Introduction au dossier
Répression du mouvement social et criminalisation des actes militants
Des exemples récents de répressions contre des syndicalistes et des associatifs révèlent des traits communs : le traitement par la justice d’actes militants comme relevant du droit commun. Elles sont dénoncées par l’Observatoire des libertés publiques, le Réseau européen des juifs pour une paix juste, la CGT, la Ligue des droits de l’homme.
Des motifs de mise en examen exorbitants sont acceptés par des juges. Citons : « dégradation et destruction de matériel » pour avoir apposé des autocollants ; « vol d’une paire de gants » pour un manutentionnaire qui en reçoit une paire par semaine, mais animait une section syndicale ; accusations de « séquestration » pour des salariés en grève sur leur lieu de travail, passibles de trois ans de prison selon le nouveau code pénal ; etc.
Des affaires commencées en Tribunal administratif dévient vers le Tribunal correctionnel !
On constate un décalage total avec l’absence de poursuite et de peine quand des chasseurs organisés en bande braconnent devant des gendarmes ; quand des membres de la FNSEA saccagent ou brûlent des bureaux, ou sont montrés au journal télévisé en train de détruire un péage autoroutier ; quand un patron déménage les machines d’une usine le dimanche en douce...
Il apparaît aussi que la justice ne s’intéresse à certaines entreprises illégales, notoires et brassant des capitaux considérables, qu’à partir du moment où des associations en établissent la preuve alors qu’elles n’ont pas de fonction de police.
Voici deux histoires véridiques survenues dans l’Hérault, concernant des associations de défense de la nature et de protection de l’environnement.
Merci aux personnes qui ont bien voulu ouvrir leurs dossiers et répondre à nos questions.
Les étangs littoraux « aménagés » par des affairistes
Les « étangs montpelliérains », ou étangs littoraux de la Camargue à Perpignan, sont un écosystème exceptionnel mais étroit et vulnérable. Ils ont subis des coups terribles du fait d’une extrême urbanisation et d’empoisonnements comme, par exemple, les actions massives de « démoustications » à coups de pesticides. Les étangs figurent à l’inventaire de la Convention Internationale de RAMSAR (ratifiée le 3.12.82), à celui des « Zones primordiales » de la Communauté Européenne (directive CEE du 2.4.79) et font l’objet d’une Loi française de protection votée à l’unanimité le 3.1.86.
Mais cet arsenal juridique ne décourage ni les aménageurs, ni les élus locaux dans leur frénésie de réalisations. Rappelons que le parc immobilier en France a été multiplié par 2 en 20 ans, tandis que celui des cantons littoraux du sud de la France a été décuplé, sans compter les constructions et extensions sauvages, les « cabanes », le camping, le caravaning, l’hébergement en gîte, à l’hôtel et chez l’habitant. Face à l’afflux d’estivants en saison où l’eau se raréfie, les systèmes d’épuration des communes littorales sont saturés et polluent inévitablement les étangs littoraux. A partir de 1998, l’urbanisation des côtes françaises a dépassé le taux de 50 %.
Le plan RACINE
Les étangs montpelliérains ont subi dans les années 1960 l’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon au travers d’une mission interministérielle appelée RACINE. Il s’agissait d’attirer massivement les touristes et de créer une « industrie » touristique régionale aux dépens d’un milieu naturel rare et limité.
Pourquoi privilégier le littoral alors que de nombreuses villes et villages en France souhaitent accueillir des vacanciers ? Pourquoi entasser 10 % de la population sur 3 % du territoire pendant deux mois ? Si la réponse est introuvable, le résultat est là : destruction des biotopes, accumulations hâtives de lotissements et découplage constructions / activités économiques qui rendent ces villes balnéaires inaccessibles aux travailleurs locaux. Les milliers de voiliers, très coûteux, inutilisés ou pourrissants dans les ports de plaisance et parcs de gardiennage de la région, montrent que le plan Racine fut une vaste tromperie.
Avec la décentralisation, des élus arrivés aux affaires n’acceptent pas que des réglementations tentent de mettre un frein à une urbanisation frénétique et dévastatrice. Les entrepreneurs (bâtiment, génie civil, carriers, cimentiers, fabricants de matériaux de construction, équipementiers, etc.) ne voient que le chiffre de leurs affaires et le taux de profit afférant. Les opérations décidées périodiquement d’en haut, sous l’appellation toujours en vigueur de « mesures en faveur des entreprises », visent à renflouer le secteur du B.T.P. sans rapport avec le fait avéré qu’il manque 500 000 logements sociaux en France. On peut comparer, de ce point de vue, le délabrement de l’habitat traditionnel dans les Hauts Cantons des départements méditerranéens et au cœur de villes anciennes comme Béziers (1500 demandes d’HLM non satisfaites, des milliers de taudis insalubres) face au gaspillage des villes balnéaires et marinas peu habitées hors saison. Ces constructions littorales - souvent des résidences secondaires - ont été accompagnées d’infrastructures considérables financées par l’Etat.
Résistance au bétonnage
Depuis vingt ans, l’ADEP* et le CLIVEM**, se sont investis en défense des étangs littoraux. Ces associations ont procédées à des actions de sensibilisation, puis ont dénoncées les pollutions par les eaux usées et les décharges, la destruction des milieux par des constructions en zones inondables ou par comblements d’étangs, les constructions illégales. Elles ont recourues à l’action judiciaire pour combattre des révisions pernicieuses de Plans d’Occupation des Sols (POS) et des atteintes contrevenant aux lois et réglementations, notamment en violation de la Loi Littoral. Ces affaires concernaient toujours la commune de Palavas-les-Flots (Hérault), décidément très motivée par l’immobilier.
Loi Littoral
En 1987, le CLIVEM demande l’application de la Loi Littoral, alors même que les décrets d’application de la Loi tardent à être publiés, pour légiférer sur un POS qui prévoit l’urbanisation de 137 hectares de zones humides. Le projet municipal comportait un argument d’anthologie : « L’application de la Loi priverait Palavas, coincé entre la mer et les étangs, de toute possibilité de développement ; en conséquence, la Loi Littoral ne peut s’appliquer à Palavas ». La demande du CLIVEM bloque l’exécution du POS. Puis le Tribunal administratif prononce le sursis à exécution total du POS. La municipalité retire son projet.
En 1989, différentes interventions débouchent sur un arrêté préfectoral de biotope prescrit en 1990 pour la partie nord de l’Etang du Grec.
Puis les associations ont à nouveau des démêlés avec la municipalité de Palavas à cause d’une Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) de 1400 logements nécessitant le comblement de plusieurs hectares de l’étang du Leban. Après quoi la commune doit retirer un Plan d’Aménagement de Zone (PAZ), décidé illégalement avant avis de la Commission des Sites et accord et Préfet. Du coup, le Tribunal administratif sanctionne la commune en 1992 ! Pourtant, les travaux sur l’étang du Leban continuent (construction, comblements) en zone ND (non constructible), sans permis de construire, sans avis de la Commission des Sites et sans réaction de l’Etat avec un nouveau PAZ pour une autre ZAC. Dans chaque affaire, il apparaît que la commune fait écran devant les intérêts de carriers, d’entrepreneurs, de lotisseurs et d’investisseurs.
1993 : le CLIVEM et l’ADEP dénoncent des travaux clandestins, demandent le respect de la Loi Littoral et attaquent un projet de ZAC. Le conseil municipal de Palavas doit abandonner ce projet immobilier, la ZAC et le PAZ. Le pire a été évité (construction de logements), mais plusieurs hectares de l’étang du Leban ont été comblés, puis camouflés en parcours de santé, terrain de sport en attendant des jours meilleurs pour les promoteurs !
Le conseil municipal de Palavas (dont le Maire Christian JEANJEAN est promoteur et constamment réélu à Palavas depuis 1989) s’est acharné à lancer des projets désastreux : actions illégales de comblement d’étang, construction illégale au milieu de l’étang du Leban Le CLIVEM et l’ADEP interviennent encore en 1995, 1996, 2001. En face, les lotisseurs jouent l’usure et pratiquent la politique du fait accompli.
Une offensive des promoteurs
Excédées par cette incessante contestation de 10 ans (1), les condamnations en Tribunal administratif, les désaveux du Préfet, les opérations immobilières empêchées la commune de Palavas-les-Flots décide, en 1999, d’attaquer le CLIVEM et l’ADEP pour « abus de leur droit d’ester en justice ». L’acte d’assignation vise les associations et leurs « dirigeants » pour leur « responsabilité personnelle » car « La seule condamnation des associations protège les auteurs réels de l’abus de droit et garantit l’inefficacité de la sanction financière, les associations étant sans but lucratif et généralement sans patrimoine et insolvables ».
Pour « retards de travaux, pertes de rentrées fiscales, honoraires des avocats, temps perdu par le personnel administratif », la commune demande au total 1,9 million de francs (289 650 euros). Elle cherche à atteindre personnellement six administrateurs de ces associations en les désignant nommément.
Cette nouvelle forme de répression traduit l’état d’affrontement auquel à abouti l’opposition permanente de deux priorités contradictoires : « la défense des étangs » essentiellement conservatrice au sens de la défense de la nature, contre « l’urbanisation comme moteur de développement local ». La condamnation des associations, et surtout de leurs administrateurs, signifierait un risque juridique fortement dissuasif pour les défenseurs de l’environnement.
Le jugement du Tribunal de Grande Instance de Montpellier
Le TGI, par jugement du 7 décembre 2004, a débouté la commune de Palavas de l’intégralité de ses demandes et la condamne aux frais de justice.
Le jugement parle de « la veille environnementale » que le CLIVEM exerce de façon permanente sur les décisions de la commune en matière d’urbanisme. Il affirme : « Cette vigilance permet au secteur associatif de critiquer les actes administratifs de la collectivité territoriale, dans le strict respect de ses objets statutaires, et constitue la garantie d’un débat contradictoire ». C’est une contribution intéressante à un débat sur la démocratie.
Ce jugement, qui reconnaît le fondement de l’action des associations, porte un coup d’arrêt à une entreprise visant à criminaliser des associations efficaces et leurs militants.
L’ADEP et le CLIVEM ont montrés que la simple protestation contre les atteintes à l’environnement ne suffit pas pour faire respecter les lois et les arrêtés. Contre des adversaires puissants et retors, seule la lutte paie.
En attendant la Cour d’Appel
Mais l’affaire n’est pas close. Le maire de Palavas, sans demander l’avis de son Conseil municipal (ce qui confirme que le centre de décision de ses actions se trouve ailleurs qu’au sein du Conseil municipal), a décidé de faire appel le 5 janvier 2005 devant la Cour de Montpellier. La décision de la Cour est attendue par les défenseurs de la nature et de l’environnement.
Notes
* ADEP : Association palavasienne pour la Diversification des activités Economiques et la Protection de l’Environnement - 2 rue des Sarcelles - 34250 Palavas.
** CLIVEM : Comité de Liaison pour la Vie des Etangs Montpelliérains - 13 rue des Muscaris - 34070 Montpellier. E-mail : clivem ifrance.com
(1) Voir ’’Plus de dix ans de lutte pour empêcher les constructions sur les étangs de Palavas’’. Combat Nature, n° 137, mai 2002.
Histoire d’une petite forfaiture
La « Société des Carrières des Hauts de Pézènes » créée pour exploiter le basalte de Pézènes-les-Mines près de Bédarieux, avait compté sans l’opposition résolue de tous les habitants constitués en association (l’ASPP*, 140 adhérents sur 170 habitants, autant dire tous les adultes). L’exploitation du basalte est la plus bruyante et polluante qui soit dans la Région selon un rapport de la Direction Régionale de l’Environnement (DIREN). Elle diffuse de la silice et les mineurs qui la respirent souffrent d’une grave maladie : la silicose.
Lors de l’enquête publique de 1997, L’ASPP montre que le choix du site met en danger le voisinage habité. L’ASPP dépose un dossier argumenté. Dans le mémoire en réponse fourni au Commissaire enquêteur, le représentant de la Société des Carrières, Mr Castille, traite « certains adhérents » de l’ASPP de « délinquants récidivistes ». L’ASPP fait assigner Castille en justice pour « propos diffamatoires ».
Comment débouter et condamner une association pertinente ?
Le jugement du 27.11.98 du Tribunal de Grande Instance de Béziers fait date. L’ASPP est condamnée aux dépens et à une amende de 1500 F pour vice de forme. Motif : L’ASSIGNATION AVAIT ETE REMISE PAR L’HUISSIER AU SECRETAIRE DU PROCUREUR ET NON AU PROCUREUR LUI-MEME.
C’est une première ! Jamais ce motif n’avait été retenu pour juger. Partout en France les huissiers et les avocats déposaient habituellement leurs documents auprès du secrétaire du Procureur. Mais les us & coutumes ne sont pas la Loi. Ce jugement fit des vagues chez les huissiers... On le savait malvenu et partial... On parla de forfaiture... Mais le texte de la Loi est là, et les avocats de Castille sont aussi habiles que bien payés.
Pot de terre contre pot de fer
L’ASPP fait appel de ce jugement scandaleux et inattendu... puis le retire sur conseil de son avocat par crainte d’être plus durement condamnée. Car la Loi dit bien que l’assignation doit être remise au Procureur...
Exploitant cette faille de l’ASPP, Castille l’assigne au Tribunal Correctionnel pour « dénonciation calomnieuse » et réclame 50.000 francs de dommages. Gageons que ses avocats ont remis l’assignation au Procureur en mains propres.
Départ des carriers et relaxe de l’ASPP
On peut comprendre la rage de Castille puisqu’en 1998 le Préfet lui avait refusé l’autorisation d’exploiter le basalte sur son site jouxtant des habitations. La lutte de la population a payé. L’ASPP avait bien travaillé.
En 2000 le Tribunal de Grande Instance de Béziers a prononcé la relaxe de l’ASPP au motif : « Accusations jugées sans fondements ».
note
* Association pour la Sauvegarde du Pays Pézenol, Taussac, 34600 Pézènes-les-Mines.