10 thèses sur la religion, sa présence dans le parti et sa représentation publique
Samy Johsua
1/ Le NPA est fondé sur le matérialisme historique. Autrement dit, il considère que les évènements qu’il peut interpréter et qui touchent l’humanité dépendent de la nature, et des actes des humains. Pour ces derniers, ce sont les rapports sociaux qui constituent le moteur des évolutions historiques, et non pas l’idée qu’ils se font du monde.
2/ Le parti n’est pas athée, puisqu’il ne décide pas de la question de Dieu. Cette dernière question, comme Marx l’a montré, est « indécidable », au delà des sciences.
3/ Cependant, comme dit toujours Marx, « la critique de la religion est la condition première de toute critique ». Il faut prendre ceci au sens où l’esprit critique doit pouvoir se déployer librement sans se voir à aucun moment opposer une vérité réputée incontestable du seul fait qu’elle est issue d’une religion ou d’une parole révélée. D’autant que dans leur interprétation majoritaire, celles-ci comportent des aspects singulièrement oppressifs pour les femmes.
4/ Dans le cas le plus général, les Institutions religieuses ont partie liée avec l’ordre dominant, dont elles se nourrissent tout en en défendant les bases. Cela dit la lutte des classes parvient régulièrement à détacher des fractions y compris de ces Institutions : en bloc, ou en partie, ou encore au niveau des individus.
5/ La religion demeure cependant dans de larges régions du monde « le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur… l’opium du peuple ». On ne peut en sortir par la seule raison, mais fondamentalement par la lutte commune : « Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. ». Il s’en déduit que pour nous, unir les travailleurs-ses par delà leurs divergences religieuses est la voie à suivre.
6/ Il s’en déduit aussi que contrairement à la plupart des Institutions religieuses, les croyants en tant que tels ne sont pas des ennemis, mais, comme gens du peuple, des alliés potentiels. Il s’en déduit tout aussi automatiquement qu’ils ont leur pleine place dans notre parti si, comme tous les autres membres, ils en partagent les principes, et rejettent bien entendu tout prosélytisme.
7/ Pour le NPA – sans partager l’idée d’une quelconque neutralité de l’État -, la laïcité se définit comme la séparation entre les Institutions publiques et les Institutions religieuses, interdisant aux secondes toute intrusion formelle dans la formation de la décision et des choix politiques. La laïcité garantit la liberté de pensée (dont celle de critiquer les religions), ainsi que le droit au culte et la liberté de religion. Ceci au plan privé, comme au plan de ses manifestations publiques. Inversement il en découle que les Institutions publiques doivent observer une stricte séparation avec toute manifestation religieuse, et que ses représentants doivent observer un devoir de réserve vis-à-vis de leurs croyances personnelles, sans manifestation visible de celles-ci. Dans notre conception cependant, un-e élu-e politique représente le programme sur lequel il-elle a été élu-e, pas le mythe bourgeois d’une « République une et indivisible ».
8/ Le parti est lui-même laïque et n’organise aucune propagande contre les croyances religieuses en tant que telles. Il s’oppose aux Institutions religieuses en tant qu’elles se constituent en centres de pensée et d’action réactionnaires. En son sein, tous les membres partagent ces principes de fond, et, croyants ou pas, disposent des mêmes droits et devoirs. Il s’en suit que les croyants peuvent se porter candidats à la représentation du parti.
9/ En France la sécularisation est la règle générale, dans toutes les parties de la population. Avec toutefois des décalages dans le temps pour certaines d’entre elles. Il nous faut veiller d’un côté à ne pas favoriser le retour de l’influence d’Institutions religieuses toujours promptes à vouloir contrôler nos vies. Mais d’un autre côté, dans une situation de rejet social et raciste d’une partie majeure du prolétariat en France, doublée d’islamophobie, et, où, en réaction, se manifeste parfois une affirmation de caractère religieux, nous ne devons pas faire de la relation à la religion un obstacle à l’entrée dans la lutte anticapitaliste dans les secteurs où son influence demeure incontestablement notable.
10/ Le parti doit s’interdire toutefois à ce qu’une croyance affichée de ses candidats ne soit comprise comme un appel à voter pour une religion particulière. Pour l’éviter il faut que l’investissement social reconnu et public du ou de la candidate en question prenne immédiatement, massivement et incontestablement le pas sur l’appartenance religieuse, et ceci non seulement aux yeux du parti, mais à ceux de la grande majorité de la population. Il y faut donc un débat spécial et des circonstances particulières et, inévitablement, rares. Et, évidemment ce n’était pas le cas de la candidature de Ilham.
* Contribution de Samy Johsua publiée dans premier fascicule du Bulletin électronique de discussion initulé « religion, émancipation, laïcité, féminisme » préparatoire à la réunion du Comité politique national (CPN) du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) des 28 et 28 mars 2010.
En réponse à Samy, formuler des règles ou une politique du parti vis-à-vis des religions ?
Sans doute par souci de commencer à formuler une conclusion pour trancher les doutes et indécisions de nos discussions, Samy a énoncé 10 thèses sur la religion et le parti qui, comme il nous l’a dit lors du dernier CPN, se veulent une codification de la question, irréfutable selon ses propres mots. Je suppose que Samy ne prétend pas à l’infaillibilité mais qu’il voudrait codifier un problème politique complexe par des règles irréfutables, c’est-à-dire qui s’imposent à tous pour éviter flottements voire errements. On voudrait partager la préoccupation mais je crois qu’il y a une erreur de méthode et je reste pour ma part sur une démarche plus ouverte, celle que nous avions essayé de formuler Monica et moi, dans un autre texte intitulé « Quelques points de discussion sur l’attitude de notre parti à l’égard de la religion ». Il s’agit d’essayer de définir une démarche politique plus que d’établir des règles. Comme le démontrent la discussion et les faits récents, cette question, pas plus que toute autre, n’a pas de réponse formelle. Et le débat nous renvoie à notre propre cohérence, cohérence de parti socialiste, révolutionnaire qui ne saurait se définir comme parti laïc. C’est cette cohérence et la démarche qui en résulte que la discussion a pour but de clarifier. Une première étape de cette discussion a eu lieu au CPN la deuxième sera celle du congrès mais il me semble nécessaire de préciser quelques points afin que cette idée de parti laïc ne s’impose pas comme une évidence alors qu’elle ne correspond pas à notre projet.
La première thèse nous dit « Le NPA est fondé sur le matérialisme historique ». Je ne crois pas que nous puissions dire cela ainsi. Le NPA est fondé sur un programme politique, celui de la transformation révolutionnaire de la société, qui renvoie aux conceptions modernes, scientifiques du socialisme dont Marx et Engels ont élaboré les bases. Cette conception n’est pas un dogme ou une idéologie, elle ne se limite pas à l’histoire ni n’est achevée. Elle prend appui sur les connaissances scientifiques modernes, une compréhension matérialiste dialectique, peut-être pourrait-on dire évolutionniste du monde qui n’a rien à faire de l’hypothèse de dieu. Le marxisme est une référence, une philosophie, une méthode.
Samy écrit plus loin : « Pour ces derniers [les hommes], ce sont les rapports sociaux qui constituent le moteur des évolutions historiques, et non pas l’idée qu’ils se font du monde. » Mais qu’est-ce donc que l’évolution historique si ce n’est l’évolution des rapports sociaux ? Cette évolution s’expliquerait par elle-même, certes, c’est indiscutable mais insuffisant. Pourquoi ne pas parler de lutte de classes ? L’évolution des sociétés s’explique quant au fond par l’évolution des sciences et des techniques, des moyens de production, et leur moteur, c’est la lutte de classes et donc aussi les idées que les hommes se font du monde et leur évolution. Etre matérialiste ne nie en rien le rôle des idées mais il tente d’expliquer et de comprendre ces dernières en relation avec les conditions d’existence.
Ensuite, Samy écrit : « Le parti n’est pas athée, puisqu’il ne décide pas de la question de Dieu. » Certes, d’une certaine façon, on pourrait dire que nous ne sommes pas athées puisque pour nous la question de dieu est vaine, ne se pose pas. Mais ce n’est pas ce que dit Samy. Il dit que nous ne savons pas ni ne pouvons démontrer l’indémontrable… Donc, tout est ouvert… Désolé, mais nous sommes athées au sens où nous sommes sans dieu, mécréants entre les mécréants…
Après avoir cédé à l’agnosticisme, Samy reprend l’offensive avec l’aide de Marx. Il le cite : « la critique de la religion est la condition première de toute critique », mais recule aussitôt pour donner à cette phrase le sens d’une simple revendication, au mieux exigence pour la pensée de « pouvoir se déployer librement sans se voir à aucun moment opposer une vérité réputée incontestable du seul fait qu’elle est issue d’une religion ou d’une parole révélée. » On est en droit de donner à cette idée de Marx une autre force contestatrice. Que serait le droit à une pensée libre si cette pensée ne cherchait pas à œuvrer à saper les bases mêmes de la religion ? Pour Marx comme pour nous, toute critique passe par la critique des fondements idéologiques et moraux de la religion, c’est-à-dire des principaux préjugés qui justifient la soumission à l’ordre établi.
Ensuite Samy nous entraîne dans sa cinquième puis sa sixième thèse dans un raisonnement qui se conclut par une série de déductions qui auraient la force de l’évidence et… force de loi ! Cette méthode déductive aboutit à d’étranges résultats.
La première déduction est ainsi formulée : « pour nous, unir les travailleurs-ses par delà leurs divergences religieuses est la voie à suivre. » La religion devient une divergence, étonnant. A partir d’une évidence -nous travaillons à l’unité des opprimés, par delà les croyances, les nationalités...-, Samy fait de la religion une simple divergence. L’unité que nous cherchons à construire est celle de la lutte et nous savons que c’est à travers la lutte et la solidarité que les opprimés pourront se libérer des habitudes de soumission qui sont le terreau des croyances religieuses, qu’ils trouveront la fraternité ici et maintenant sans avoir besoin de l’attendre de la soumission à un faux espoir… Mais cela ne nous fait pas oublier que les religions, comme tous les préjugés, tendent à diviser.
Ensuite, deuxième déduction : « contrairement à la plupart des Institutions religieuses, les croyants en tant que tels ne sont pas des ennemis, mais, comme gens du peuple, des alliés potentiels » Là encore, une évidence (relative, l’opposition entre institution et croyants est pour le moins mécanique, les institutions ne tiennent pas leur pouvoir que du ciel ! ) qui n’a d’autre intérêt que d’amener la troisième déduction : « Il s’en déduit tout aussi automatiquement qu’ils ont leur pleine place dans notre parti si, comme tous les autres membres, ils en partagent les principes, et rejettent bien entendu tout prosélytisme. » Formellement, oui, mais les choses ne sont peut-être pas si automatiques sinon on ne comprend pas les débats et la crise que nous connaissons. Et, de fait, on en revient au point de départ, l’attitude du parti à l’égard de la religion.
Samy poursuit en donnant de la laïcité une définition trop étroite : « la laïcité se définit comme la séparation entre les Institutions publiques et les Institutions religieuses, interdisant aux secondes toute intrusion formelle dans la formation de la décision et des choix politiques. » Pour dénoncer plus loin « le mythe bourgeois d’une « République une et indivisible ». La définition qu’il donne de la laïcité n’est pourtant rien d’autre que celle correspondant à ce mythe bourgeois. Pour nous, la laïcité considère la religion comme une affaire privée, ce qui implique la séparation de l’Etat des institutions religieuses et donc la fin de toute aide de l’Etat à ces dernières. Cela n’implique pas la neutralité. L’Etat devrait avoir pour tâche de développer l’enseignement des connaissances et des sciences qui sapent les bases des conceptions divines.
Il poursuit : « Le parti est lui-même laïc et n’organise aucune propagande contre les croyances religieuses en tant que telles ». Qu’est-ce que cette invention ? Le parti serait-il en deçà d’un instituteur qui fait correctement son travail et enseigne les théories de l’évolution en écartant par avance toute conception créationniste ? Non, une telle passivité reviendrait à de l’opportunisme. Si le parti n’agresse pas les croyances, pas plus qu’ils n’agressent d’autres préjugés ou fait la morale aux opprimés, il éduque, ne craint pas de faire de l’agitation, de la propagande pour les idées du socialisme scientifique, d’argumenter la perspective du socialisme à partir de l’évolution des sociétés humaines. Il éduque, explique, convainc, entraîne dans la lutte.
Et poursuit Samy, « en son sein, tous les membres partagent ces principes de fond, et, croyants ou pas, disposent des mêmes droits et devoirs. Il s’ensuit que les croyants peuvent se porter candidats à la représentation du parti ». Sauf qu’une fois que l’on a dit ça, on n’a rien dit. Et Samy devrait bien l’avoir compris avec ce qui s’est passé à Avignon. Il semble raisonner comme s’il voulait ignorer la réalité, l’enfermer dans des formules. N’est-ce pas ce raisonnement qui l’a lui-même aveuglé ? Ecrire ça aujourd’hui n’est-ce pas tout justifier, et la candidature et l’attitude de celles et ceux qui ont laissé faire ? Nous ne discutons pas abstraitement, nous avons une expérience, commune même si certains camarades en étaient plus directement informés que bien d’autres, une expérience pénible. Nous n’avons aucun intérêt à faire comme s’il ne s’était rien passé.
« Nous ne devons pas faire de la relation à la religion un obstacle à l’entrée dans la lutte anticapitaliste dans les secteurs où son influence demeure incontestablement notable. » Le parti aurait-il le pouvoir de décider qui participe ou non à la lutte anticapitaliste ? Bien évidemment non et il ne le souhaite bien au contraire mais il a le devoir de ne pas être passif, de jouer son rôle d’éducateur, de direction plutôt que de s’adapter passivement.
Et c’est bien là le problème, celui d’avoir une politique démocratique et révolutionnaire. Démocratique parce que sans démocratie il n’y a pas d’éducation des exploités par l’action individuelle et collective, par l’expérience partagée, les débats, les confrontations, les vérifications… Révolutionnaire parce qu’il encourage chacune et chacun à devenir des acteurs de cette démocratie, acteur de leur propre émancipation pour briser les chaînes de l’oppression et des préjugés… Et le fond de la question est bien que nous ne sommes pas neutre à l’égard de la religion ou des croyances religieuses, nous ne sommes pas un parti laïc.
En bons matérialistes, nous sommes convaincus de la force des idées, de la compréhension des rapports de classes, du rôle de la religion dans l’histoire comme dans ces luttes de classes… La force des idées quand elles décrivent des réalités objectives et permettent aux hommes de les comprendre pour agir et transformer le monde, pour partir à l’assaut d’un ciel depuis longtemps abandonné par les dieux et les déesses…
Le 5 avril 2010