faites par Amiantus se sont avérées totalement inutilisables.
Cette parade d’Eternit souffrait d’une série de défauts qui ont curieusement « échappé » aux institutions de santé publique.
– Amiantus n’était pas neutre comme doit l’être tout expert affecté à la protection de la santé publique.
– Les rares mesures effectuées dans les usines suisses n’étaient que ponctuelles et locales. La pratique des mesurages enseigne que les concentrations d’amiante varient continuellement d’un moment et d’un lieu à l’autre. Les “bouffées” d’amiante sont fréquentes, imprévisibles et souvent inexplicables.
– L’exposition des travailleurs ne se limitait pas au poste de travail. Leur habitat pouvait être tout aussi dangereux, pour eux et leur famille. En effet pendant longtemps les vêtements de travail pleins d’amiante, les chutes et sacs d’amiante, offerts généreusement par l’employeur, propageaient les fibres hors de l’usine. La proportion de mésothéliomes par exposition domestique, environnementale et paraprofessionnelle est considérable.
– Pour mesurer les doses d’amiante inhalées par les travailleurs il aurait fallu qu’ils portent en permanence un masque respiratoire muni d’un détecteur de particules du type FAM (Fibrus aerosol monitor). Mais non seulement ce genre de dosimètre de fibres d’amiante n’existe pas, mais il aurait été impossible à porter : un tel harnachement rendant impossible toute activité laborieuse. À la différence de l’exposition aux radiations nucléaires dont la dose reçue peut être enregistrée par un dosimètre individuel, porté par chaque travailleur, dans le cas de l’amiante, cette dosimétrie s’avère illusoire.
– Ainsi, les soit-disant mesures de concentration de fibres dans l’air respirable, inhalées par le personnel – y compris celles que nous avons effectuées à Eternit Payerne – sont inutilisables faute d’être faites en continu, en de nombreux points de l’usine et y compris à la cantine, au café et aux domiciles des travailleurs.
– Même au cas ou ces mesures auraient été faites correctement, les taux mesurés, biens qu’ils fussent inférieurs au normes étaient probablement susceptibles de provoquer des cancers. Comme on le disait dans les milieux scientifiques, dans le cas de l’amiante il n’y a pas de valeurs limites.
– Notons enfin qu’Eternit en mettant sur le marché un produit dangereux devait s’assurer que ses utilisateurs ne soient pas menacés. C’était le cas des consommateurs de bacs, caissettes, sièges, vasques en amiante-ciment, des personnes habitant un lieu muni d’amiante-ciment, des écoliers dans baraquements provisoires et évidemment de toute profession – bâtiment et génie civil en particulier – où le produit est élaboré.
« L’amiante est irremplaçable »
La deuxième arme utilisée par Eternit consistait à prétendre que l’amiante, “fibre magique” était irremplaçable.
La liste des fibres de remplacement fut publiée vers 1970-80. Du sisal-ciment était déjà produit par Eternit en Amérique Centrale. De plus, à cette affirmation fallacieuse, les constructeurs pouvaient répondre que l’amiante-ciment, cassant, non recyclable et dévoreur d’énergie grise, n’avait pas nécessairement à être remplacé. Eternit a dû reconnaître l’inanité de son slogan lorsque ses produits sans amiante se sont avérés bien meilleurs que les précédents. Reste que des doutes subsistent sur l’opportunité écologique de fabriquer du fibre-ciment.
« Le remplacement de l’amiante sera laborieux »
Une autre arme consistait à propager l’idée que face aux risques de l’amiante, il était nécessaire de trouver des fibres de substitution mais que cela prendrait beaucoup de temps. Cette soit-disant recherche de fibres alternatives (dites “nouvelles technologies” ou NT) a permis à la multinationale de prolonger encore l’usage de l’amiante pendant une dizaine d’années.
L’amiante a effectivement des propriétés particulières. C’est d’ailleurs le cas de tous les matériaux ! Prétendre chercher des fibres l’amiante qui ne le serait pas relève de la pure duperie. Cette nonchalance à trouver des fibres de substitution était en plus justifiée par le fait qu’elles pourraient être plus toxiques encore que l’amiante !
« Quoiqu’interdit, l’amiante ne peut être abandonné »
Lors de l’interdiction de l’amiante par l’État suisse à la fin 1989, Eternit a prétendu qu’il ne pourrait pas s’en passer.
Il a ainsi été autorisé par l’État à transgresser l’interdiction et poursuivre son usage pendant quatre ans. Mais cette dérogation en a appelé d’autres et l’amiante est encore utilisé en Suisse en 2010 par plusieurs entreprises dont l’activité reste confidentielle.
« Ce sont les flocages à l’amiante qui sont dangereux »
Si les risques de cancers de l’amiante sont prouvés scientifiquement dès les années 50, la découverte de ces risques par la population des pays industrialisés francophones ne commence que dès les années 70. Ce sont les alertes d’Amisol, de Ferrodo, de l’université de Jussieu qui déclencheront les campagnes d’information sur les dangers de l’amiante, occultés pendant si longtemps tant par les pouvoirs publics que privés. La lente sensibilisation des populations sur les risques des flocages a été utilisée par Eternit pour prolonger sa production. Son argument d’alors était que non seulement Eternit ne faisait pas de flocages d’amiante pur mais que son amiante étant pris dans du ciment ne présentait pas de danger. Ce nouveau mensonge coupable a une fois de plus dû être contredit par les scientifiques.
Eternit utilisant la quasi-totalité de l’amiante importé, les flocages aussi dangereux fussent-ils étaient réduits. Si l’on comptait en Suisse 4′000 bâtiments floqués, les bâtiments pourvus d’Eternit, de Pical ou de Gea se comptent par centaines de milliers. De plus, si les travaux de flocage étaient extrêmement dangereux, ils étaient limités en nombre alors que l’usinage de l’amiante-ciment provoquant la dispersion des fibres se faisait sur pratiquement tous les chantiers du bâtiment et du génie-civil.
Enfin, il y a été démontré que si les fibres à l’intérieur des plaques d’Eternit étaient effectivement noyées dans le ciment, celles en surface, visibles ne l’étant nullement et pouvaient se disperser dans l’air respirable par le moindre frottement ou érosion. Notons enfin que bien que les statisticiens soient muets sur ces questions cruciales, la majorité des victimes de cancers de l’amiante ont travaillé l’amiante-ciment plus que tout autre produit amianté.
III. La fausse liquidation de l’amiante-ciment
Comme à son habitude, forcé à liquider l’amiante, Eternit a privilégié ses intérêts financiers aux intérêts de la collectivité. Cette démission face aux dégâts causés par la multinationale est typique des pollueurs non payeurs. Mais dans le cas d’Eternit, ce n’est pas seulement la pollution de ses sites industriels, de ses usines, des cours d’eau, des décharges de déchets d’amiante-ciment mais la contamination de dizaines de centaines de milliers de salariés tous menacés de mort prématurée. Sa seule prévention a consisté à prévenir une perte de ses profits.
1° Sauver l’affaire, la marque et les profits…
L’arsenal de tromperies qui permettaient à Eternit de prolonger son commerce s’épuisant sous les coups des scandales, le remplacement de l’amiante – nommée pompeusement « Nouvelle Technologie » (NT) – s’imposa. Face à la mobilisation des syndicats et le battage des médias informés par quelques scientifiques engagés, Eternit devait à tout prix sortir de l’impasse.
Sa priorité a été de sauver sa marque de fabrique, ses usines, ses centres de distribution et son personnel. A cet effet, après avoir créé Amiantus pour faire le ménage dans la production d’amiante-ciment, elle fonda Amindus pour préparer sa substitution en “fibres-ciment”. La nécessité d’engager un processus de substitution fut décrite non pas comme l’échec de l’amiante-ciment mais comme la volonté de l’entreprise d’innover pour mieux vendre.
De fait, cette soit-disant NT était une ancienne recette qu’Eternit avait jadis discréditée. Des matériaux en fibres-ciment constitués de ciment et de cellulose étaient fabriqués en Suisse bien avant qu’ils ne soient absorbés et supprimés par Eternit. De plus, des NT existaient bien avant que Eternit ne veuille les remplacer : les matériaux de couverture opaque ou transparente, les bacs, les conduites en matière plastique légères et recyclables, des feuilles métalliques ondulées ou nervurées thermolaquées, les verres émaillés détrônaient l’Eternit bien avant qu’il ne fût « NT ».
Le marché d’Eternit se réduisait non seulement parce que l’amiante l’avait discrédité, mais parce que le ciment micro armé, quel qu’en soient les fibres, était dépassé par les verres, les plastiques, les métaux, tous recyclables, certains plus résistants, plus légers, plus durables…
Il est fort probable que Stephan Schmidheiny ait pris conscience du double échec de l’amiante et du ciment micro armé. Ce sont probablement ces échecs qui le décidèrent à démissionner de la multinationale Eternit pour en fonder une nouvelle “écologique”, fondée sur d’autres ressources “prometteuses” que l’amiante, telles l’eau, les forêts, les bois exotiques, les produits agricoles, les énergies renouvelables, les œuvres d’art…
2° Négliger les pollutions par l’amiante-ciment
En un siècle en Europe et pendant des décennies ailleurs, Eternit a dispersé des montagnes d’amiante dans les villes et les campagnes sous forme de plaques dures et de cartons friables. La première mesure que devait prendre Eternit était de “rappeler” ces produits aux usines pour être retraités comme le fait tout fabricant d’un produit dangereux ou défectueux. Une fraction des milliards accumulés indûment par la famille Schmidheiny depuis les années ‘50 devait être mise à profit pour financer le démontage, évacuation et décontamination des toitures et façades en AC, le désamiantage des constructions, le remplacement de l’Eternit, du Pical, du Gea, etc. et l’élimination des déchets. Or non seulement rien n’a été fait mais Eternit continue à laisser entendre que ses produits amiantés sont inoffensifs !
3° Abandonner les contaminés, les malades et les morts…
La démission d’Eternit face à ses victimes a été qualifiée de “non-assistance à personne en danger”. Tous les travailleurs d’Eternit dans le monde, y compris sa direction et le propre Stephan Schmidheiny, ont de l’amiante dans les voies respiratoires. Ils sont par conséquent en danger et devaient impérativement être informés des risques et suivis médicalement. Or Eternit n’en a rien fait. Alors que la multinationale détient les dossiers personnels et médicaux de chacun de ses employés dans le monde, aucun n’a été informé des risques pendant son emploi qu’après. Sa seule “contribution” a été de promettre une indemnisation en cas de maladie ou de décès… à condition que la victime et ses proches renoncent à saisir la justice.
4) Le rôle déterminant de Stephan Schmidheiny
Directeur de la multinationale entre 1975 et 1990, il a joué un rôle crucial au cours de la période comprise entre la connaissance des risques de l’amiante et son abandon. Il détenait toutes les informations et les moyens humains et technologiques pour abandonner l’amiante dont il avoue en connaître les risques mortels depuis 1965.
Sous la direction de S. Schmidheiny. plus de 1/3 de tout l’amiante importé est entré en Suisse. Les flocages à l’amiante ayant cessé dès 1973, il est plus que probable que ce tonnage l’a été pour Eternit.
Pour se débarrasser de la mauvaise publicité du mortel amiante-ciment, et de la sienne propre, Stephan Schmidheiny a démissionné en 1990 et “vend” Eternit à son frère Thomas qui la “revend” à son tour en 2003. Cela dit, quelques que soit le nom de l’entreprise et de son propriétaire, l’empire Eternit reste ce qu’il a été depuis 1920 : mêmes secrets, mêmes trucages, même cupidité.
Il n’en reste pas moins que même au cas où l’amiante des Schmidheiny avait été éliminé de ses fabriques, ses bâtiments, des décharges sauvages, il demeure dans les poumons de dizaines de milliers de personnes qui en mourront inévitablement. C’est la raison pour laquelle la catastrophe provoquée par Eternit est loin d’être dépassée.
François Iselin
CAOVA,
4 juin 2010