Ile de Pâques, envoyée spéciale
L’anthropologue Francisco Torres juge « extrémiste » la théorie développée par Jared Diamond dans son livre Effondrement (Gallimard, 2006) : le biologiste américain voit chez les Rapa Nui de l’île de Pâques un exemple de civilisation disparue du fait de la surexploitation des écosystèmes.
« C’est au contraire un modèle de survie, d’adaptation intelligente, estime Francisco Torres. Malgré une catastrophe écologique, la déforestation - les arbres ayant sans doute servi à faire rouler les monumentaux moaïs -, la famine et des guerres tribales, la civilisation rapanui n’était pas morte, au XVIIIe siècle, à l’arrivée des navigateurs européens. Elle avait changé : les insulaires ne construisaient plus de moaïs, ils avaient modifié leurs croyances, mais les explorateurs ont été surpris par la fertilité de l’île, produisant bananes, pommes de terre et canne à sucre. »
« Fierté d’être pascuan »
Pour l’anthropologue, le principal fléau a été l’arrivée de ces navigateurs, « qui ont introduit l’esclavage et des maladies comme la tuberculose et la syphilis, qui ont décimé la population ». « Durant une grande partie du XXe siècle, la principale érosion de la terre a eu pour origine l’élevage intensif de moutons contrôlé par des compagnies étrangères. » Aujourd’hui, souligne-t-il, « c’est le tourisme sauvage qui menace Rapa Nui ».
Francisco Torres constate que depuis le retour de la démocratie au Chili, en 1990, qui a coïncidé avec le boom du tourisme, les Pascuans ont pris conscience de leur identité : « Ils cherchent à retrouver leurs racines et à reconstruire leur mémoire. » L’ouverture d’une ligne aérienne régulière entre Santiago et l’île de Pâques, puis avec Tahiti, à partir de 1971, leur a permis de reprendre contact avec le monde polynésien, auquel ils appartiennent. Les nombreux descendants des Rapa Nui installés par des missionnaires à Tahiti, en 1871, pour les sauver du trafic d’esclaves, leur ont permis « de retrouver des éléments culturels oubliés et leur fierté d’être pascuans ».
« La communauté rapanui veille jalousement sur son passé, d’où des affrontements avec le gouvernement chilien, résume M. Torres. Elle est en conflit avec les Chiliens du continent, pas avec les touristes étrangers. »
Christine Legrand