Buenos Aires Correspondante
Le procès de l’ex-capitaine de la marine argentine, Alfredo Astiz, devait s’ouvrir vendredi 11 décembre, à Buenos Aires, trente-deux ans après l’assassinat des deux religieuses françaises, Léonie Duquet et Alice Domon, pendant la dictature militaire (1976-1983).
Baptisé « l’ange de la mort », Alfredo Astiz est accusé, avec 18 autres militaires, de crimes commis dans les sinistres bâtiments de l’Ecole mécanique de la marine (ESMA), le plus grand centre clandestin de torture, en pleine capitale. Sa particularité est que les tortionnaires y vivaient avec leurs victimes, torturant en sous-sol et dans les combles, dormant paisiblement au 1er et au 2e étage. Près de 5 000 prisonniers politiques y ont été torturés et tués. Seule une centaine a survécu. De nombreuses victimes étaient jetées depuis des avions dans le rio de la Plata, au cours des « vols de la mort », après avoir été droguées. Plusieurs cadavres, dont ceux de Léonie Duquet et d’Azucena Villaflor, la première présidente de l’association des Mères de la place de Mai, ont été rejetés par le fleuve. Les deux femmes ont été enterrées en 1978 et leurs restes identifiés en 2005. Alice Domon demeure disparue.
A 58 ans, l’ancien capitaine Astiz est considéré comme le symbole des années de plomb en Argentine. Il avait été condamné en France par contumace, en décembre 1990, à la prison à vie, pour l’enlèvement, les 8 et 10 décembre 1977 à Buenos Aires, des religieuses. Se présentant comme le frère d’un disparu, il s’était infiltré dans l’association des Mères de la place de Mai, où travaillaient les religieuses françaises. Il signalait les futures victimes en leur donnant un baiser sur la joue, d’où son surnom, « Judas ».
En 2001, le gouvernement argentin avait rejeté les demandes d’extradition d’Astiz présentées par la France et par l’Italie. Quelques heures plus tard, l’ex-capitaine de frégate était libéré après avoir été un mois en prison préventive en vertu d’un mandat d’arrêt lancé contre lui par la justice italienne. Il est soupçonné d’être responsable de la disparition de trois ressortissants italiens et est accusé de la mort de la Suédoise Dagmar Hagelin.
« Jour de honte »
En décembre 2008, la justice argentine avait ordonné la libération de 12 anciens officiers de la marine, inculpés de violations des droits de l’homme, parmi lesquels Alfredo Astiz. « C’est un jour de honte pour les Argentins » avait lancé la présidente Cristina Kirchner. La décision de la justice obéissait à une loi selon laquelle les personnes inculpées ne peuvent pas être détenues pendant plus de deux ans avant leur procès. Alfredo Astiz est actuellement en détention préventive dans une prison de la banlieue de Buenos Aires. A la veille du procès, il a subi des examens médicaux faisant craindre qu’il n’assiste pas à son procès, reporté à deux reprises. Il avait été opéré en 2006 d’une tumeur au foie.
Dans les années 1990, Astiz se promenait tranquillement dans sa ville natale, Mar del Plata, traditionnelle cité balnéaire, photographié en maillot de bain ou à la terrasse de cafés, accompagné de jolies filles. En janvier 1998, il avait été condamné à deux mois d’arrêt dans une garnison militaire pour « apologie du crime ». Il avait revendiqué la répression illégale et avait déclaré, à un magazine argentin, qu’il avait été « techniquement préparé pour tuer un homme politique ou un journaliste ».
A l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner (2003-2007), l’annulation des lois d’amnistie, décrétées dans les années 1980, a permis la réouverture de centaines de procès. Près de 30 000 personnes ont disparu pendant la dictature, dont 18 Français, selon les organisations des droits de l’homme.
Christine Legrand