C’est le 12 janvier, qu’a débuté la grève à la Raffinerie des Flandres de Dunkerque. Les salariés de Total en ont eu assez du mépris affiché par la direction du groupe pétrolier. Ils ont exigé de connaître en détail le projet exact de la direction de Total, et que celle-ci cesse de jouer avec les angoisses des salariés. Ils exigent que les travaux du « grand arrêt quinquennal » (entretien général périodique nécessaire au fonctionnement de la raffinerie) soient réalisés et que la raffinerie redémarre ses activités pour 5 ans.
Pourquoi 5 ans ? Parce que cela laisse une période pendant laquelle le mûrissement, la concertation et la concrétisation d’un éventuel projet industriel viable peut se construire, avec les salariés. L’hypothèse d’une reconversion n’est pas taboue : elle ne peut s’envisager sans garantie pour les salariés de Total, pour les salariés des entreprises sous-traitantes, et sans prendre le temps que reconversion ne rime pas avec exclusion des salariés !
Une grève importante
La grève des salarié-e-s de la Raffinerie des Flandres a une portée et une importance nationales : à travers le mouvement qui a touché l’ensemble des raffineries Total, bien sûr ; mais aussi importance nationale du mouvement qui a débuté à Dunkerque, mi-janvier.
La grève de la Raffinerie des Flandres fait partie de ces mouvements sur lesquels nous devons nous appuyer, des mouvements dont il faut tirer les enseignements, mettre en exergue les forces et les faiblesses pour que, tous, nous soyons plus forts demain. Un peu comme, en 2009, la grève des New Fabris à Châtellerault, celle des Continental de Clairoix, ou encore la lutte des Philips de Dreux en ce début d’année 2010 (lutte entamée d’ailleurs depuis des mois !) Et puis, il y a aussi toutes ces luttes dont on parle peu ou pas, y compris dans les réseaux militants, et qui pourtant témoignent d’une volonté des travailleurs/ses des résister, de se battre, … et de se battre aussi pour gagner de nouveaux droits, de meilleurs conditions de travail, des salaires plus élevés. Car les luttes, nos luttes, ne sont pas que défensives.
Seulement, lorsqu’à travers les grèves, les assemblées générales, les discussions sans sectarisme, les salarié-e-s en arrivent à parler de « ce qui doit changer », ils/elles ne sont pas loin de poser eux-mêmes la question de « quelle société nous voulons ? », puis de « comment rompre avec l’organisation actuelle de la société ? », cette organisation – il faut le rappeler – qui repose sur l’exploitation de celles et ceux qui bossent, par une infime minorité : les patrons et les actionnaires.
Et il y a pas mal de monde que ça dérange, lorsque les travailleurs/ses, d’une manière ou d’une autre, prennent leurs affaires en mains : les patrons, les politiques de droites, ceux qui sous des formes diverses perpétuent la – mauvaise – tradition des syndicats jaunes, mais aussi, dans un autre genre, toutes celles et tous ceux qui se sont trouvé-e-s un boulot bien particulier : celui de parler, et de vouloir décider, à la place des travailleurs/ses.
On pourrait penser qu’on s’éloigne de la grève de Total en évoquant cela. Ce n’est pas le cas !
* Refus de se laisser détruire par des décisions prises par d’autres, et pour des considérations uniquement financières.
* Grève gérée par les travailleurs/ses eux-mêmes, en Assemblées Générales ; des salarié-e-s qui décident eux-mêmes des initiatives à mener, qui décident eux-mêmes que la direction n’a plus rien à faire dans cette raffinerie, qu’elle ne dirige d’ailleurs pas en réalité.
* Une solidarité très forte des collègues des autres sites Total, qui a transformé en mouvement national reconductible, une grève que beaucoup de voulait que « de témoignage ».
C’est tout cela, la grève des Total !
Grève active
Dans cette usine, c’est SUD qui est le syndicat majoritaire. La grève est animée par une intersyndicale SUD/CGT/FO, deux assemblées générales quotidiennes permettent à tous les salariés de participer aux décisions, de définir les actions à mener, de partager les informations.
Depuis le 12 janvier, le piquet de grève est installé aux portes de l’usine. De nombreuses manifestations, à Dunkerque et à Paris, ont été organisées ; celle devant le siège de Total, à La Défense (Paris) ont montré une direction qui refuse de rencontrer la délégation des grévistes et de leurs syndicats, et envoie la police contre les salariés. Après 3 semaines de grève, les grévistes avaient prévenu : « si la direction persiste dans son blocage, nous reprendrons nos locaux de travail, ils sont à nous ! » … et c’est ce que les grévistes ont mis en pratique, en invitant la direction du site à se retirer dans quelques bureaux généreusement laissés à leur disposition … tandis que les drapeaux syndicaux et les banderoles des grévistes flottent au fronton de la raffinerie.
Grève nationale
Alors que la grève à Dunkerque durait depuis déjà un mois, les fédérations syndicales de la Chimie CGT, CFDT, FO, CGC et Solidaires appelaient à un mouvement national dans l’ensemble des raffineries Total. L’extension nationale a été vécue, à juste titre, comme un moment important, par les grévistes de Dunkerque. La généralisation de la grève ne s’est d’ailleurs pas faite que sur la question de la solidarité. Partout, les salarié-e-s de Total avaient bien des raisons, et bien raison, de se mettre en grève.
Hélas, après 5 jours d’un mouvement reconduit sous l’impulsion des Assemblées Générales de grévistes, la fédération CFDT puis le lendemain la fédération CGT appelaient à cesser cette grève.
Le protocole que SUD n’a pas signé fait l’impasse sur les raisons fondamentales de ce conflit, à savoir le soutien et la solidarité envers les salariés de la Raffinerie des Flandres menacée de fermeture. La revendication principale était le maintien des « grands arrêts » (entretien général périodique) programmés pour le mois prochain, suivis par un redémarrage de l’activité de raffinage sur ce site en attendant une réflexion plus approfondie sur des projets de reconversion industrielle.
Si la pérennité des 5 autres raffineries est évoquée par la Direction de Total, il n’y a par contre aucun engagement au niveau du volume d’activités et du nombre d’emplois maintenus sur ces 5 sites. Enfin, les « tables rondes » ne comportent pas d’obligation de résultat d’aucune sorte, et ne prennent absolument pas en compte la revendication initiale du maintien de l’activité de la Raffinerie des Flandres.
L’arrêt de ce mouvement national est une mauvaise chose pour les grévistes de Dunkerque. Il faudra prendre le temps de comprendre pourquoi la grève a été arrêtée, alors qu’elle arrivait, à coup sûr, à un moment déterminant dans le rapport de forces avec la direction de Total et aussi avec le gouvernement. Il faudra tirer le bilan de tout ça, collectivement.
Grève contre les exploiteurs
Mais pour le moment, l’important c’est de continuer à soutenir les grévistes de Dunkerque. D’autant que nous savons pouvoir compter pour ce soutien sur de nombreuses forces : localement bien sûr, mais aussi régionalement, et aussi nationalement. L’enjeu est là : il nous faut bâtir un mur de solidarité autour des camarades de Total.
En face, c’est le mur de l’argent, le mur du cynisme, le mur de l’inhumain. Les bénéfices de Total en 2009, c’est près de 8 milliards d’euros (2009, c’est l’année de la crise !), après les 13,9 milliards de 2008.
Et avec ça, les actionnaires de Total veulent faire croire qu’ils/elles n’ont pas d’autre choix que de fermer la Raffinerie des Flandres ! Un autre choix, il y en a un, de très simple : maintenir en activité la raffinerie, garantir l’avenir des salarié-e-s du site (Total et sous-traitants), et tant pis si cela ponctionne un peu les actionnaires !
Grâce au travail des salarié-e-s de Total, dont ceux de Dunkerque, les actionnaires ont empoché 5,4 milliards de dividendes en 2009, presque 3 fois plus qu’en 2000 ; avec ça, ils/elles doivent pouvoir survivre, même si la Raffinerie des Flandres ne ferme pas.
Alors que de l’autre côté, pour les salarié-e-s de Total, pour les salarié-e-s des boîtes de sous-traitance, pour les proches de tous ces travailleurs/ses, l’arrêt définitif de la raffinerie aurait des conséquences très graves.
L’exploitation des salarié-e-s, le profit pour les actionnaires, c’est ce qu’on retrouve partout. C’est ce qui explique cette crise dont on nous parle pour essayer de nous convaincre qu’il faut accepter la situation telle qu’elle est, voire accepter pire.
Et bien, non ! Nous n’acceptons pas, nous ne nous résignons pas.
Nous refusons de subir la violence patronale et l’injustice sociale !
Car cette crise, c’est celle du système capitaliste, ce système organisé sur la base de notre exploitation.
Face à cela, il y a nécessité d’unifier nos résistances, d’unifier celles et ceux qui veulent vraiment que ça change, et que ça change vraiment.
Grève et unité d’action syndicale
La question de l’unité d’action syndicale est posée. On le voit encore à travers le conflit à Total, au niveau national ce n’est pas simple. Au plan interprofessionnel, cela s’est traduit par l’appel CGT – CFDT – UNSA – FSU – Solidaires à des grèves et manifestations, dans tout le pays, le 23 mars.
Evidemment, cette journée n’est pas une fin en soi. Les équipes syndicales Solidaires sont disponibles pour construire ce mouvement interprofessionnel national dans les prochaines semaines. C’est le mandat de travail de l’Union syndicale Solidaires au niveau national ; cela, en rapport avec la réalité de la situation sociale déjà évoquée, et avec le bilan des stratégies de lutte, adoptées ces dernières années.
Le syndicalisme a cette responsabilité de proposer des actions qui permettent de gagner, pas seulement de se compter. Nous savons que c’est une volonté partagée par de nombreux collectifs militants d’autres organisations syndicales que Solidaires.
Il s’agit de rassembler toutes celles et tous ceux qui assument l’affrontement social, qui ne nient pas la réalité de la lutte des classes. Bref, celles et ceux qui veulent faire du syndicalisme, car qu’est ce que le syndicalisme, si ce n’est l’organisation collective des travailleurs/ses en tant que classe sociale, pour défendre leurs intérêts, et pour la transformation sociale ? Le reste, cela s’appelle au mieux de l’accompagnement social, à des degrés divers.
Ce que nous voulons construire, c’est avec les travailleurs/ses que ça se passe, ce n’est pas une affaire entre militant-e-s, encore moins une lutte de pseudo-pouvoir entre organisations syndicales ou au sein d’organisations syndicales.
Nous ne voulons pas regarder, commenter et critiquer ce qui se fait ; nous voulons faire ! Et nous allons faire ensemble ! Ensemble, comme les salarié-e-s de la Raffinerie des Flandres !
Les premières pierres du « mur de solidarité », ce sont les salarié-e-s de Total qui les ont posées. Il nous faut maintenant prendre le relais. Faisons vivre le soutien aux Total. Il faut reprendre, marteler, populariser, et agir pour la revendication des grévistes eux-mêmes : exécution, maintenant, des travaux de maintenance, redémarrage de la raffinerie, une fois ces travaux finis.
L’Union syndicale Solidaires s’inscrit nationalement dans cette dynamique. Nous savons que bien d’autres collectifs militants, syndicaux, associatifs, politiques, le feront aussi.
SUD–Total
15 mars 2010