Ce n’est pas encore l’estocade, mais la corrida pourrait ne pas ressortir vivante de l’enceinte du Parlement de Catalogne. Les parlementaires régionaux ont en effet accepté, vendredi 18 décembre, de débattre d’une initiative législative populaire (ILP) ayant recueilli plus de 180 000 signatures, qui réclame l’interdiction des courses de taureaux dans toute la Catalogne. L’examen de l’ILP, voté par 67 voix contre 59, débutera après Noël et fera l’objet d’un vote définitif au printemps.
La Catalogne pourrait devenir ainsi la première région d’Espagne à interdire la tauromachie. La tradition de la fiesta taurine est en perte de vitesse depuis des années dans cette région. Depuis 1999, les spectacles taurins sont interdits aux moins de 14 ans, et de nombreuses plazas de toros ont été fermées à la suite de décisions municipales. La Monumental de Barcelone, une ville où cohabitèrent jusqu’à trois arènes, reste la seule enceinte de Catalogne à accueillir encore des corridas de première catégorie, sans toujours remplir la totalité de ses 19 000 places.
Si José Tomas, le torero en vogue en Espagne, peut continuer à faire vibrer les tribunes de la Monumental, c’est uniquement parce qu’il s’agit d’une propriété privée : la municipalité s’est en effet déclarée antitaurine en 2004. Les opposants à la corrida rappellent que plus de 70 communes en ont fait de même. Enfin, selon plusieurs enquêtes d’opinion, environ 70 % des Catalans seraient hostiles à cette pratique.
La plate-forme Prou ! (« Assez ! » en catalan) a motivé son initiative anticorrida par « la cruauté » envers des taureaux « qui ne peuvent pas se défendre » d’une activité « ne cadrant plus avec la morale du XXIe siècle ». C’est la loi catalane de protection des animaux que les parlementaires sont appelés à réviser. Le texte actuel interdit de tuer ou de maltraiter des animaux lors de spectacles publics, à l’exception des courses de taureaux.
Les défenseurs de la tradition tauromachique dénoncent « une atteinte aux libertés » et une attaque contre le « patrimoine culturel » que représente à leurs yeux la corrida. Tandis que 300 personnalités du monde de la culture et de l’économie ont signé un « manifeste pour la liberté », éleveurs et professionnels taurins se sont organisés en lobby pour mener bataille tout au long du débat parlementaire. L’enjeu est aussi économique pour un secteur qui a subi en 2009 les effets de la crise : le nombre des manifestations organisées en Espagne en 2009 a baissé de 40 % par rapport à l’année précédente. Et la désaffection du public, en particulier des jeunes, déjà sensible depuis quelques années, s’accélère.
Selon certains observateurs, une partie du rejet de la corrida en Catalogne pourrait trouver ses racines dans le catalanisme, pour qui la tradition taurine est fortement connotée depuis l’époque franquiste. « Est-ce un débat animalier ou identitaire ? », a demandé un parlementaire socialiste, avant d’avertir : « Ils se trompent ceux qui croient qu’en interdisant les taureaux nous serons moins l’Espagne. »
La ligne de fracture entre les pro et les anticorrida est transversale aux différents partis, au point que les deux principales formations catalanes, le Parti socialiste (PSC) et Convergence et Union (CiU, nationaliste), ont laissé la liberté de vote à leurs élus. Les politiques sont confrontés à un dilemme : comment interdire la corrida sans toucher aux correbous, ces lâchers de taureaux - sans mise à mort - dont on raffole dans les villages de Catalogne ?
Jean-Jacques Bozonnet (Madrid, correspondant)
* Article paru dans le Monde, édition du 20.12.09. LE MONDE | 19.12.09 | 13h41 • Mis à jour le 19.12.09 | 13h41.
Chronique : Identité animale
Les rayons de soleil ne sont pas fréquents dans notre monde de brutes. Saluons donc cette belle initiative prise par une cinquantaine de villes du sud et du sud-ouest de la France : elles ont entrepris des démarches pour faire inscrire la culture taurine au Patrimoine mondial de l’humanité. A côté des sites naturels ou des ouvrages remarquables, l’Unesco n’homologue-t-elle pas aussi des trésors immatériels ?
Rien n’est plus beau qu’un taureau blessé, perdant son sang, lentement, devant une foule enthousiaste. Vivement que la corrida rejoigne le tango argentin, le théâtre sanskrit et la tapisserie d’Aubusson parmi les merveilles qui, selon la charte de l’Unesco, méritent d’être « transmises de génération en génération » ! La mise à mort rituelle d’un bovin ne procure-t-elle pas « un sentiment d’identité (peut-être nationale) et de continuité » ? Ne contribue-t-elle pas à « promouvoir la créativité humaine » (voire humanitaire) ? N’est-elle pas « conforme aux droits de l’homme » (sinon de l’animal) ?
Bien sûr, on pourrait aller plus loin : faire homologuer la violence et la cruauté en général. Mais elles sont depuis longtemps inscrites au patrimoine mondial. En lettres de sang.
Robert Solé
* Article paru dans l’édition du 18.12.09. LE MONDE | 17.12.09 | 13h05.