En septembre 2009, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, suscitait l’indignation en disant, lors de l’université d’été de l’UMP : « Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ». Confronté au manque d’initiatives des acteurs de la gauche, un collectif [1] s’est créé et a décidé d’organiser une action, le 1er mars, une « journée sans immigrés ». Ce jour-là, les immigrés sont appelés à ne pas participer à la vie économique du pays, c’est-à-dire ne pas se rendre au travail et ne pas consommer. « 24 heures sans nous » sera le slogan de cette journée, une action inédite qui a pour but de montrer que l’immigration n’est pas un « problème » mais représente au contraire un apport important à l’économie du pays.
Une action similaire, « A day without an immigrant », a eu lieu, le 1er mai 2006, aux États-Unis sous l’administration Bush, après l’annonce d’un projet de loi prévoyant que « toute personne résidant illégalement aux États-Unis sera considérée comme criminelle, ainsi que toute personne hébergeant ou employant un immigré clandestin ». Près de deux millions de manifestants avaient défilé ce jour-là à Los Angeles.
En France, le mouvement de grève des 6 000 travailleurs sans papiers, qui a débuté le 12 octobre, a fait tomber l’argument mensonger de la droite présentant les immigrés comme des assistés profitant des aides sociales. De nombreux secteurs d’activité sont touchés par ces grèves : sociétés de nettoyage, chantiers du tramway, BTP, boîtes d’intérim, aides aux personnes…
Les grévistes réclament leur régularisation et l’accès aux droits fondamentaux de tous les travailleurs. Ils font éclater au grand jour leurs conditions de travail et leur exploitation indigne. Ils montrent qu’ils sont au cœur d’un système, utilisés comme une main-d’œuvre bon marché par des entreprises privées et publiques tout en étant victimes de la répression policière. Cette grève met les patrons et le gouvernement dans l’embarras car elle montre clairement que la situation des sans-papiers profite aux patrons en leur permettant de dégrader les salaires et les conditions de travail de tous les travailleurs.
L’initiative de la journée sans immigrés du 1er mars se veut une action coup de poing, une occasion de montrer que la France ne peut se passer de l’immigration et de susciter une prise de conscience dans la population. Elle est devenue rapidement très populaire auprès des immigrés et des enfants issus de l’immigration. Les réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, ont contribué à ce boom médiatique. Des milliers de personnes se déclarent aujourd’hui prêtes à rejoindre ce mouvement du 1er mars.
Même si on peut se réjouir de cette initiative, aucune manifestation n’est prévue ce jour-là afin, selon les fondateurs du collectif, d’éviter des débordements. Le cadre organisationnel s’est voulu dès le départ informel et flou pour « rester une plateforme la plus large possible, pour toucher le plus grand nombre, de droite comme de gauche » (Nadia Lamarkbi, présidente du collectif). Une lettre a même été envoyée par le collectif à Nicolas Sarkozy pour qu’il se joigne à cette initiative de par ses origines hongroises. On espère que c’est par dérision…
Les personnes victimes du racisme au quotidien sont souvent les plus précaires et les plus pauvres et certaines ont déclaré ne pas pouvoir prendre le risque de s’absenter du travail. Le collectif n’a pas su impliquer les syndicats pour déposer un appel à la grève massive à cause d’une prétendue peur de récupération politique. Il propose à défaut la mise en place d’un brassard solidaire. Un appel à la grève associé à une manifestation aurait permis à un plus grand nombre de personnes, immigrées ou pas, de s’impliquer et de rendre cette action plus visible. Aucune stratégie à long terme n’a été définie et on peut regretter le manque de revendications. Une telle initiative aurait pu être l’occasion de faire le lien avec la régularisation de tous les sans-papiers, la suppression du ministère de l’Identité nationale.
Les limites de la journée sans immigrés du 1er mars en France ne doivent pas nous empêcher de constater que cette action est une des rares propositions concrètes qui a émergé au moment où le gouvernement utilise le racisme comme arme de division. La gauche française a été malheureusement incapable ces derniers mois d’apporter une réponse conséquente à la question du racisme d’État et aux multiples dérapages du gouvernement. Le NPA doit à présent se saisir de cette journée et être une force de proposition, soutenir cette action et la rendre plus combative afin qu’elle serve comme point d’appui pour la suite. Dans le contexte que nous vivons, le NPA fait de la question du racisme une priorité et cherche à construire un large mouvement antiraciste.
Laetitia
* Paru dans Hebdo TEAN # 43 (18/02/10).
QUESTION DE DIGNITÉ
mercredi 17 février 2010
Le 13 février, environ 3 000 personnes ont bravé le froid à Montparnasse (Paris) pour exiger la régularisation de tous les travailleurs sans papiers. Le cortège a défilé en direction du siège du Medef, dont personne ne verra jamais l’entrée, la rue étant bloquée par les CRS. Que la police soit mobilisée pour « protéger » les intérêts du patronat n’étonne personne. On préférera retenir la dignité de ces travailleuses et travailleurs en grève depuis des mois. Et parmi eux, les « 68 de Creil » (Oise) qui, malgré les tentatives de récupération politique du député Maxime Gremetz, sont restés fidèles au mouvement national. Gremetz leur avait en effet « conseillé » il y a deux mois de déposer leurs dossiers en préfecture, contrairement à la logique d’unité de la lutte, ce que les grévistes avaient accepté sur la base de promesses de régularisation massive que le député n’a évidemment pas pu tenir. En attendant, malgré le mépris de Besson, la lutte continue avec le soutien de nombreux comités solidaires des sans-papiers pour la régularisation de tous.
JOURNÉE DE SOLIDARITÉ AVEC LES SANS-PAPIERS
Samedi 13 février, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), le collectif des travailleurs sans papiers et son comité de soutien avait organisé une rencontre de six heures à Gare au théâtre, lieu connu pour son festival « Nous n’irons pas à Avignon ». Au programme, le film Un racket d’État, qui dénonce l’hypocrisie du pouvoir qui expulse 30 000 sans-papiers par an et permet à de très grosses boîtes de les employer sans respecter aucune obligation sociale. Puis l’excellent groupe de reggae Zion Angels a fait vibrer et danser les participants avant de finir en beauté avec Ambataa du Théâtre de l’Opprimé qui a joué une pièce interactive dans laquelle s’est impliqué le public avec ou sans papiers et a déclenché des applaudissements nourris à l’exposition de situations vécues par les damnés de la terre.
Autour d’un très bon repas, des liens se sont noués, d’autres se sont renforcés contre ce pouvoir sarkoziste, ce système capitaliste inhumain et des barrières sont tombées entre militants associatifs ou politiques.
Quelques centaines d’euros ont apporté une bouffée d’oxygène au collectif grâce à une entrée gratuite et au dévouement du directeur de théâtre, des artistes, des participants et du comité de soutien qui font fonctionner ensemble un arc politique très large.
La confiance malgré des contradictions politiques et des faiblesses réelles dans l’organisation ont permis la réussite de l’initiative. Les travailleurs sans papiers ont joué un rôle moteur et dirigeant.
Malgré les difficultés, la lutte continue.
* Paru dans Hebdo TEAN # 43 (18/02/10).
QUESTION DE DIGNITÉ
Le 13 février, environ 3 000 personnes ont bravé le froid à Montparnasse (Paris) pour exiger la régularisation de tous les travailleurs sans papiers. Le cortège a défilé en direction du siège du Medef, dont personne ne verra jamais l’entrée, la rue étant bloquée par les CRS. Que la police soit mobilisée pour « protéger » les intérêts du patronat n’étonne personne. On préférera retenir la dignité de ces travailleuses et travailleurs en grève depuis des mois. Et parmi eux, les « 68 de Creil » (Oise) qui, malgré les tentatives de récupération politique du député Maxime Gremetz, sont restés fidèles au mouvement national. Gremetz leur avait en effet « conseillé » il y a deux mois de déposer leurs dossiers en préfecture, contrairement à la logique d’unité de la lutte, ce que les grévistes avaient accepté sur la base de promesses de régularisation massive que le député n’a évidemment pas pu tenir. En attendant, malgré le mépris de Besson, la lutte continue avec le soutien de nombreux comités solidaires des sans-papiers pour la régularisation de tous.
BESSON SE FOUT DU DROIT D’ASILE
jeudi 28 janvier 2010
Les 123 réfugiés kurdes qui avaient échoué sur une plage corse le 22 janvier ont tous été libérés et les arrêtés de reconduite à la frontière devraient tous être abrogés. La justice a pris ainsi le contre-pied du ministre de l’Immigration qui n’avait rien trouvé de mieux que de faire enfermer dans différents centres de rétention administratifs du continent ces hommes, femmes et enfants. France terre d’asile ? C’est bien cette image qu’avaient ces Kurdes qui fuyaient la Syrie où ils subissent répression et discrimination. C’était sans compter avec le ministre de la chasse aux immigrés, Éric Besson, qui a tout fait pour les empêcher de demander l’asile en France et a même prétendu qu’il les ferait raccompagner chez eux. En les faisant enfermer, il les obligeait à déposer une demande d’asile en 5 jours au lieu de 21, avec les risques que cela comporte. Une fois de plus, Besson a a fait la preuve de son profond mépris pour les droits des êtres humains.
EN FRANCE, LES EXILÉS EN DANGER
mardi 12 janvier 2010
Une soixantaine de réfugiés afghans, dorment dans la rue, près du canal Saint-Martin à Paris, par ce grand froid. Ils sont presque tous jeunes, certains sont mineurs, certains sont là depuis des mois. Ils ont fui leur pays en guerre et la plupart viennent de régions contrôlées par les talibans. Devant l’urgence créée par la vague de grand froid et le manque de places d’hébergement, l’association Emmaüs et les Enfants de Don Quichotte ont pris l’initiative d’ouvrir un établissement privé pour les recevoir pendant une semaine. La situation est la même aux alentours de Calais où beaucoup d’exilés pourchassés grelottent sans abri. Besson a été obligé de réagir et a eu le culot de dire que les associations qui ont pris cette initiative étaient mal informées. Se préparant à de nouvelles expulsions, sous la pression de la mobilisation, il fait semblant de découvrir la loi qui impose d’accueillir tout demandeur d’asile ou mineur étranger.
GRÈVE DES SANS PAPIERS : ON NE LÂCHERA PAS !
6 000 travailleurs sans-papiers, en grève depuis le 12 octobre 2009, poursuivent courageusement, dans des conditions très difficiles, un bras de fer sans précédent contre le gouvernement.
Leur détermination est exemplaire. Elle fait face à un gouvernement qui les pourchasse et propage le racisme et l’islamophobie et une droite qui multiplie les provocations racistes et sécuritaires (loi contre la burqa, déni d’asile aux 123 kurdes arrêtés en Corse, « jungle » de Calais, déclarations racistes d’Hortefeux et Morano).
Le gouvernement a une attitude encore plus intransigeante qu’en 2008. À l’époque, alors que le mouvement avait regroupé dix fois moins de grévistes, il y avait eu près de 3 000 travailleurs régularisés. Aujourd’hui, la situation est plus difficile. La circulaire du 24 novembre 2009 exclut la plupart des grévistes avec des critères très restrictifs. Le ministère évoque le chiffre de 500 à 1 000 régularisations, alors que 6 000 sans-papiers sont en grève et que 400 000 travaillent en France.
Les grévistes sans papiers refusent toujours le dépôt de dossier au cas par cas. Ils luttent maintenant pour une régularisation globale des 6 000 grévistes, passant par l’obtention de promesses légales d’embauche délivrées par chaque entreprise et déposées collectivement au ministère du Travail et non dans chaque préfecture.
Le gouvernement parie sur l’usure du mouvement. Les représentants syndicaux attendent toujours un rendez-vous avec le ministère Darcos. Malgré leur courage, les grévistes éprouvent de la lassitude et de l’épuisement. La répression judiciaire et le harcèlement policier ont abouti à l’évacuation des plus gros piquets, dans les agences d’intérim et les chambres patronales.
Après bientôt quatre mois de grève, la question financière devient décisive. Les piquets ont besoin d’argent, de charbon pour le froid, de nourriture. Des travailleurs sont contraints de retravailler pour survivre.
La grève est soutenue par la CGT, Solidaires, la CNT, de nombreuses associations (RESF, LDH, etc.) et plusieurs dizaines de comités. La question des perspectives traverse le mouvement. Jusqu’à présent, même s’il y a beaucoup de signataires, le soutien des organisations est resté limité et local.
La stratégie de la direction de la CGT a toujours voulu limiter la lutte à la question du travail alors qu’il est évident que la lutte des sans-papiers entre en opposition frontale avec la politique gouvernementale sur l’identité nationale. Cette limitation n’a pas permis l’élargissement du mouvement. La CGT n’a pas cherché à mobiliser ses syndiqués sur cette question au-delà du symbolique. Alors que beaucoup de sans-papiers travaillent chez des sous-traitants de grands groupes,comme Bouygues ou Veolia, jamais il n’y a eu de travail de mobilisation en direction des salariés « légaux » de ces entreprises. Ce sont pourtant tous les salariés qui subissent la pression vers le bas exercée par l’exploitation féroce des travailleurs sans papiers. L’appel au soutien financier a été peu diffusé, ne permettant de collecter que 30 000 euros au niveau national, soit cinq euros par gréviste. Ce n’est que trois mois et demi après le début du mouvement que, face à l’isolement, la CGT a réuni les comités de soutien en Île-de-France.
Pourtant les possibilités existent. Malgré la censure médiatique quasi totale, le gouvernement n’a pas réussi à gagner la bataille de l’opinion, comme le montrent les récents sondages.
Au KFC les Halles, une grève commune des travailleurs sans papiers et français a été menée, pour la régularisation, des augmentations de salaires et l’amélioration des conditions de travail de tous. Mais cela est resté embryonnaire.
Plus que jamais, il est nécessaire de construire un vaste mouvement antiraciste, unissant les travailleurs français et immigrés, avec les syndicats, les associations, les partis de gauche. C’est ce que le NPA a essayé de faire à son échelle.
Le NPA a initié un appel des partis de gauche de soutien actif aux grèves, mais cela ne s’est pas traduit par une mobilisation réelle des autres partis, qui séparent campagne électorale et luttes sociales.
Mais tout n’est pas perdu, bien au contraire. Même si la situation des grévistes est difficile, avec le risque d’un délitement du conflit entreprise par entreprise, cette lutte constitue déjà une victoire dans la bataille de l’opinion publique.
Il faut poursuivre le combat pour la régularisation de tous les grévistes, cequi constituerait une défaite pour le gouvernement. Il faut que les sans-papiers s’invitent dans la campagne électorale. Il faut augmenter le soutien, en particulier au niveau financier. RESF vient de collecter 10 000 euros pour les grévistes et lance un appel national au développement des comités de soutien partout en France. Il y a urgence. Leur lutte est la nôtre.
Antoine Boulangé
Vous pouvez effectuer un don en ligne à :
www.solidarites.soutiens.org/category/archives/sanspapiers
* Paru dans Hebdo TEAN # 41 (04/02/10).
SANS-PAPIERS DE L’AGENCE D’INTERIM MULTIPRO-MÉNILMONTANT PARIS-20 : ACTION SURPRISE LE 22 JANVIER
mardi 26 janvier 2010
Ce vendredi après-midi une bonne soixantaine de sans-papiers grévistes de Multipro et d’autres boites en grève de Paris XXe solidaires, ainsi que des membres des comités de soutien 11e, 19e et 20e ont organisé un rassemblement sauvage pour « inaugurer » les nouveaux locaux de Multipro dans la quartier Nation (Paris 12e).
En effet, le patron-voyou de Multipro, refusant toujours de négocier et de remplir les attestations de travail (Cerfa) pouvant aider aux opérations de régularisation, a préféré... vider et déserter les locaux de Ménilmontant occupés depuis trois mois par les grévistes et ouvrir une nouvelle boutique 5 stations de métro plus loin !
Le patron et ses sbires ont eu une belle trouille en voyant surgir le cortège et ont juste eu le temps de fermer la porte vitrée pour empêcher les grévistes de rentrer.Ceux-ci ont faitun bon barouf et de la « publicité » bruyante aux passants et voisins sur les pratiques de ce patron refusant de négocier. Les flics ont rapidement débarqué mais ne sont pas intervenus, face au nombre et à la détermination. Après plus d’une heure d’animation, de slogans et de diverses prises de parole au mégaphone devant l’agence toute neuve, les grévistes et leurs soutiens, dont de nombreux militants du NPA, s’en sont retournés dans la bonne humeur à l’agence occupée de Ménilmontant pour préparer le désormais traditionnel apéro de solidarité du vendredi soir.
Le matin même, l’inspection du travail était passée sur le site de Ménilmontant pour contrôler le patron et constater l’occupation légale par les grévistes, la désertion du responsable, ainsi que le fait que les locaux étaient vidés et donc qu’il n’y avait plus d’activité. Affaire à suivre...
La pression et les actions vont continuer pour obtenir de véritables négociations pour obtenir les « Cerfa » en vue du processus de régularisation des 32 grévistes de Multipro.
La lutte continue !
GRÉVISTES SANS PAPIERS : ARTISTES ET SPORTIFS SOLIDAIRES
mardi 12 janvier 2010
Mercredi 6 janvier, à Paris, quelques 1000 travailleurs sans-papiers s’étaient réunis pour la galette des rois. Ils font partie des 6000 travailleurs en grève depuis trois mois pour leur régularisation. De nombreux artistes se sont joints à eux par solidarité et pour attirer les média qui sont pour la plupart totalement muets sur cette grève. Cali, Lilian Thuram, Charles Berling, Valérie Lang, Bafi, Ivan Attal, Philippe Lioret (Welcome), Hamé (La Rumeur) et bien d’autres étaient présents. Pour Josiane Balasko, engagée depuis longtemps dans la défense des sans-papiers, « le Président de la République a dit qu’il fallait redonner un sens au mot fraternité. Nous, on est là pour le faire ». Juliette Binoche s’est interrogée : « qui sommes-nous, nous Français, pour vous faire vivre un tel calvaire ? ». Les interventions se terminaient souvent par le chant « On vit ici. On bosse ici. On reste ici ! »
Les grévistes ont des feuilles de salaire, payent leurs impôts et sont en France depuis six à dix ans.
Ils travaillent dans la restauration, le bâtiment, le nettoyage, l’intérim, la sécurité, la confection, l’aide à la personne. Ils prennent chaque jour les transports avec la peur d’être arrêtés et expulsés. Ils sont sous-payés, font les pires boulots. Ils sont souvent au travail le soir de Noël, du nouvel an.
La discussion ce soir là était bien plus instructive que les odieux « débats » sur l’identité nationale organisés par le gouvernement.
UNE JOURNÉE À LA PRÉFECTURE DE BOBIGNY !
Queues interminables et parcours d’obstacles kafkaïen… Mépris, condescendance et agressivité des agents… Une camarade nous a adressé son témoignage sur ce que vivent les étrangers de Seine-Saint-Denis lorsqu’ils pénètrent dans cet établissement de la République française avec l’intention d’y retirer un titre de séjour.
La journée commence tôt, très tôt. La queue est déjà longue avant l’ouverture. Les étrangers regardent leur montre, revérifient leurs dossiers, font connaissance entre eux en se racontant leurs histoires. On attend le moment crucial avec la peur d’être encore refusé. Un seul guichet d’accueil ouvre sa fenêtre vitrée et commence à recevoir ceux qui ont attendu la convocation pendant des mois.
On dit bonjour, l’agent ne répond pas et ne regarde même pas la personne qui lui parle. D’un geste mécanique, elle tape sur le clavier le numéro étranger et regarde si la carte de la personne concernée est prête. Ensuite, elle demande de revenir plus tard ou bien, si par chance la carte est prête, donne un ticket et dit de patienter dans la salle d’attente. Les guichets d’accueil sont censés renseigner les étrangers mais les agents refusent de leur répondre et, si l’on insiste, appellent la police en menaçant de fermer le guichet.
Toutefois, cette fois-ci j’étais moi-même surprise par la réaction des étrangers qui ne cèdent plus devant l’indifférence des jeunes agents, lesquels ont le plus souvent la même couleur de peau que nous, Africains et Maghrébins. Ils ont la même couleur, mais sont dressés pour réserver aux étrangers un comportement fantastiquement humiliant… Les étrangers commencent à crier, à menacer de faire une grève et de ne pas quitter la préfecture s’ils ne sont pas accueillis. La police – des hommes ayant belle allure dans leurs costumes officiels, bien blancs, bien coiffés, bien rasés et rarement de couleur ! – intervient et essaye de les calmer en disant qu’elle comprend leur galère. L’agent reçoit la consigne de rouvrir le guichet et le calme revient.
Ceux qui ont eu « la chance » de recevoir un ticket peuvent alors commencer une deuxième longue attente, cette fois à l’intérieur. Mais souvent, ils ne sont en fait pas plus chanceux, pour la simple raison qu’on laisse la plupart attendre jusqu’à la fin de la journée pour se trouver à nouveau refusés, soit parce qu’ils étaient mal renseignés par le guichet d’accueil, soit parce qu’on leur demande des papiers qui n’ont pas été signalés au moment du retrait du dossier, il y déjà quelques mois.
À ce moment-là, la police est déjà intervenue au moins cinq fois, après les menaces continues des agents de fermer les guichets ou de confisquer les papiers des personnes qui protestent, en insistant pour qu’on leur explique les raisons pour lesquelles leur situation n’est pas régularisée alors qu’elles ont fourni le dossier complet. Découverte : on n’avait jamais précisé qu’il fallait des timbres fiscaux lors du retrait du titre de séjour ! On ne les réclame que le jour même… Les étrangers demandent pourquoi cela ne leur a pas été signalé avant, et on est surpris par l’agressivité de l’agent qui leur intime l’ordre de quitter immédiatement le guichet sans poser des questions.
« La direction de la préfecture est heureuse de vous accueillir »
Entre les hurlements des étrangers, les menaces des agents et les cris des enfants, l’ambiance s’alourdit de plus en plus et le temps paraît encore plus long. Une petite fille de trois ans pleure en disant « maman, je n’aime pas la préfecture, je veux rentrer à la maison » et en tapant avec ses petits pieds sur le sol. Je regarde les gens autour de moi, puis me lasse de contempler la tristesse qui recouvre leurs visages. Sur l’écran en face, on peut lire : « la direction de la préfecture est heureuse de vous accueillir ». J’éclate de rire, d’un rire ironique qui devient un cri. La dame à côté de moi me regarde, stupéfaite. Je lui montre l’écran. Elle comprend. Sur d’autres écrans on voit des matchs de tennis, des compétitions de natation, des skieurs… Et l’on croit discerner leur message : « ce monde n’est pas à vous ! »
La journée arrive à son terme. Voilà, c’est mon tour. L’agent me demande d’attendre encore un quart d’heure dans la salle d’attente. Cela dure plus d’une heure. Finalement, j’ai ma carte. Elle me lance un regard méchant, en me disant d’un ton désagréable : « voilà, on t’a donné une carte de dix ans. » Je ne réponds pas, et m’en vais en regardant ceux que je laisse derrière. J’ai du chagrin, envie de pleurer. Je ne suis pas heureuse d’avoir ma carte dite « de résident ». Non, je pense encore à la préfecture de Bobigny.
J’y pense sans regret, mais en me disant : voilà un morceau des pays du Sud qui est lancé dans la gueule de l’Occident. Bobigny est un pays dans un pays, un monde dans un monde, un établissement étranger en France. Bobigny est la misère de ces étrangers malheureux, étalée sur ses propres murs. Je fais quelques pas, et rencontre un rassemblement de sans-papiers réclamant leur régularisation. Finalement je craque, je n’en pouvais plus, j’ai pleuré, oui, pleuré. Je suis restée quelques instants avec eux. Je n’avais pas de voix, ne disais rien. Mais j’étais là ! Sous le coup de la fatigue je me traîne finalement jusqu’au métro.
Je rentre chez-moi. Envie de rien. Envie d’oublier. Non, c’est une trahison ! Il ne faut pas oublier les autres, ceux qui sont comme moi et cependant ne me ressemblent plus car moi, j’ai au moins un bout de papier.
Leurs visages dessinaient cette nuit la géographie de mes rêves, une géographie absurde, un espace où le temps n’est qu’une attente, où il devient sa propre négation. Je veux chasser ces visages de mes rêves. Mais non, il ne faut pas ! Je ne peux pas, ne dois pas les oublier. Ils sont encore là. Moi, je ne fais plus partie d’eux, n’appartiens plus à leur file d’attente lorsqu’ils reviendront le lendemain, et encore le jour d’après. Mais leur douleur m’appartient. Elle est déjà mienne. Elle est déjà nôtre. Elle est également à nous.
S.D.
* Paru dans la Revue TEAN # 5 (novembre 2009).