- Qu’est-ce que le Maitron et comment cette nouvelle série se positionne par rapport à l’ensemble du travail ?
Claude Pennetier - Nous publions le premier volume d’une série de douze tomes, qui couvre la période 1940-1968. Elle s’intitule : Le Maitron, dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social. À raison de deux volumes par an, nous en avons pour six ans. Cette nouvelle série s’inscrit dans la continuité de l’œuvre entreprise par Jean Maitron il y a cinquante ans. En 1955-1956, il a conçu ce projet téméraire : faire resurgir tout un peuple militant, de 1789 au xxe siècle, au travers de dizaines de milliers de biographies. En pleine période du culte des personnalités - Thorez en particulier -, l’équipe qui entourait Maitron voulait présenter le mouvement ouvrier dans sa diversité, sans négliger les courants discriminés par la mémoire, comme les anarchistes, les syndicalistes révolutionnaires, les socialistes dits utopiques, les oppositionnels trotskystes compris. L’œuvre prit une ampleur à l’image de l’importance du mouvement ouvrier. Les quatre séries couvrant les périodes allant de 1789 à 1939 comptent déjà 44 volumes, rassemblant 110 000 notices. C’est le plus grand dictionnaire biographique en langue française, et le plus important dictionnaire du mouvement ouvrier à l’échelle internationale. De plus, le Maitron propose une collection internationale concernant huit pays, bientôt neuf avec l’Algérie, à paraître fin 2006.
- Quelles sont les caractéristiques de la période 1940-1968 ? Comment ont-elles influé sur la conception de ces douze nouveaux volumes ?
C. Pennetier - En abordant la période 1940-1968, le gigantisme nous guettait. Pensons aux acteurs du syndicalisme légal et illégal pendant l’Occupation, aux acteurs multiples de la Résistance, dont certains ont leur nom sur les plaques commémoratives, sans compter ceux qui sont oubliés. La fin des années 1940 et les années 1950 constituent un âge d’or d’un mouvement ouvrier marqué par la puissance du syndicalisme dans la grande entreprise. C’est aussi une période de diffusion des modes d’organisation « ouvrière » à des milieux professionnels non ouvriers. Pensons à la généralisation du syndicalisme enseignant, même dans le secondaire et le supérieur, ou au syndicalisme des employés.... En maintenant les mêmes critères de sélection, il aurait fallu pour le moins 50 volumes. Quel éditeur prendrait le risque ? Quel public s’y intéresserait ?
Nous avons fait le choix de sélectionner des biographies approfondies dans le dictionnaire papier, de l’ordre de 500 notices par volume, et d’ajouter un cédérom joint rassemblant près de 1500 biographies supplémentaires, avec une iconographie plus abondante. L’ensemble des notices papier sont reprises sur le cédérom pour servir le moteur de recherche.
- Quels sont les critères de sélection des militants et militantes ? Qui figure dans le nouveau Maitron ?
C. Pennetier - Il faut refléter la complexité du mouvement ouvrier et du mouvement social. Nous devrons faire figurer les responsables nationaux et régionaux des organisations syndicales et politiques, mais aussi des coopératives, mutuelles et associations gravitant autour du mouvement ouvrier. Parmi les nouveautés des années 1950 et 1960, il faut signaler le rôle des anticolonialistes, dont l’influence a été déterminante dans le mûrissement du climat politique qui a annoncé Mai 68. Ces années sont aussi celles de l’attention aux thèmes de la santé (la Sécurité sociale), de l’enfance et de la jeunesse (l’éducation populaire), de l’action culturelle (ciné-clubs, théâtre). Les créateurs engagés, comme les animateurs de ces mouvements, ont leur place dans le Maitron. Le mouvement ouvrier et social n’est pas une armée disciplinée et hiérarchisée. Il faut savoir faire place à ceux qui se situent « en dehors », aux libertaires, aux marges créatrices. Le cédérom nous permet d’aller plus loin dans la collecte d’itinéraires plus localisés, plus diversifiés.
Aussi, pour les syndicats, pour le Parti communiste comme pour le Parti socialiste, nous retenons les directions nationales et les membres des secrétariats fédéraux ou unions départementales, mais également les personnalités marquantes qui ont contribué à l’implantation du mouvement dans des milieux professionnels ou dans des secteurs géographiques. Nous ne négligeons pas les dissidences et les itinéraires atypiques multiples.
- Le Maitron, c’est aussi une équipe, des soutiens universitaires et un éditeur...
C. Pennetier - En effet, le collectif éditorial compte une cinquantaine d’auteurs réguliers, universitaires, professeurs, chercheurs et environ 250 contributeurs, bons connaisseurs de milieux professionnels précis ou de milieux locaux. L’enracinement régional a toujours été un atout fort du Maitron. Des militants y participent activement. Le dictionnaire bénéficie du soutien du CNRS, particulièrement dans le cadre du Centre d’histoire sociale du xxe siècle, laboratoire CNRS/Paris 1. Sa chance est d’avoir trouvé sa continuité éditoriale aux Éditions de l’Atelier, anciennes Éditions ouvrières, dont la production dans le domaine de l’histoire sociale est fondamentale.
– Site Internet : <http://www.maitron.org>
adresse email : <pennetier.claude wanadoo.fr>
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