Il y avait le « hobo » du début du XXe siècle, cette figure américaine mythique du vagabond travailleur, se déplaçant dans les trains de marchandise au gré des opportunités d’emploi. Il y a désormais le journalier, recruté sur le marché noir du travail ou inscrit dans des agences spécialisées.
C’est ce versant institutionnel que Sébastien Chauvin a choisi de décortiquer. De ses deux ans d’« observation participante » dans des agences de travail journalier de Chicago et leurs usines clientes, le sociologue tire un portrait en actes et une réflexion sur le « précariat ».
Ni agences d’intérim, ni bureaux de placement, ni officines pour main-d’œuvre haut de gamme, ces agences de « day labor », qui prospèrent depuis 1990, fournissent des travailleurs déqualifiés à l’industrie légère, et des emplois aux inemployables.
Pour les « sous-prolétaires noirs », touchés par une « incarcération de masse », l’agence permet de contourner les services de ressources humaines. De plus en plus leur sont d’ailleurs préférés les sans-papiers hispaniques. L’agence joue ici une « fonction assurantielle » : elle dédouane les entreprises de la responsabilité d’employer des illégaux.
Pour échapper à l’instabilité, la fidélisation est au cœur des stratégies des acteurs. Pour l’agence, il s’agit de s’assurer un stock de main-d’œuvre en récompensant les réguliers. Pour les journaliers, il faut s’attirer la bienveillance du dispatcheur pour obtenir un « ticket ». Ou construire dans une même usine une carrière de « permatemps », temporaires permanents qui peuvent conquérir augmentations salariales, congés, responsabilités, etc.
A la merci des faveurs - au lieu de droits - accordées par l’agence ou l’entreprise, le journalier est contraint à la fidélité, et donc à l’immobilité. L’emploi devient une récompense, dans une dynamique paternaliste. La flexibilité tant vantée n’est, pour Sébastien Chauvin, qu’une forme de reprise du contrôle des salariés mobiles. Et l’agence de travail journalier américaine n’est qu’une loupe grossissante de phénomènes existants aussi en France.
Elodie Auffray
* Les Agences de la précarité : journaliers à Chicago, par Sébastien Chauvin, Seuil, 339 pages, 22 euros.