I. Le cadre du débat
Soulignons tout d’abord cinq points qui servent de cadre à ce rapport.
1. Il a originellement été conçu comme un élément de la discussion sur la situation mondiale, et non pas comme un point « en soi » dans l’ordre du jour de cette réunion. En effet, la situation internationale a été marquée par la succession, sur un an, du tsunami dans l’océan Indien, de Katrina à la Nouvelle Orléans puis du tremblement de terre au Cachemire et Pakistan. L’impact de ces catastrophes est tel que c’est devenu un fait politique qui mérite d’être traité comme tel. D’autant plus que se posent des questions d’orientation liées à un champ d’intervention militante.
Il est assez inhabituel d’introduire une telle question dans le cadre d’une discussion sur la situation mondiale. Mais c’est une bonne innovation. Cela permet notamment de réfléchir à chaud sur la base d’actions effectives. Cela contribue aussi à intégrer « l’écologique » comme une composante d’une réflexion d’ordre général (et non pas comme un chapitre artificiellement « ajouté » à un ordre du jour traditionnel).
2. J’utilise ici le terme de « catastrophes naturelles » sans préjuger de leurs origines (naturelles ou humaines). Cela me paraît légitime, ce sont en effet des catastrophes qui se produisent sous l’impact d’éléments naturels (tremblements de terres, inondations, etc.) et c’est ce qui fait leur spécificité. De la même façon, on peut parler de crises sanitaires sans préjuger de leurs origines (qui peuvent être aussi 100 % humaines : voir la maladie de la vache folle).
Sur l’origine des catastrophes naturelles, on peut au moins discuter de trois cas de figure :
– Une origine 100 % naturelle. C’est généralement le cas des tremblements de terre. Je veux bien concevoir que le déclenchement d’un tremblement de terre donné puisse être précipité par une action humaine (explosion souterraine ?). Mais ni le marxiste le plus vulgaire ni le marxiste le plus subtil n’ont démontré que le capitalisme mondialisé influait sur la tectonique des plaques...
– Une origine 100 % humaine. C’est par exemple le cas d’inondations destructives (elles peuvent faire des milliers de morts) provoquées par la déforestation de versants montagneux.
– Une origine mixte - ou une origine humaine indirecte. C’est ici que je serais tenté de placer Katrina en fonction de l’hypothèse selon laquelle le dérèglement climatique provoqué par les gaz à effets de serre commence déjà à faire ses effets sur la fréquence et la violence des ouragans tropicaux.
3. Peut-on discuter ensemble des divers types de catastrophes naturelles, quelles que soient leurs origines ? Dans une certaine mesure au moins, je le crois car elles soulèvent beaucoup de problèmes politiques similaires. Le tsunami, Katrina et le tremblement de terre au Cachemire sont réunis ici de façon accidentelle, parce qu’ils se sont produits récemment et font l’actualité. Ils opèrent sur des plans très différents : impact d’un tremblement de terre sous-marin sur la surface des océans et les zones côtières ; formation des ouragans tropicaux ; tremblement de terre en pays montagneux. Mais tous soulèvent des problèmes socio-politiques communs (même si d’autres ne le sont pas) et impliquent des tâches en partie communes.
4. A ce thème général des catastrophes naturelles s’ajoute, dans cette discussion, un point spécifique concernant le climat. Comme les camarades britanniques l’ont souligné à juste titre, il s’agit de prendre en compte l’importance (proprement historique) de cette question et l’actualité des campagnes internationales engagées sur ce terrain. Il est ici nécessaire d’intégrer le versant scientifique de la question : l’impact humain sur la biosphère. Ce n’est pas moi qui vais le faire ! Ce sera l’objet d’une contribution séparée par un camarade plus compétent.
Après avoir évoqué les similitudes entre tous les types de catastrophes naturelles, on touche ici à une importante différence, suivant les « origines ». Il peut être intéressant de se faire expliquer la tectonique des plaques mais cela n’a qu’une incidence limitée sur nos tâches (où et comment se pose la question de la prévention ?) ; pas besoin de rentrer dans le détail car on ne peut rien y changer. En revanche, le problème est bien de changer l’impact humain sur la dynamique du climat. On ne peut savoir comment sans tenter de faire le point des connaissances scientifiques en ce domaine.
5. L’évolution en cours du climat est l’un des principaux symptômes qui indique l’ampleur du changement qualitatif qui s’est produit ces dernières décennies dans la dynamique des (ou de la) crises écologiques. Il y a eu bien des crises écologiques dans le passé, mais elles restaient locales ou régionales. La nouveauté, dans le dernier tiers du XXe siècle, c’est que le capitalisme contemporain (post-années 1960) a ouvert une crise écologique d’origine humaine à dynamique globale. Cela fait pas mal de temps maintenant que nous avons compris l’importance et la gravité de ce point d’inflexion ; mais ce jugement se voit aujourd’hui confirmé avec la crise climatique en formation.
Si l’on parle de crise, c’est évidemment d’un point de vue humain. La biosphère est indifférente à ses évolutions. Pas nous, car ce sont les conditions d’existence de l’espèce humaine qui se dégradent et peuvent être remises en cause.
Dans la suite de ce rapport, nous allons aborder un certain nombre de problèmes qui nous ont été posés en passant du plus particulier au plus général et en repartant des événements de la fin 2004 à la fin 2005.
II. Agitation anti-capitaliste et luttes concrètes
A. L’iniquité et l’incurie du système dominant mis à nu
Le tsunami de la fin 2005 a provoqué une onde de choc dans les consciences à une échelle rare sur le plan international, pour des raisons multiples (couverture médiatique, identification facilitée par la présence de nombreux touristes occidentaux, etc.). L’impact de l’ouragan Katrina a été lui aussi profond car la catastrophe s’est produite cette fois dans le pays le plus puissant du monde... et la même iniquité, la même incurie s’est manifestée. Quant au tremblement de terre qui a frappé le Cachemire et le Pakistan, il est venu rappeler à quel point il pouvait y avoir des victimes oubliées de la solidarité.
La succession de ces catastrophes a eu une très grande puissance de démonstration. La critique du capitalisme réellement existant (et en particulier du capitalisme à l’heure de la mondialisation néolibérale) est apparue à beaucoup avec la force d’une évidence. En effet, l’incurie s’est manifestée à toutes les étapes du drame.
* Arrière-plan : des logiques de profit aveugles et destructives. Parce qu’elles opèrent via les éléments naturels, les catastrophes dont nous parlons ici posent de façon aiguë la question écologique. L’impact des logiques de profit apparaît en effet à toutes les échelles. Dans le détail, avec la destruction des protections naturelles comme les zones humides (marais...) ou la végétation côtière (forêts de mangroves...). A une échelle globale avec les émissions de gaz à effet de serre.
* Inégalités dans la prévention, priorités guerrières. Les exemples abondent. Des systèmes d’alerte anti-tsunami ont été implantés dans l’océan Pacifique pour protéger les côtes du Japon et des Etats-Unis mais pas dans l’océan Indien ; des fonds destinés à l’entretient des digues de la Nouvelle Orléans ont été détournés pour les dépenses de la guerre en Irak ; au Pakistan, l’administration et l’armée (omniprésente) n’ont pas été préparées pour intervenir à l’occasion d’un tremblement de terre (prévisible) au Cachemire...
* Inégalités face à l’urgence. De façon générale, les secours officiels (nationaux puis internationaux) ont été lents à arriver. Puis, l’aide d’urgence a été affectée de façon très inégalitaire, avec des phénomènes frappant « d’invisibilité » des pauvres et des secteurs les plus opprimés de la population (dalit en Inde, tamoul au Sri Lanka, montagnards ruraux au Pakistan, noirs aux Etats-Unis...). Les circuits de l’aide ont dans la majorité des cas épousé les rapports de domination (classes, castes, genres), de clientélisme politique et religieux, de corruption.
* Dépendances géostratégiques. L’aide internationale des Etats a été modulée en fonction d’intérêts géostratégiques qui ont fort peu à voir avec les exigences humanitaires. C’est l’une des raisons pour laquelle elle prend une forme militaire. Cela a été particulièrement net dans l’océan Indien avec l’envoi (même tardif) de forces navales étasuniennes ou françaises dans un secteur clé (la route du pétrole entre océans Indien et Pacifique) et des zones de conflit (Aceh, Sri Lanka) tout en menant des opérations avouées de propagande (« rectifier » auprès des populations musulmanes l’image détestable des États-Unis...).
* Reconstruction. Les désastres sont souvent perçus par les possédants comme de très bonnes occasions à saisir. Cela avait par exemple été le cas lors des crises financières de 1998 : une catastrophe sociale dans nombre de pays d’Asie mais l’occasion pour des multinationales nippo-occidentales d’acheter des entreprises de la région pour une bouchée de pain. C’est à nouveau le cas aujourd’hui. Le tsunami a nettoyé les côtes, détruisant les villages de pêcheurs, et Katrina a noyé des quartiers déshérités de la Nouvelle Orléans. Pour les politiques officielles de reconstruction, les plus pauvres redeviennent « invisibles ». Elles font la part belle (au nom de la « sécurité », bien entendu) à l’industrie touristique sur les côtes de l’océan Indien et aux populations mieux nées en Californie.
Quand on étudie l’avant, le pendant et l’après catastrophe dans un endroit donné, comme le Tamil Nadu, la leçon de chose est impressionnante. On voit concrètement comment tous les rapports de domination (mondiaux, locaux) font, des plus opprimés et des plus exploités, des victimes à répétition. On voit aussi comment ces rapports de domination sont exacerbés à l’heure de la mondialisation impérialiste.
Les catastrophes naturelles représentent ainsi une expérience sociale majeure. Une expérience complexe, aussi, dans laquelle se nouent de façon inextricable le politique, l’humanitaire, le social, les rapports de genre, l’écologique.
B. Un champ d’action et les politiques d’aide
Par-delà la force de démonstration sur l’iniquité du système impérialiste, les catastrophes naturelles nous posent de nombreuses questions politiques. Elles s’imposent comme un test majeur pour les organisations populaires des régions sinistrées et pour la solidarité internationale. En effet, on ne peut s’en tenir à la seule agitation anti-capitaliste. Il faut agir. C’est une question de responsabilité, face à la détresse des populations sinistrées.
Nous abordons ici la question des politiques d’aide. Je ne vais pas essayer de la traiter dans sa globalité. C’est en effet une question à multiples facettes car elle inclut des types d’intervention très divers, avec chaque fois des problèmes politiques spécifiques. Les associations urgentistes, par exemple, n’interviennent que ponctuellement. En ce domaine, l’une des principales questions politiques qui se posent à elles est celle de leur indépendance face aux gouvernements, à l’heure de plus où les armées interviennent sur le même terrain (et à l’heure des « guerres humanitaires »).
Je ne cherche pas à opposer un « bon » terrain d’aide aux autres. L’intervention des associations urgentistes a sa légitimité. Je voudrais ouvrir une réflexion sur le terrain qui est plus spécifiquement le « nôtre », compte tenu de nos moyens (modestes) et de notre engagement.
Disons en une formule que notre champ d’action privilégié - sur lequel notre responsabilité est directement engagée - est celui de la solidarité directe « de peuple à peuple », assuré par les organisations « de terrain », progressistes, politiques, associatives et syndicales.
Il y a ici un choix politique : tisser et renforcer des liens entre organisations révolutionnaires et populaires, tant sur le plan local ou national que sur le plan international. Tel n’est pas seulement le cas pour des raisons de programme ou d’orientation générale (nos engagements militants). C’est aussi le cas pour des raisons d’efficacité. Car toute l’expérience de l’année passée confirme l’efficacité propre, irremplaçable, de ce champ d’action. Je voudrais insister là-dessus, car cela va à l’encontre du « sens commun » pour qui les mégas interventions des Etats ou des grandes organisations humanitaires sont nécessairement plus efficaces.
Cette efficacité propre se manifeste - elle aussi - à chaque étape.
* Une alternative à la logique du profit. On a noté dans le point précédent le caractère destructeur des logiques de profit à l’œuvre via la domination du mode de production capitaliste. Mentionnons ici pour mémoire (on y reviendra sur la question du climat) le fait que les organisations populaires, progressistes, combattent pour une autre logique d’ensemble qui parte des besoins sociaux et des données écologiques. Elles s’attaquent au problème de fond et pas seulement aux conséquences. C’est essentiel pour le plein développement des politiques de prévention égalitaires en matière de catastrophe naturelle. Mais c’est aussi ce qui explique l’efficacité pratique sur le terrain.
* Efficacité dans l’urgence. Dans de très nombreux cas, les premiers secours ont été assurés par des organisations populaires venues des villages ou régions avoisinants. C’est particulièrement net dans le cas du tsunami où seule une bande côtière était dévastée : les organisations populaires locales étaient les premières sur place. En dehors des zones touristiques et urbaines, notamment, les secours officiels ont mis plusieurs jours à arriver - et encore plus pour les secours internationaux.
La cas du Cachemire est intéressant. Les secours organisés par la Labour Relief Campaign sont arrivés d’assez loin (Lahore notamment). Il a fallu un certain temps pour l’organisation et l’acheminement de l’aide. Néanmoins, elle était la première sur place dans la zone choisie pour son action ; la première aussi à commencer à construire une centaine de maisons rustiques en dur au lieu de se contenter de planter des tentes incapables d’offrir un abri durant l’hiver montagnard.
* Solidarité de « pauvres à pauvres ». Les secours d’urgence ainsi assurés par les organisations populaires représentent une solidarité de « pauvres à pauvres », souvent mis en œuvre sous la direction de femmes. Ce qui assure une priorité sociale en faveur des plus nécessiteux, contrairement à l’action des administrations.
* Solidarité économe. La solidarité assurée par les organisations populaires est peu coûteuse, car elle est militante et met en œuvre des ressources locales.
* Connaissance du terrain social. Les organisations de voisinage ont une connaissance intime des réalités sociales locales dont toute politique d’aide doit tenir compte. Donnons quelques exemples pour illustrer ce propos. Le choc psychologique des communautés de pêcheurs frappées par le tsunami a été très profond. La mort et la destruction est venue de la mer nourricière, sans préavis aucun. Tout était normal et cinq minutes plus tard, tout était détruit. Pour être efficace, il faut comprendre ce trauma très spécifique. Il faut aussi bien connaître, au Tamil Nadu, les rapports de castes - entre pêcheurs et dalits (les « Intouchables ») notamment - et interreligieux.
Un dernier exemple : l’Union européenne a envoyé au Sri Lanka des bateaux de pêche... trop grands. Inutilisables. Les bateaux construits localement répondent en revanche aux besoins locaux.
Toute politique d’aide doit pleinement tenir compte des conditions spécifiques propres non seulement au type de catastrophe naturelle mais aussi à la région sinistrée.
* Présence dans la durée - quelle reconstruction ? Les organisations populaires peuvent assurer une présence dans la durée et faire consciemment le lien entre politique d’urgence et politique de reconstruction. Mieux, elles peuvent le faire dans une démarche socialement solidaire.
Pour illustrer ce que je veux dire ici, je reprends un exemple tiré du Tamil Nadu : il ne s’agit pas seulement de surmonter les antagonismes de castes (y compris entre pauvres : pêcheurs contre dalits) et d’éviter l’éviction des villages côtiers au profit de l’industrie touristique. La politique de reconstruction peut (doit) aussi permettre d’initier des processus de transformation sociale. Les bateaux (loués) ont été détruits par le tsunami ? Dans l’exemple que j’évoque, le choix a été de nouveaux bateaux qui ont été construits grâce à l’aide internationale et sont dorénavant possédés sous forme coopérative par les femmes du village. Soit une modification progressiste des rapports de propriété et de genre.
* Démarche socialement solidaire. Les organisations dont nous parlons ici ne sont pas populaires seulement du fait de leur enracinement. Du Tamil Nadu au Cachemire, de nombreuses organisations « sectaires » (généralement religieuses, xénophobes...) à l’implantation sociale très réelle se sont rapidement investies sur le terrain de l’aide, mais dans une démarche anti-solidaire : jouant leur caste contre les autres comme un politicien favorise sa clientèle ; où construisant leur église comme une multinationale capture des parts de marché.
Populaire prend ici un sens politique : socialement solidaire. Il s’agit évidemment, mais il ne s’agit pas seulement, de défendre les plus exploités et les plus opprimés face aux puissances d’argent, aux Etats et aux armées. Il s’agit aussi d’affirmer une alternative face aux mouvements « castéistes », racistes, xénophobes et fondamentalistes. C’est un combat quotidien dans bon nombre de régions touchées par le tsunami et au Pakistan/Cachemire. Les formes sont différentes suivant les cas. En Inde, les violences sont inter-castes (à l’encontre des dalits surtout) et inter-religions (à l’encontre des musulmans et chrétiens surtout...). Au Pakistan, ce type de violences oppose des sectes musulmanes les unes aux autres.
Si les formes d’intolérance varient, le problème de fond demeure. Or, une politique d’aide face à une catastrophe naturelle est une occasion par excellence d’affirmer un projet solidaire au sens fort du terme. La notion de solidarité « de peuple à peuple » est le point de départ, l’angle d’approche qui nous permet d’aborder cette question.
* Démarche revendicative et fondamentale. Bien entendu, la solidarité de « peuple à peuple » ou de « pauvres à pauvres » ne peut pas tout. Il lui est bien impossible de fournir les hélicoptères nécessaires aux secours de haute montagne du Cachemire ! Mais elle est efficace, et pas uniquement « politiquement juste ».
Disons, pour conclure ce point, qu’il nous faut, dans le domaine de l’aide comme dans les autres, agir conjointement sur deux plans. Un plan « revendicatif » en mettant les Etats devant leurs responsabilités (notons ici que c’est sous la pression de l’opinion publique, après le tsunami, que les gouvernements occidentaux ont dû augmenter leurs engagements financiers, qui étaient au départ proprement ridicules). Un plan plus fondamental : déployer notre propre politique sur ce terrain - et donc la penser.
Nous manquons encore d’expérience et de réflexion sur cette question. Ou du moins, les expériences vécues dans divers pays n’ont pas été collectivisées sur le plan international. Revenons donc sur un certain nombre d’initiatives qui ont été prises fin 2004 et en 2005.
C. Eléments de réflexion autour de trois types d’initiatives
Concrètement, la question de l’aide s’est posée en des termes très différents suivant les cas, de la fin 2004 à aujourd’hui. Le tsunami a suscité un immense sentiment spontané de solidarité (une lame de fond !) et une multiplication d’initiatives. Cela n’a pas du tout été le cas du tremblement de terre au Pakistan et Cachemire ; cette fois-ci, les quelques initiatives de solidarité ont été engagées de façon volontariste. Enfin, Katrina a représenté un véritable choc politique (un tel désastre aux Etats-Unis) mais, à ma connaissance, n’a pas donné lieu à des campagnes internationales publiques : faut-il envoyer de l’aide dans le pays le plus riche du monde ?
Face au flot d’initiatives engagées à la suite du tsunami, nous avons dû répondre à la question : à qui adresser l’aide ? Nous avons, en France, tout d’abord répercuté les appels lancés par des organisations humanitaires ou urgentistes indépendantes des Etats (Secours populaire, Médecins sans frontières...), puis nous nous sommes concentrés sur des campagnes de deux types.
1. L’aide aux « organisations sœurs ». Il s’agit, en l’occurrence, de l’aide apportée au NSSP du Sri Lanka. Mais il s’agit plus généralement du soutien adressé en urgence aux « organisations sœurs » des zones sinistrées : de parti à parti, de syndicat à syndicat, etc. Cette aide est légitime, nécessaire. Elle peut être fort importante pour l’organisation qui la reçoit, renforçant sa capacité à agir par temps d’urgence. Mais elle ne mobilise usuellement que les militants et sympathisants des mouvements concernés (par exemple, les sections de la IVe Internationale ou les partenaires de Frères des Hommes).
Ce type d’aide a des limites évidentes. Elle s’adresse à des milieux et réseaux restreints, sans répondre à la question « Que faire ? » dans des milieux plus larges. Elle ne dynamise pas le mouvement social.
2. L’appui à des campagnes collectives initiées par les mouvements sociaux. Nous avons par ailleurs activement soutenu des campagnes collectives, issues du mouvement altermondialiste. Il s’agit en l’occurrence des appels lancés par Via Campesina et relayés par bon nombre des organisations qui participent au processus du forum social. Via Campesina avait en effet des organisations dans plusieurs des pays touchées (Sri Lanka, Indonésie...).
Dans ce cadre, l’aide « de peuple à peuple » (de mouvement social à mouvement social, mais collectivement) prend forme. La campagne financière peut gagner en ampleur. Les liens multiples de solidarité qui se tissent dans le cadre du mouvement altermondialiste sont renforcés.
Les conditions nécessaires à ce type de campagnes ne sont pas toujours réunies. Il faut en effet que l’impact politique de la catastrophe soit suffisant et qu’au moins une organisation « reconnue » au sein du mouvement (syndical, altermondialiste...) puisse proposer des relais nationaux ou locaux.
3. Impulser une initiative de solidarité. Dans le cas de Pakistan/Cachemire, les choses se sont présentées très différemment : ces conditions n’étaient pas réunies. Aucune initiative collective n’est venue du mouvement social, comme cela avait été le cas pour le tsunami. D’une part, il n’y a pas eu de mobilisation spontanée des consciences (et donc pas de pression politique pour agir - ni sur les gouvernements ni sur les mouvements !). D’autre part, pas plus Via Campesina que les syndicats français n’avaient d’organisations sœurs dans les zones directement concernées (les montagnes du Cachemire). De façon générale, les liens de solidarité France-Pakistan sont d’ailleurs ténus, assurés surtout par quelques ONG.
Des appels financiers ont évidemment été lancés après le tremblement de terre, mais ils s’apparentaient surtout au premier cas de figure évoqué ici (les « organisations sœurs ») : des ONG occidentales collectant des fonds pour leurs partenaires pakistanais ; des courants politiques faisant de même. Mais, côté solidarité « large », comparée à l’après tsunami, c’était une situation d’encéphalogramme plat alors que la situation des populations sinistrées était réellement dramatique ! Europe solidaire sans frontières (ESSF) a pris dans ce contexte une initiative volontariste qui a donné des résultats modestes, mais néanmoins plus importants que prévu. L’expérience est, il me semble, intéressante.
ESSF est une petite association qui contribue notamment à renforcer les solidarités Europe-Asie au sein du mouvement altermondialiste. Elle a répondu à l’appel lancé du Pakistan par la Labour Education Foundation (LEF), qui a impulsé la Labour Relief Campaign (LRC). Ce choix était assez naturel, vu les liens préexistants avec le Labour Party Pakistan (LPP), lui-même partie prenante de la LRC. Le choix était aussi de soutenir des organisations populaires pakistanaises « de terrain » (plutôt que des ONG), indépendantes du régime militaire comme des mouvements fondamentalistes, travaillant dans une perspective socialement solidaire - à savoir intercommunautaire, laïque (dans ce cas, en référence aux valeurs du mouvement ouvrier). La LRC comprenant une composante syndicale et un réseau femme, cela devait aider à élargir la campagne financière.
La campagne a été menée avec des moyens limités (des articles dans la presse militante, le site Internet d’ESSF, quelques envois sur des listes e-mail...). L’appel a été relayé (conjointement avec deux autres) par un syndicat (sur le site Internet de Sud). Point important : des informations venues directement du Pakistan (acheminement des camions d’aide, construction des maisons...) ont permis d’alimenter la campagne en Europe.16 500 euros ont été remis à la Labour Relief Campaign ; en plus de France, les dons sont venus de Catalogne, d’Allemagne, de Suisse, de Grèce, du Danemark [données mises à jour fin mars].
C’était la première fois qu’ESSF prenait directement en charge un tel type d’initiative. L’association a bénéficié de son investissement ancien dans les solidarités euro-asiatiques et d’un partenariat très « naturel » avec la Labour Relief Campaign. Là encore, de telles conditions ne sont pas toujours réunies. Mais cette initiative, engagée « à chaud » et à petite échelle, permet de réfléchir au rôle spécifique d’associations comme ESSF dans le développement d’une politique en matière d’aide.
Des problèmes politiques concrets.
En intervenant sur le terrain de l’aide, on est évidemment confronté à des problèmes politiques. On en a déjà mentionné toute une série, sur un plan général : garantir l’indépendance des campagnes par rapports aux Etats, critères de choix des partenaires, conception même de la solidarité... Bien d’autres problèmes surgissent quand nous nous trouvons confrontés à des situations concrètes. L’impact d’une catastrophe naturelle dans une zone de guerre civile peut, par exemple, être très différent : déblocage des négociations de paix à Aceh, dans l’archipel indonésien... mais pas au Sri Lanka.
Je me contenterai ici de donner un autre exemple. Le Cachemire manquait cruellement d’hélicoptères pour les secours en haute montagne alors qu’il y en avait pléthore en Afghanistan, pays frontalier. Nous avons dénoncé - à raison -, la passivité des puissances occidentales. En même temps - et aussi à raison -, nous avons rejeté l’intervention sous couvert humanitaire des armées de l’OTAN au Cachemire (ainsi qu’au Sri Lanka ou en Indonésie). Comment dépasser ce paradoxe ? Ayant appris que les programme de l’ONU intervenant en urgence devaient louer (très cher) les hélicoptères nécessaires à leur action (et qu’ils manquaient de fonds), j’ai écrit que les armées devaient prêter gratuitement leurs engins pour qu’ils soient utilisés dans le cadre d’une intervention civile.
Etait-ce la bonne réponse ? De toute façon, elle est restée confidentielle. Or, on devrait être capable de discuter « à chaud » des problèmes politiques qui nous sont posés, pour trouver les bonnes réponses et faire véritablement campagne.
Il y a ici des camarades de la Nouvelle Orléans, du Sri Lanka et du Pakistan qui pourront en dire beaucoup plus sur l’expérience concrète qu’ils ont vécue.
D. En guise de conclusion sur l’aide
Les situations de catastrophe sont monnaie courante dans le monde, même si nous n’en avons évoqué que trois cette fois-ci. Pour les organisations des régions les plus concernées, c’est une préoccupation constante. Il devrait en être de même pour la solidarité internationale.
Il nous est évidemment impossible de répondre à tous les appels. Mais il faut, plus que par le passé, considérer le terrain de l’aide comme un champ d’intervention, comme une composante durable d’une politique internationaliste.
C’est d’autant plus vrai si l’on craint que les grandes catastrophes naturelles vont se multiplier à l’avenir, plutôt que se raréfier. Soit une habile phrase de transition vers la question du climat.
III. La question du changement climatique : le télescopage des revendications transitoires ?
On retrouve, en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, une même exigence que sur les questions d’aide : combiner agitation anti-capitaliste face à l’incapacité des gouvernements à prendre les mesures nécessaires et campagnes sur des objectifs concrets. Mais cette double exigence se pose ici dans des termes assez différents.
Face au danger de tsunami et tremblements de terre, on peut faire une liste de mesures précises, simples : placer des capteurs de tsunami dans l’océan Indien, améliorer le système international d’alerte, re-développer les protections naturelles comme la végétation côtière (mangrove, marais...), assurer un service publique de santé, construire selon des normes anti-sismiques, etc. Ces mesures n’ont rien de « révolutionnaire » en elles-mêmes. Le scandale, c’est qu’elles n’ont pas été mises en œuvre alors que beaucoup d’entre elles sont à la fois efficaces et élémentaires. Bien entendu, des questions sous-jacentes, plus profondes, se posent et vont se poser : le poids des inégalités sociales ou de genre, la logique du profit capitaliste qui s’oppose au déploiement de politiques publiques de prévention, etc. Mais le combat peut commencer par s’articuler autour de revendications simples.
La différence, en ce qui concerne le changement climatique, c’est que pour être un minimum efficace, les mesures touchent d’emblée à l’organisation de la production. Elles ne peuvent pas se contenter d’être « élémentaires ». Par exemple, réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre implique une réorganisation du secteur de l’énergie, mais aussi de celui des transports - et donc du commerce mondial, - et donc de l’agriculture (plus « paysanne » et moins industrielle), - et donc de la politique urbaine et de l’aménagement du territoire. Il ne s’agit pas ici d’une enchaînement artificiel ou « maximaliste ». On ne modifie pas radicalement la consommation d’énergie dans le sens exigé sans s’attaquer conjointement à la question des transports (de marchandises, des personnes entre logement et lieu de travail)...), donc à la localisation de la production et aux modes de consommation (avec la révolution culturelle qui l’accompagne). Les mesures d’urgence (je souligne : d’urgence) s’inscrivent dans une logique en rupture avec celle du capitalisme. C’est l’une des particularité de la question climatique qui est liée à son caractère global (tant dans l’origine que dans les conséquences).
Vu la gravité de la crise climatique (pour l’espèce humaine), l’ampleur et la nature du problème posé, c’est comme si le « programme maximum » devenait le « programme minimum », télescopant la dynamique transitoire qui normalement permet de faire dans la lutte le lien entre les deux. La rupture avec le capitalisme apparaît tout à fait logiquement comme la réponse « élémentaire » à la question posée. La contradiction à laquelle nous sommes confrontés, c’est que la perspective socialiste ne réapparaît toujours pas comme une alternative palpable. Il y a donc une tension particulière entre les exigences concrètes (il est vital d’agir maintenant) et la crédibilité des solutions réelles.
Cela complique certains débats. Le protocole de Kyoto, par exemple, est à la fois très insuffisant et pervers (approche marchande). Mais le fait de ne pas le signer, de la part notamment des États-Unis, mérite tout autant d’être dénoncé.
On peut néanmoins commencer à sortir de cette contradiction. En effet, il y a un début de rencontre entre le mouvement altermondialiste et la tradition écologique qui se réalise en particulier sur le champ de mobilisation « climat » (il y en a d’autres, liés par exemple à l’écho des luttes des peuples indigènes). Ce n’est qu’un début et cela reste très inégalement vrai suivant les pays. Mais au moins, cela permet d’agir. Il y a ici une responsabilité majeure : accélérer et amplifier cette rencontre en s’investissant plus dans les campagnes « climat » (voir la contribution des camarades britanniques).
On se heurte évidemment à des limites. « Numériques » (les forces disponibles). Mais aussi politiques. La perception du problème varie et il y a peu de lieux de collectivisation des expériences et de la réflexion. Or, la crise climatique nous oblige à intégrer la question écologique plus complètement que par le passé, quels que soient les progrès déjà réalisés en ce domaine. Or, cela ne va pas de soi. C’est le dernier point de mon introduction.
IV. Ecologie, culture militante et programme politique
On ne peut pas intégrer la question écologique sans prendre pleinement en compte la nature - ce qui n’est pas simple du tout et ce qui, de plus, est généralement assez étranger à la culture militante du mouvement ouvrier et des organisations anti-capitalistes.
Certes, il n’y a plus (ou presque) de nature « vierge ». La nature a une histoire inter-reliée à l’histoire humaine, et ce depuis très longtemps (depuis la révolution néolithique ?). On est aujourd’hui confronté à l’impact des activités humaines sur la biosphère. On s’attache au taux de production du gaz carbonique - qui a l’avantage de pouvoir être mesuré.
Mais il ne s’agit pas seulement de gaz à effet de serre. Avant d’être modifiée par la production sociale, la biosphère est composée des écosystèmes et est leur produit. On ne peut pas définir scientifiquement la composition idéale (pour l’espèce humaine) de la biosphère et la reproduire artificiellement ! On peut par contre constater (c’est un bon point de repère) que l’état antérieur des choses nous a été très favorable et que l’un des moyens de le préserver est de préserver les écosystèmes qui lui correspondent. La transformation des logiques productives (et consommatrices) ne doit pas seulement permettre de réduire la production de gaz carbonique ; il faut modifier radicalement les rapports société humaine/nature.
Il ne s’agit pas d’opposer abstraitement activités humaines et espaces naturels. Bien des milieux riches dépendent d’une production sociale spécifique (prairie de fauche, bocage, etc.). De même, bien des milieux naturels servent mieux les besoins humains que de coûteuses solutions artificielles (voir les multiples rôles des zones humides, depuis la protection contre les inondations jusqu’à la purification des eaux polluées en passant par le maintien de la biodiversité). Mais le capitalisme a ses raisons que la raison socio-écologique ignore : il impose au nom du progrès des modes productifs qui sont irrationnels tant du point de vue social qu’écologique... mais qui sont très rationnels du point de vue de la recherche du profit et du pouvoir.
La crise écologique globale (du point de vue humain) ouverte par le développement du capitalisme postérieur à la seconde guerre mondiale ne concerne pas seulement le climat, mais l’ensemble des rapports sociétés/nature. L’intervention sur la question du changement climatique peut aider à intégrer plus intimement à notre programme cette dimension. Elle nous oblige notamment à étudier (sans prétention) des mécanismes naturels pour fonder notre action politique, ce qui est beaucoup trop rarement le cas. Mais on va se heurter à plusieurs difficultés.
Premier type de difficulté : il n’est pas facile de vulgariser et d’assimiler politiquement des connaissances scientifiques. Difficulté additionnelle : nous nous heurtons aussi, ce qui ne simplifie rien, aux limites de ces connaissances à propos des systèmes extrêmement complexes : à quel point les climatologues et océanologues connaissent-ils la biosphère, les océans et la dynamique du climat ?
Deuxième type de difficulté : on se heurte au « sens commun » sur des questions où la tradition critique est beaucoup moins ancrée dans nos milieux militants que sur le terrain directement social. Il semblait, par exemple, qu’avec le progrès technique il était possible de s’affranchir quasi totalement des contraintes naturelles (voir le modèle extrême de l’agriculture hors sol). L’effet boomerang du changement climatique montre que le processus est beaucoup plus contradictoire.
Difficulté additionnelle : pour les marxistes, les rapports sociétés/nature ne se comprennent pas sans la médiation des rapports sociaux au sein même des sociétés : on ne peut modifier qualitativement les rapports sociétés/nature sans modifier les rapports sociaux. Les marxistes ont en l’occurrence raison, même si bien des écologistes non socialistes préfèrent l’ignorer. Mais il ne faut pas en conclure qu’il suffit de s’attaquer à la question des rapports sociaux, sans analyser plus spécifiquement l’impact humain sur la nature et les mécanismes naturels.
Posons-nous la question : qu’est-ce qu’a changé dans notre démarche l’acuité nouvelle de la question écologique ? Si la réponse est « rien » (puisque tout se ramènerait au social), il y a problème ! Or, on sent encore beaucoup de réticences à intégrer complètement la question écologique (et donc la nature : connaissance des écosystèmes, des mécanismes climatiques, etc.).
Troisième type de difficultés : la cohérence et l’articulation des propositions. Il nous faut tenir compte de toute la question écologique. Par exemple, nous luttons conjointement pour la réduction des émissions à effet de serre (et contre la dictature du lobby pétrolier) et contre le nucléaire (et la dictature du lobby atomique). Nous sommes pour des politiques de reforestation, mais pas n’importe lesquelles ; l’industrie du bois favorise des modes de reforestation (en fonction de critères de rentabilité) qui ont des effets socio-écologiques désastreux. Rendre cohérent le programme d’action que nous présentons dans les divers domaines demande beaucoup d’attention.
C’est dire qu’il faut reprendre la réflexion collective sur les choix technologiques (centralité du solaire, etc.), qui avait été engagée durant les années 1970 mais qui n’a pas été poursuivie dans les années 1980. Pour opposer une « modernisation » alternative à celle que nous imposent les multinationales.
Tout cela est très fragmentaire et vise seulement à réintroduire un débat. Il faut nous donner les moyens de collectiviser expériences, connaissances et réflexion (proposition de séminaire, utilisation des sites Internet...). Mais il n’est pas besoin d’attendre réponse à tout pour s’engager sur le terrain militant et pour participer aux campagnes unitaires. Avec notamment pour objectif de faire le lien entre différents domaines : structure de classes et mode de production, cultures et traditions militantes, nature, technologies...
Après le débat : retour sur sept questions
Je ne vais revenir ici que sur quelques éléments de la discussion.
1. Humanisme et nature. On m’a demandé de préciser mes positions, après mes références à la nature. Je le répète : la notion de crise écologique est une notion humaine. La biosphère est indifférente à la puissance et la fréquence des ouragans, à l’arrivée d’une ère glaciaire ou torride, à la biodiversité. Pas nous.
J’ai toujours trouvé qu’un humanisme respectueux de la vie était plus riche qu’un humanisme indifférent au règne animal et végétal. Je pense qu’il n’y a pas besoin de « justification » utilitaire pour protéger des espèces menacées. Mais, pour qui ne serait pas convaincu, soulignons qu’à l’heure de la crise écologique globale, cette préférence n’est plus seulement un choix « politico-culturel », mais une condition d’efficacité.
Comme toutes les espèces j’imagine (mais à un degré de tension supérieur), l’humanité entretient avec la nature un double rapport d’opposition et d’appartenance. Mais attention : le rapport d’opposition opère au sein du rapport d’appartenance. C’est bien ce que nous rappelle la crise climatique !
2. Penser les politiques d’aide. La démarche introduite ici doit être élargie. Nous n’avons abordé que la réponse à des catastrophes naturelles. On retrouve des questions similaires dans les secours aux populations déplacées du fait de combats militaires ; nos camarades de Mindanao peuvent en parler ! Et il serait intéressant de revenir sur l’histoire (car il y a une histoire) des solidarités « matérielles » (aide financière, médicale, etc.) dans la tradition internationaliste. Le sujet est vaste.
3. Jusqu’où va la dynamique de la crise climatique ? La biosphère est un système très complexe en équilibre dynamique. Des modifications quantitatives peuvent déboucher sur des ruptures d’équilibre « sectorielles » (changement de route suivie par les courants marins...) ou globale. Il est impossible de prévoir où se situent les points de rupture. Une rupture d’équilibre globale devrait ouvrir une longue période chaotique avant de déboucher vers un nouvel équilibre dynamique, lui aussi imprévisible. C’est dire l’ampleur du problème posé !
4. Est-il possible de transformer rapidement tout un secteur de la production ? C’est possible. Un bon exemple a été fourni en France par la transformation de la production électrique avec le choix nucléaire. En une dizaine d’année, l’électricité d’origine nucléaire est passée de 0 % à 80 % de la production. Bien entendu, à cette occasion, il y a eu une action concertée massive de l’Etat (y compris des armées : lien entre les choix nucléaires civils et militaires) et du secteur privé dans le cadre d’une planification active (capitalisme d’Etat). Cet effort concerté a eu lieu pour des raisons politiques (la France comme puissance nucléaire) qui ne se réduisent pas à la recherche du profit (les choix technologiques des Etats bourgeois et des grandes firmes capitalistes répondent aussi à des logiques de pouvoir).
Le problème, aujourd’hui, n’est pas essentiellement « technique ». Il est politique et social. Des intérêts très puissants s’opposent à la transformation nécessaire des secteurs de l’énergie, des transports, du commerce, etc.
5. Encore un mot sur la démarche de fond. J’ai évoqué dans mon introduction au débat la nécessité d’assurer la cohérence des revendications écologiques (pour que des mesures préconisées, par exemple, pour réduire la production du gaz carbonique ne mettent pas en danger la biodiversité). Il faut évidemment aussi assurer la cohérence des démarches sociales et environnementales.
Les mesures environnementales que nous préconisons ne doivent pas accroître les inégalités sociales (ou les inégalités internationales). Ce serait injuste ; et il y bien assez d’injustice comme cela dans le monde pour ne pas en rajouter ! Ce serait aussi inefficace. Sans soutien populaire, la bataille pour les réformes écologiques (qui s’opposent la logique du capital) ne sera pas gagnée. Il faut créer un rapport de forces social, ce qui exige une démarche égalitaire.
C’est en tenant compte de cela que l’on peut aborder la question du « juste prix » de l’énergie ou des taxes « écologiques ». L’accès à l’énergie est un droit fondamental pour lequel nous combattons. On ne peut remettre ce combat en cause en axant la bataille écologique sur une hausse massive des prix de l’énergie au nom de la vérité des coûts et de la restriction de la consommation (dont les non-riches feraient les frais). De la même façon, une taxe environnementale doit être efficace ET être mise en œuvre de façon socialement égalitaire pour être progressiste : ce n’est pas très fréquemment le cas.
La réciproque est vrai : on ne peut plus, au nom de l’urgence social, avancer des mesures qui auraient pour conséquences d’aggraver la crise écologique. L’urgence environnementale n’est en effet pas moindre.
Pour dire les choses autrement : on ne peut pas avoir deux programmes parallèles, qui s’ignorent l’un l’autre : le premier social et le second environnemental (c’est souvent le cas chez les partis verts). L’une des principales exigences auxquelles nous sommes confrontées est de lier l’un à l’autre.
6. Horizon et transition. Une politique de révolution énergétique doit avoir un horizon (décentralisation, adaptabilité, importance du solaire, priorité au renouvelable et à l’efficience...), mais aussi traiter de la transition entre le système actuel et cet horizon. Nous devons travailler sur les technologies de transition, qui peuvent inclure éventuellement des énergies fossiles (techniques « propres » de traitement du charbon ?). Soulignons une nouvelle fois que le nucléaire n’est pas une technologie de transition acceptable : il s’oppose à la logique des réformes (c’est l’exemple même d’une source d’énergie exigeant une hypercentralisation et une production maximale qui ne se laisse pas mettre sous contrôle démocratique...), il ne peut résoudre la question de l’effet de serre, il fait courir des risques croissants avec sa dissémination et laisse en héritage les déchets radioactifs pour l’éternité humaine.
7. Travail collectif. Répétons-le et soulignons-le : on ne peut mettre en cohérence la démarche dans les divers domaines environnementaux, ainsi que les démarches écologiques et sociales, sans travail collectif. Un travail collectif qui est, de même, indispensable pour intégrer à une pensée politique critique la question des choix technologiques (quelle modernisation ?) et des écosystèmes (la nature). Ce travail collectif est l’urgence de l’heure.