Les élections anticipées auront lieu en Grèce le 4 octobre prochain. Elles étaient prévues pour septembre 2010, mais la pression pour accélérer le calendrier s’est faite plus forte ces derniers mois : en effet, alors que la situation économique impose d’aggraver les mesures anti-ouvrières, la droite gouvernementale de Kostas Karamanlis s’est retrouvée affaiblie par ses échecs, dont le plus visible est celui des élections européennes de juin (32,3 %, contre 43 % en 2004). Or, elle ne dispose que d’un siège de majorité dans l’actuel parlement !
Le discours de la « droite moderniste » (Nouvelle Démocratie, ND) de 2004 est bien loin : la ND mène désormais, en tout cynisme, la même politique libérale que dans le reste de l’Europe. Conséquences : privatisations (compagnie aérienne Olympiaki, déstabilisation de la société des trains OSE pour la livrer aux requins…), licenciements (suppression d’emplois, estimées à 100 000 pour 2009). Cela avec les outils de la droite dure : répression (après l’assassinat du jeune Alexis Grigoropoulos en décembre 2008, la police continue à frapper et à gazer jeunes et travailleurs) et racisme (des rafles anti-immigrés s’intensifient ces derniers mois)...
Pourtant, on peut parler d’un triple échec :
1. Par rapport aux critères de l’Europe capitaliste : déficit maintenu au-dessus de 3 % alors que le ralentissement actuel (mauvaise saison touristique) ridiculise l’objectif d’une croissance de 1,1 %.
2. Champ libre ouvert à l’extrême droite sur le terrain du racisme, où elle s’active à organiser, sous le regard bienveillant de la police, des comités anti-immigrés, et ce jusque dans des quartiers populaires. Résultat : aux européennes, le parti LAOS est passé de 4,1 % à 7,2 % et, pour les législatives, ce parti raciste est crédité dans les sondages de 5 % à 7 % (3,80 % en 2007). L’extrême droite a donc relevé la tête et il serait dangereux de la sous-estimer.
3. Mais surtout, même si c’est en retrait depuis la révolte des jeunes en décembre 2008, la résistance est quotidienne, et cela dans tous les secteurs (paysans, travailleurs des ports, travailleuses du nettoyage, du textile...). Indice récent : malgré son caractère droitier, la nouvelle direction du syndicat des profs de fac (POSDEP) a menacé le gouvernement d’un automne chaud s’il laissait s’ouvrir des facs privées. Par crainte d’une explosion avant les élections, Karamanlis a fait stopper les procédures d’accréditation.
Enfin, les derniers jours d’août ont montré l’impact et l’impasse de cette politique : après les 80 morts des incendies de l’été 2007 une grande superficie vient de brûler dans la région nord-est d’Athènes. Or, alors que se révélaient les dysfonctionnements entre services forestiers et pompiers, le manque d’investissements anti-feux et les combines permettant de construire en zones interdites, le porte-parole du gouvernement expliquait, lui, que c’était la faute aux pins, trop nombreux ! Dans de telles conditions, Karamanlis a préféré anticiper les élections : même s’il accentue les divisions dans son camp, il prend le risque de perdre maintenant pour se renforcer dans l’opposition. Son calcul est qu’une politique dure exige une cohésion renforcée, avec des moyens encore plus durs.
Chasser la droite et sa politique
Le plus probable est une victoire du PASOK (PS grec) : après sa victoire aux européennes (36,6 % contre 34 % en 2004), l’enjeu actuel pour lui, plus que les scores (les sondages le donnent gagnant avec 30 % à 35 %), c’est de savoir s’il aura la majorité des sièges (151) ou pas. Dans le cas contraire, soit il pourra faire un gouvernement de coalition, peu probable dans cette phase, soit il y aura de nouvelles élections. Certes, malgré un langage gauchi ces derniers temps, avec la « menace » de taxer davantage les profits des banques, Giorgos Papandreou n’a pas l’intention et ne se donne pas les moyens de s’en prendre au grand patronat. La question est de savoir si les directions syndicales nationales à majorité pro-PASOK seront en mesure d’étouffer les luttes qui ne manqueront pas de se poursuivre…
Bien sûr, cette question renvoie au paysage politique à gauche du PASOK. Disons-le, il n’est pas brillant en ce début septembre : le KKE (PC grec) s’enfonce dans l’autoaffirmation sectaire, alors qu’aux européennes il a baissé (8,4 % mais 9,5 % en 2004). En guise de programme, sa dirigeante fait l’éloge public de Staline… Quant à Syriza, regroupement de Synaspismos (réformiste de gauche) avec des groupes d’extrême gauche, ses mauvais résultats aux européennes (il escomptait 3 députés, il en a eu 1, avec 4,7 % contre 4,2 % en 2004… mais 5,2 pour le Synaspismos en 1999) ont provoqué une crise profonde et, au final, si Syriza se présente, c’est après des marchandages qui lui ont évité de justesse l’éclatement mais qui ont crûment mis à jour les tractations politiciennes aux sommets. Résultat : Syriza chute encore dans les sondages et son objectif s’est réduit à entrer au parlement (seuil de 3 %).
Si la perspective dans la période est de construire en Grèce une gauche anticapitaliste, le regroupement Antarsya, malgré son ancrage dans les luttes et la certitude d’une campagne active, pèsera peu centralement, mais il n’empêche qu’il est à ce jour la base pour avancer. Ce qui sera facilité si cette campagne développe les trois axes suivants :
1. Œuvrer à la construction d’une gauche anticapitaliste, en tâchant de faire agir ensemble Antarsya et les groupes radicaux de Syriza, malgré des trajectoires différentes.
2. Lutter contre toute trêve dans les luttes en mettant en avant le fait que les luttes sociales sont l’arme décisive des travailleurs (ainsi, le 5 septembre encore, trois manifestations de rentrée sociale ont eu lieu en même temps à Salonique ; malgré la division elles ont été importantes).
3. Dans ce cadre, promouvoir la forme unitaire de lutte qu’est le front unique, seul moyen de lutter de manière décisive contre le virus de la division, pratique hélas majoritaire en Grèce et qui a rendu bien des services à la bourgeoisie.
Andreas Sartzekis et Tasos Anastassiadis
Athènes, le 10 septembre 2009