Des termes « souchiens », « hétéroflics » et des réalités qu’ils recouvrent.
Ou Pourquoi je pense que les luttes lgbt et contre l’islamophobie sont plus proches qu’on ne le croit.
INTRODUCTION ET PERSPECTIVES
Ce texte donne quelques éléments de débat contradictoire notamment envers l’angle d’attaque d’un camarade du NPA, Jacques d’Avignon qui aborde la question de la diversité culturelle et religieuse dans le parti d’un point de vue subjectif homo, sur le site « Europe solidaire sans frontière ». Il est important que son point de vue subjectif soit exprimé et diffusé mais il ne peut pas représenter, un point de vue qui se voudrait général sur la question « Religions et luttes lgbt ». Pour cette raison, je décide donc d’aborder aussi d’un point de vue subjectif et politique, le débat pour aider à la résolution de ce que je pense être souvent un malentendu dans ce qui secoue le NPA aujourd’hui. Je m’excuse d’avance si certains parallèles sont encore un peu boiteux mais j’essaie d’avancer toujours collectivement et par conséquent ce sont des hypothèses d’école que je n’avance que dans la contradiction collective et constructive.
Il existe à mon avis deux manière de poser le débat.
– Du point de vue de Jacques, les affirmations identitaires réelles ou supposées dans sa section, des camarades musulmans qui entrent dans le Parti depuis la création de celui-ci, (et je précise bien que je ne fonde pas mon argumentation sur une réalité locale) pourraient remettre en danger les acquis du courant dont nous venons, celui de la quatrième internationale, de la Lcr, et notamment dans son texte, de ses luttes féministes et gays, dont Jacques est incontestablement un « historique ». En tout cas, les questions qu’il pose même si elles restent ouvertes, montrent une certaine angoisse à l’ouverture à cette confrontation. Après tout, au moins, lui, l’exprime, ce qui permet au moins de mener le débat.
– Je vois de mon point de vue subjectif la question sous un autre angle. Il est évident que dans une première phase, construit en tant qu’homosexuel athée marxiste, je peux avoir tendance à me poser les mêmes questions. Pas plus d’ailleurs envers ces camarades musulmans, qu’envers d’autres camarades croyants, mais le temps qu’il nous a fallu , à nous les LGBT et les femmes pour nous émanciper même partiellement des curés et des pasteurs, ne donne pas envie d’y retourner.
Pour autant je pense que la période ne nous confronte pas à ce problème dans le rapport avec nos camarades musulmans. On parle ici d’une religion minoritaire, stigmatisée et pratiquée par les franges les plus méprisées du prolétariat. Il n’y a pas d’islamophobie envers les richissimes saoudiennes dans le triangle Madeleine/Opéra/Concorde.
Il faut à mon avis , construire dans le NPA la compréhension même difficile d’un vécu commun de l’oppression, qui déboucherait sur un parti pour toutes et tous.
Il est tout à fait possible, dans le cadre du sujet qui nous intéresse, de créer des analyses et des perspectives communs aux luttes que des musulmans ou des lgbt peuvent mener.
ISLAMOPHOBIE ET HOMOPHOBIE. QUITTER LA NON EXISTENCE SOCIALE PAR L’AFFIRMATION... DE CE QUE L’ON EST....ENTRE AUTRE.
D’ou viennent ces luttes ?
Pour moi, on ne peut pas comprendre ces luttes comme celles de différents collectifs musulmans aujoud’hui, du Parti des Indigènes de la République aussi, si on ne reconnaît pas le concept d’islamophobie. Et là intervient mon premier parallèle que j’espère théorique et conceptuel. On ne peut pas comme le dit Jacques, remettre en cause la validité de ce concept, en disant qu’il sépare une communauté de la lutte des classes.
Construisez la même phrase, avec le concept d’antisémitisme, de sexisme ou d’homophobie et l’affirmation ne tient pas. Pour affirmer que l’ islamophobie n’est pas un concept opératoire , il faut penser et je sais que certains camarades le pensent, qu’il n’y pas de discriminations directes et spécifiques envers les musulmans aujourd’hui. Le concept de racisme suffirait. Ce n’est pas le cas. Les votes suisses contre les minarets, les lois belges et françaises sur le voile montrent qu’il existe dans une partie de la population et dans l’appareil d’Etat, de vraies pensées et volontés discriminatoires envers les musulmans spécifiquement.
C’est pour cette raison que d’un point de vue homosexuel, je ne suis pas en accord avec le texte et les perspectives de notre camarade Jacques. Car tout part de là. Voit on les luttes pour l’existence religieuse et les droits religieux et les luttes pour les libertés sexuelles et les droits sexuels comme des luttes qui ne peuvent pas cohabiter dans un parti commun, ou bien essaie -t-on de construire un parti qui soit capable de gérer les contradictions apparentes et de les transformer ? C’est à mon avis la tâche historique du NPA.
Le mouvement lgbt a eu dans les années 70, à se battre même si le terme n’existait pas à l’époque, pour faire reconnaître que l’homophobie existait , et surtout qu’elle était importante à combattre, d’un point de vue éthique et humaniste, mais aussi dans une perspective révolutionnaire, d’émancipation de la classe opprimée. Nous savons en tant que groupe opprimé à quel point il est important stratégiquement d’identifier l’oppression qu’on subit, de la nommer pour mieux la combattre, de manière autonome et avec des alliances.
Ne pas soutenir la lutte contre la mise en évidence de ce qu’est l’ islamophobie, c’est ne pas nous souvenir ce que nous sommes politiquement en tant que lgbt et ce que nous avons apporté à la gauche même si elle continue à ne pas s’en souvenir dans ses délires républicains qui nie toute affirmation identitaire.
Pour moi, aujourd’hui de plus en plus de jeunes ou moins jeunes issus de l’immigration post-coloniale de peuples arabo-berbero-islamiques, revendiquent leur religion dans leur construction sociale en France. Ce sont les mêmes mécanismes qui poussent des jeunes à devoir se revendiquer très fortement homos, donc dans leur sexualité, pour ne pas sombrer.
Etre homosexuel, ou musulman en France aujourd’hui est une situation minoritaire dominée qui mène à des discriminations. Il faut partir de la base, il n’y a pas défense, s’il n’y a pas attaque, les affirmations identitaires ne viennent pas du plaisir de s’exhiber, mais toutes les réactions même communautaires, viennent de l’oppression et de la lutte pour la faire disparaître.
Etre homosexuel ouvre moins de droits qu’à l’ensemble de la communauté citoyenne du point de vue légal (mariage, droits au séjour pour les étrangers avec le PACS ...). Les jeunes lgbt se suicident 5 fois plus que les autres jeunes de leur âge.
A priori la République laïque ne retire aucuns droits formels aux musulmans citoyens francais... à priori.... Cependant majoritairement les jeunes arabos-musulmans de ce pays vivent dans les milieux les plus fragilisés par la violence du capitalisme. Les oppressions ne sont pas les mêmes. Ce qui me semble cependant commun c’est que les musulmans et les homosexuels sont deux fractions opprimées de la population de ce pays, (pour des raisons différentes, et avec des mécanismes différents), qui ont des points communs dans leurs résistances et les résistances à leurs résistances et ce sont ces points communs qu’il faut absolument mettre en perspective d’unification des luttes de tous les opprimés.
Je crois qu’il faut surtout chercher les points communs du point de vue de l’oppression, du vécu de la construction de celle-ci, des stratégies d’émancipation mises en places, et des résistances de la gauche à ces luttes vues comme communautaristes.
Depuis les années 80, le mouvement « beur » a tout fait pour exister dans la société française, dans une autre période, avec beaucoup moins de rapports marqués à la religions. Ce mouvement « beur » non religieux, en tout cas n’intégrant pas cette dynamique de manière centrale a échoué notamment, tué par SOS Racisme monté de toute pièce par le PS dont le but clair et net était de casser ce mouvement autonome des jeunes issus de l’immigration.
Dans les années 90, le mouvement « homo » a été neutralisé par les franges lgbt des partis institutionnels de la gauche, qui l’ont enfermé dans le débat sur le PACS et la reconnaissance civique des couples de même sexe. Ce débat n’était pas réac en soi mais il est clair que ce fut une stratégie pensée d’enfermer le mouvement lgbt dans cette seule perspective intégrationniste.
Il y a donc dans les deux cas, toujours volonté de tuer dans l’oeuf tout mouvement qui pose les questions de l’oppression et de les dissoudre dans un pseudo-universel dominant.
LA MEFIANCE DU MOUVEMENT OUVRIER TRADITIONNEL.
Etre homosexuel, et militant homosexuel, dans le mouvement ouvrier et la gauche, c’est à mon avis bien connaître la manière dont la gauche y compris notre gauche peut invisibiliser nos luttes, et toutes les stratégies qu’elle met en place pour cela. Je pense que les reproches-interrogations qui apparaissent envers les camarades musulmans du Parti, dans le texte de Jacques, reprennent un peu les mécanismes que lui-même a eu à subir en tant que militant gay. Et c’est ce manque de mémoire militante, qui me dérange le plus.
Les mécanismes dominants envers les militants homosexuels depuis les années 70, fut des les invisibiliser, de rendre leur combat, secondaire au mieux.
Au mieux, car on peut se souvenir de manifestations du premier mai, dans lesquelles les services d’ordre de la CGT, viraient les manifestants du FHAR (front homosexuel d’action révolutionnaire). Ceci n’est pas anodin car cela montre bien qu’ à une certaine époque il était clairement impossible d’apparaître comme homosexuel dans une manifestation ouvrière. Et même si cela n’était pas exprimé ainsi, ce qui était en jeu à l’époque c’était bien la non reconnaissance de l’homosexualité dans la classe ouvrière ( c’est un vice bourgeois disaient les staliniens et une bonne partie de la gauche révolutionnaire) . Dans ce type de violence, c ’était bien la non reconnaissance de l’homosexualité comme réalité dans toutes les classes sociales y compris en milieu ouvrier, et c’était bien la non reconnaissance du combat homosexuel comme combat concernant le mouvement ouvrier, pour l’émancipation et la désaliénation humaine, au même titre que la lutte des femmes, qui se jouaient.
Les homosexuels en parlant de leur oppression étaient donc accusés dans nos termes actuels de communautarisme et par conséquent, crime fondamental, de diviser la classe ouvrière et de la dévier de son combat central anticapitalste. C’est exactement ce que Jacques reproche aux camarades musulmans qui veulent structurer la lutte contre l’islamophobie dans le parti, et dans des structures communautaires largement ouvertes aux alliances.
De la même manière et cela s’est déjà passé dans des manifestations de gauche , quand des femmes voilées ou des militants d’associations musulmanes progressistes sont présents en cortège avec leurs propres mots d’ordres, il arrive qu’elles/ils se fassent insulter et agresser. Certains groupes pseudo-anars ou néo-stals insultent des camarades musulmans, des femmes voilées dans des manifs et je souhaite que cela ne soit jamais le cas, de la part de militants du NPA.
Il me semble fondamental d’intégrer dans le mouvement progressiste ouvrier toutes les luttes contre les oppressions. Il est évident que la discrimination contre les musulmans monte en Europe aujourd’hui et que l’homophobie structurellement n’a pas fondamentalement reculé malgré quelques ouvertures légales. Par conséquent, il est également important de continuer à mener ses combats dans lesquelles des opprimés cherchent des solutions contre leur oppression spécifique, en lien avec toutes les formes du mouvement ouvrier dit traditionnel qui par ailleurs n’est pas le plus énergique en ce moment sur ses propres questions (retraite etc ....). Le Npa est le seul parti à gauche qui peut être capable de faire cette jonction. Il ne doit pas louper le coche. Si le Npa recule sur cette question, on repart des kilomètres en arrière et nous n’avons pas le temps. Il est le seul parti de gauche dans lequel des opprimés de vécus très différents peuvent lutter ensemble et apprendre à se connaître et à diminuer leurs préjugés réciproques (homos - trans/musulmans par exemple) et il est le seul à avoir des militants dans le mouvement ouvrier traditionnel et dans les nouvelles formes de résistance sociale (luttes contre l’islamophobie avec des progressistes musulmans). Cela peut être sa force. C’est la question centrale.
LES REPONSES AUX « SOUCHIENS » ET autres « HETEROFLICS »
L’oppression crée des cadres de résistance qui ne prennent pas toujours la forme que les militants progressistes du mouvement ouvrier voudraient avoir dans le cadre d’alliance avec les groupes opprimés.
Deux termes clefs du combat du mouvement , naissant des « Indigènes » aujourd’hui, d’une part , et du mouvement historique homosexuel sont des termes qu’il n’est pas toujours facile d’entendre quand on se pose comme militant progressiste.
Il s’agit des termes récent « souchien » et du terme des années 70, « hétéroflic ».
Que veulent-ils dire si on veut bien les entendre ?
« Hétéroflic », est un concept qui signifie que l’hétérosexualité peut être un dispositif d’oppression. On ne parle pas là de la pratique individuelle de la sexualité de tel ou telle, on parle d’un dispositif qui organise, qui divise, qui sélectionne, qui hiérarchise.
En effet, non seulement l’invention de termes au XIXe siècle comme homosexuel ou hétérosexuel, permet de mettre des dispositifs de contrôle sur les corps, les individus, les trajectoires des individus dans leurs classes. Parler d’hétéroflics, c’était rappeler aux hétéros des organisations progressistes que non seulement l’hétérosexualité comme politique, était discriminatoire, politique, construite historiquement mais aussi que chacun d’entre eux pouvait en être le vecteur personnel dans son rapport aux autres.
Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas avoir le même type de compréhension du concept « souchien ».
Les « Indigènes » n’ont pas inventé l’oppression qu’ils / elles subissent.
La création , (depuis que des immigrés ont été déportés dans notre pays pour construire ses routes, ses automobiles et les hlm où il ont été parqués), de la division « français d’origine immigrée »/ »français de souche » est un dispositif raciste de division de la classe ouvrière, qui discrimine, qui organise des dispositifs symboliques et institutionnels de division.
Nous pouvons le comprendre comme nous comprenons « hétéroflic ». Non seulement, la division « souchien »/« indigène » met en place une division qui est dramatique pour le combat contre cette société mais elle insiste aussi sur le fait que les « souchiens » comme les « hétéroflics » peuvent chacun dans le champ qui les concerne, reproduire des mécanismes d’oppression. Cela ne veut pas dire que tous les hétéro-blancs sont homophobes, islamophobes, racistes. Cela veut juste dire que nous ne sommes pas construits hors-sol même si progressistes, et que nous devons toujours faire attention même dans le parti, à ce que les mécanismes de non-compréhension des autres ne nous paralysent pas.
CONCLUSION TEMPORAIRE
Par conséquent, je ne dis pas du tout que tout cela est facile car cela fait des millénaires que les opprimés sont pris dans des oppressions diverses (sexuelles/religieuses/de genre et bien d’autres). L’oppression peut se développer à l’infini. Par conséquent, il y a toujours une partie de nous qui peut bénéficier d’un rapport social quand une autres est maltraitée et c’est bien la raison pour laquelle une politique globale de lutte contre l’oppression est difficile. Nos ennemis savent qu’ils peuvent jouer sur ce mécanisme. Non seulement nos adversaires le savent, mais nous ne le savons , nous pas toujours et il est vrai qu’il peut-être difficile de faire rentrer dans la même boite, le droit à la prière et le droit à la partouze (pour aller vite) mais dans le débat, dans la confrontation, il est nécessaire de toujours garder dans l’horizon que nous voulons défendre, musulmans, athés, croyants, féministes, progressistes... la plus grande liberté possible pour le plus grand nombre. Et je suis persuadé que les musulmans progressistes avec lesquels nous militons et militerons, avec accrocs, avec débats, avec agacements réciproques ( comme avec beaucoup d’autres) luttent aussi pour cette extension de la liberté à l’infini pour l’humanité entière. Pour cela il ne faut pas aborder la lutte des jeunes musulmans aujourd’hui comme étant une lutte pour le Dogme religieux mais comme une construction sociale d’émancipation qui se frotte aux autres. Le voile dans ce cadre est incontestablement un symbole de soumission à Dieu, et un étendard d’affirmation. Il ne représente que ce que les rapports sociaux en feront émerger, ce qui nécessite d’être à leur côté.
Jean Louis Touton