Tokyo Correspondance
Malgré sa promesse électorale, malgré les manifestations populaires, le premier ministre japonais, Yukio Hatoyama, a annoncé, mardi 4 mai, en marge d’une visite sur l’île d’Okinawa, qu’il renonçait à transférer la base américaine de Futenma. Controversées, ces installations militaires sont omniprésentes dans la vie de la préfecture la plus méridionale du Japon. Si elles suscitent de vifs débats politiques, elles jouent en revanche un rôle important dans l’économie de ce petit archipel qui abrite 50 % des forces américaines au Japon. Si bien que l’opposition à cette présence, peu goûtée au quotidien, ne fait pas l’unanimité.
La patronne de l’unique salon de coiffure d’Henoko, hameau voisin de la base de Camp Schwab, l’explique : « De cœur, nous avons envie que les Américains partent. Mais il faut bien vivre. » Les Américains génèrent une activité économique équivalente à 5 % du produit intérieur brut (PIB) de la préfecture, proche de 4 600 milliards de yens (37 milliards d’euros), contre 15,6 % au moment de la restitution d’Okinawa au Japon en 1972.
Le tissu économique local reste lié aux bases, ce que regrette Hiromori Maedomari, éditorialiste du quotidien local Ryukyu Shimpo. Il écrivait en février que leur installation avait « obligé nombre d’agriculteurs à abandonner leur terre pour travailler dans la construction ». La forte présence des soldats a également favorisé le développement d’activités de plaisir et « empêché l’émergence d’une économie saine et autonome ».
Beaucoup de tenanciers de bars aux façades décrépies vivent encore dans le mythe de l’« âge d’or » de la présence américaine, au temps de la guerre du Vietnam, quand les GIs dépensaient leurs dollars pour oublier l’instant d’aller au front.
La dépendance à la présence américaine ne se limite pas à cela. Pour les habitants de Ginowan, la base de Futenma, construite à la fin de la guerre sur des terrains pris à la population et qui occupe 25 % de la surface de la ville, est un facteur d’insécurité et de pollution sonore. Mais une partie d’entre eux s’inquiète. La base emploie 200 résidents et les 3 000 propriétaires qui ont perdu leur terrain touchent d’importantes subventions, en moyenne deux millions de yens (16 000 euros) par an.
Existence sous perfusion
Les bases américaines d’Okinawa emploient 8 000 habitants. « Leur présence est synonyme de subventions importantes, ajoute le maître de karaté Isamu Arakaki. Sans ces aides, pas d’infrastructures. » Les subsides octroyés par Tokyo permettent des investissements qui génèrent près de 40 % du PIB local. Okinawa pourrait difficilement s’en passer. La préfecture reste la plus pauvre du Japon, avec un revenu qui atteint 70 % de la moyenne nationale et un taux de chômage deux fois supérieur.
Cette existence sous perfusion ne plaît pourtant guère dans une préfecture qui n’oublie pas son passé d’avant l’annexion par le Japon en 1879, quand elle était le royaume des Ryukyus. Les responsables locaux ont également conscience de l’état dégradé des finances publiques nippones. En quête d’autonomie, ils favorisent de nouvelles activités en profitant de la situation du territoire, proche de Tokyo, Shanghaï, Taipeh et Séoul.
A commencer par le tourisme (10 % du PIB). Okinawa accueille 5,6 millions de touristes par an, dont 95 % de Japonais. L’objectif est d’augmenter le nombre d’étrangers et d’inciter les Japonais à y séjourner plus longtemps. « Nous encourageons la construction de centres touristiques, en misant sur l’originalité de la culture locale », explique un cadre de la préfecture.
Autre axe de développement, l’industrie, encore peu présente. Okinawa table sur l’unique zone économique spéciale du Japon, le complexe du port de Nakagusuku, et sur les avantages fiscaux qui lui ont déjà permis d’attirer des groupes comme Sharp ou Fujitsu. Des efforts ciblent également les biotechnologies et l’agroalimentaire. La préfecture souhaite relancer l’activité agricole, qui fit sa richesse.
Le tout pour plus d’autonomie économique et pour limiter la dépendance vis-à-vis des bases américaines, qui devraient pourtant rester. Malgré sa volonté affichée d’émancipation, Tokyo n’a en effet aucune intention de porter atteinte à l’alliance de sécurité conclue avec Washington.
Philippe Mesmer