Le contre-sommet européen de Nice avait, pour ATTAC, deux objectifs. Le premier portait sur des questions concrètes : essentiellement la critique de la Charte des droits fondamentaux et le refus de la modification de l’article 133 du traité d’Amsterdam relatif au commerce des services et à la propriété intellectuelle. Le second était plus général : il s’agissait de faire de Nice le point de convergence entre mouvements sociaux (syndicats et mouvements de chômeurs et de lutte contre les exclusions, regroupés dans les Marches européennes) qui se mobilisent traditionnellement au moment des sommets de l’Union, et les mouvements de lutte contre la mondialisation libérale (ATTAC, Movimiento de resistencia global d’Espagne, etc.) qui, à ce jour, avaient été surtout présents à l’occasion de sommets « mondiaux » (FMI et Banque mondiale, OMC, G-7).
Globalement, un bilan extrêmement positif
L’objectif qui consistait à faire de Nice un moment fort de refus de la construction libérale de l’Europe a été totalement atteint. Malgré des analyses divergentes sur le contenu de la Charte, tous les manifestants étaient, à des degrés divers, porteurs de l’exigence d’une autre Europe. De plus, la présence d’un courant plus radical autour de l’appel « Pour une autre charte » - dont ATTAC était la force principale - a fortement marqué ce contre- sommet.
Les commentaires de la presse écrite et audiovisuelle en témoignent : l’entrée dans l’arène européenne de mouvements présentés sommairement, à tort, comme « antimondialisation » - nous précisons toujours les choses en nous présentant comme opposés à la mondialisation libérale - a constitué le fait marquant des initiatives de Nice. Dans ce cadre, ATTAC a eu la vedette, parce que nous étions présents sur tous les terrains (du bain de mer le premier jour à l’invasion de Monaco le lendemain, en passant par la manifestation du 6 décembre, les initiatives du 7 et les différents forums), et que nous étions au cœur de l’effort de convergence entre mouvements sociaux et mouvements opposés à la mondialisation libérale.
Ce succès a été tel qu’il pourrait poser des problèmes. Du côté des syndicats, il n’est pas certain que le bilan tiré soit partout le même et que chacun d’entre eux soit conscient de la nécessité d’insérer davantage le syndicalisme, comme l’a fait l’AFL-CIO aux Etats-Unis, dans le combat contre la mondialisation libérale. Du côté des mouvements de chômeurs, enfin, leur faible visibilité - qui s’explique pour partie par l’impossibilité, pour nombre d’entre eux, de se rendre à Nice en raison des blocages dans les gares - risque de les marginaliser. Il nous faudra être attentifs à ces questions et essayer, dans la mesure de nos moyens, de continuer à peser dans le sens des convergences.
Des résultats moins lisibles, mais importants, sur nos objectifs précis
Nous avions pu, dans les jours qui ont précédé Nice, faire passer le message sur nos objectifs précis. Notre critique de la Charte commençait à être entendue. De plus, nous avions obtenu de nombreux articles dans la presse sur l’article 133, et une réelle sensibilisation des réseaux militants a eu lieu sur ce point.
A Nice, ces messages ont été moins lisibles. La position de la Confédération européenne des syndicats (CES) - intégrer la Charte au traité malgré ses défauts - a brouillé le message. Cependant, l’adoption en catimini de cette Charte et sa non intégration dans le traité, due essentiellement à l’opposition des gouvernements les plus libéraux (le Royaume-Uni, notamment), vont faire de ce texte un document sans portée réelle. Au vu de son contenu, ce résultat est paradoxalement la moins mauvaise solution.
Enfin, les cafouillages du sommet lui-même n’ont pas permis de connaître précisément sur le moment les décisions prises sur l’article 133. Le texte final, maintenant disponible, confirme cependant que “ le commerce des services culturels et audiovisuels, des services d’éducation, ainsi que des services sociaux et de santé humaine ” reste soumis à la règle de l’unanimité. C’est un succès important, même si la procédure de la majorité qualifiée a été adoptée pour les mandats à donner à la Commission dans les autres domaines du commerce des services et de la propriété intellectuelle.
Sous-estimation des problèmes organisationnels
Nous avons été sur la corde raide sur ces questions, avant et pendant le sommet. Nous avons sous-estimé les difficultés d’organisation des départs vers Nice, et nous nous y sommes pris trop tardivement. Pendant le sommet, le travail considérable accompli par le collectif de Nice - reposant largement sur ATTAC 06 - et auquel il faut chaleureusement rendre hommage, n’a pas suffi à résoudre tous les problèmes. Une plus forte présence de responsables nationaux d’ATTAC aurait été utile.
Les incidents : qui est responsable ?
Sans parler de celle, prévisible, de la mairie de Nice, l’attitude du gouvernement, avant et pendant le sommet, a représenté un véritable déni de la démocratie. Les autorités ont multiplié les obstacles, refusant jusqu’au dernier moment d’accorder des lieux de débats pour organiser un contre-sommet. Même refus de négocier une solution pour les chômeurs souhaitant se rendre à Nice et refoulement de ceux-ci lorsqu’ils ont voulu monter dans les trains. Enfin, le préfet a interdit l’entrée en France d’un train transportant plus d’un millier de manifestants italiens parfaitement en règle. Une telle attitude en dit long sur les réalités de la construction européenne : toute liberté pour les marchandises et les capitaux, mais pas pour les citoyens ! Sur ce sujet spécifique, il nous faudra envisager une réaction légale commune avec les militants italiens (l’association Ya Basta et le Parti de la Refondation communiste).
L’ensemble de ces éléments a créé un climat de forte tension, avivé par le déroulement des manifestations du 7 décembre, qui visaient à encercler pacifiquement le centre de conférences. Il s’agissait, en montrant notre détermination non-violente, de marquer politiquement l’ouverture du sommet. Dans ce cadre, l’attitude des forces de l’ordre a été la principale responsable des incidents qui ont éclaté. En grenadant fortement et en chargeant les manifestants (et les journalistes), les forces de police ont pris l’initiative d’affrontements que les militants d’ATTAC, s’interposant chaque fois qu’ils le pouvaient, ont tout fait pour prévenir, comme l’a d’ailleurs signalé l’AFP.
Les incidents violents, qui ont été le fait d’éléments marginaux dans la manifestation, ont été utilisés par le pouvoir et une partie des médias pour tenter de déconsidérer le contre-sommet. Si ATTAC se démarque catégoriquement de tels agissements, il ne faut pas pour autant en exagérer la portée. Ce qui se dégage de Nice, ce n’est pas principalement ces incidents, mais la force des mouvements sociaux et de leurs exigences, et l’incapacité des gouvernements de l’Union à y répondre.
Après Seattle, Washington et Prague, Nice a confirmé que les sommets des décideurs mondiaux sont maintenant autant de moments forts de mobilisation contre la mondialisation libérale. Le prochain rendez-vous pourrait être la réunion du G-7, en juin prochain à Gênes.
ATTAC France, Paris, le 12 décembre 2000