Après la colère des médecins libéraux, privés de vaccination, le monde hospitalier crie à son tour son désaccord avec la gestion de la grippe A(H1N1) par les ministères de la santé et de l’intérieur.
Le mécontentement se focalise sur la réquisition d’internes appelés à vacciner dans les centres collectifs, parfois la veille pour le lendemain, loin de leur établissement ou alors qu’ils étaient de garde, et sur la désorganisation engendrée dans les hôpitaux.
Plusieurs témoignages de dysfonctionnements ont fait grand bruit, notamment celui d’un interne en chirurgie à l’hôpital Saint-Joseph à Paris, réquisitionné alors qu’il devait opérer d’urgence. Le ministère de la santé reconnaît des « couacs » dus à la montée en puissance des centres de vaccination. « Cela n’est pas acceptable », a d’ailleurs jugé la ministre Roselyne Bachelot, mercredi 9 décembre. Son entourage explique que, dans l’urgence, il a été difficile de faire coïncider les disponibilités des volontaires, internes ou autres, et les affectations. Il s’est agi d’un « problème ponctuel d’organisation, en train de s’améliorer, et non d’effectifs ». Sur 20 000 internes, 10 000 se sont portés volontaires, et la plupart des 1 800 réquisitionnés en faisaient partie.
« Les problèmes se résument certes à quelques cas, mais il faut rappeler que nous travaillons dans des domaines à haut risque », estime Benjamin Chousterman, président du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris. « Le gouvernement, mis sous pression par l’Elysée, a privilégié le préventif médiatisé au détriment des soins aux malades », lâche-t-il. Rappelant l’accord des internes pour vacciner, il reproche aux directions d’hôpitaux, aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) et aux préfectures de se renvoyer la responsabilité d’un tel chaos. Si les choses ne s’améliorent pas rapidement avec la mise en place de référents pour gérer les plannings, et une limitation des vacations (pour vacciner) à deux par semaine, les internes refuseront de répondre aux réquisitions supplémentaires.
« Nous ne voulons pas polémiquer, mais nous estimons qu’il y a une mauvaise gestion du dispositif d’urgence », remarque la Fédération hospitalière de France, qui juge que les internes ont pour vocation de soigner les malades et non de vacciner. « Le ministère a cédé à la panique et employé les grands moyens alors qu’il aurait fallu prendre du recul », estime Christian Gatard, secrétaire général de CH-FO, qui représente les cadres hospitaliers. Selon lui, si en Ile-de-France la situation est tendue, les flux se sont vite régulés ailleurs. « Cette logique d’organisation administrée est lente et lourde, alors qu’en cas de pandémie l’imprévu est le pain quotidien », juge François Aubart, de la Coordination médicale hospitalière, ajoutant que les décisionnaires connaissent peu l’organisation qui prévaut dans les hôpitaux. Il reproche « une carence de dialogue avec les professionnels ».
Le 9 décembre, Mme Bachelot a rappelé les règles à respecter pour réquisitionner (choix dans les listes fournies par les hôpitaux, limitation des vacations, respect des périodes d’examens, non-mobilisation des spécialités comme la chirurgie ou la réanimation, etc.). Le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, a assuré avoir rappelé aux préfets ces bonnes pratiques.
La colère actuelle est aussi le signe de la tension qui règne, plus généralement, entre le ministère de la santé et les professionnels. « La confiance est très affectée. Déshabiller les hôpitaux alors qu’ils sont submergés de travail, c’était la dernière décision à prendre », juge M. Gatard. Le tout dans un contexte de manque d’effectifs, de suppressions d’emplois et d’approche des fêtes, une période toujours tendue dans les hôpitaux.
Laetitia Clavreul
* Article paru dans le Monde, édition du 11.12.09. LE MONDE | 10.12.09 | 15h08 • Mis à jour le 10.12.09 | 15h08.
Article interactif
« Vacciner, d’accord, mais pas dans ces conditions-là »
Affirmant s’attendre à une « période difficile à la fin de l’année » dans les hôpitaux, la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, a qualifié d’« indispensables », mardi 8 décembre, les réquisitions de médecins ou d’étudiants y travaillant pour assurer la vaccination des Français contre la grippe H1N1. Depuis le lancement de ces réquisitions, étudiants en médecine, personnel médical et personnel soignant pointent cependant du doigt la désorganisation de la campagne de vaccination. Ils sont aujourd’hui nombreux à faire entendre leur mécontentement face à une situation jugée « abracadabrantesque », voire « dangereuse », en nous racontant les difficultés qu’ils rencontrent.
* Des réquisitions qui ne servent à rien, par Raphaël
Je suis interne de chirurgie au CHU de Bordeaux. L’administration a demandé à notre chef de service de mettre à disposition deux internes chaque lundi à compter de la semaine dernière. Le premier lundi, malgré des appels répétés à la Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) afin d’éviter de mauvaises surprises, pas de réquisitions. Réponse a posteriori : les noms des internes disponibles avaient été égarés. Le lundi suivant, un interne est envoyé de 8 heures à 13 heures dans un centre n’ouvrant qu’à 14 heures, l’autre est envoyé dans un centre où l’on n’attendait pas sa venue. Les deux centres étaient à plus de deux heures de route sans que personne ne se soit soucié de savoir si l’on dispose d’une voiture.
En ce qui concerne le service, nous nous sommes organisés et on ne peut pas dire qu’il ait été réellement désorganisé. Mais pour l’instant ces mises à disposition n’ont servi à rien du tout.
* La grande improvisation, par Olivia
Je suis externe en 5e année de médecine. J’ai été réquisitionnée vendredi par téléphone pour le lendemain, samedi, de 8 à 22 heures. Aucune explication sur la préparation des vaccins : on improvise. Heureusement, un des externes s’était renseigné. Pas de seringues pédiatriques, tant pis pour les gosses, ils auront mal, pas de gants sans latex, tant pis pour les allergiques, et encore, on ne se plaint pas : dans certains centres, il n’y avait pas de gants du tout. Le gardien du gymnase ayant aussi été prévenu la veille, il n’a pas trouvé d’agent de sécurité pour ouvrir le lendemain.
Le tout à trois jours de nos partiels. Globalement les étudiants en médecine sont d’accord pour apporter leur aide à la vaccination mais surement pas dans ces conditions !
* Une désorganisation globale, par MM
Je suis actuellement étudiant en 5e année de médecine, et je suis en stage tous les matins en neurologie à Paris. J’ai été réquisitionné vendredi 4 décembre pour le lendemain de 8 heures à 22 heures.
J’ai donc dû annuler mon astreinte auprès de mon service, qui a dû se débrouiller pour trouver un autre externe. Pour information, j’ai été appelé le vendredi à 22 heures afin de reporter cette vacation à dimanche (ce que j’ai refusé). En arrivant sur place le lendemain, tout le monde découvrait ce centre dont l’ouverture avait été décidée la veille.
La chef de centre, n’ayant aucune connaissance médicale, était perdue, et s’en est remise à nous pour la gestion du centre. Nous avons donc dû gérer la traçabilité des vaccins (les lots étaient dépareillés), étant donné qu’il n’y avait pas d’infirmière pour s’en occuper (contrairement à l’organisation « type » d’un centre). Nous avons pu commencer la vaccination à 9 heures (en l’absence de toute réquisition écrite...).
Vers 15 heures, il nous a été demandé de détacher une partie de notre personnel vers un autre centre pour « visite ministérielle ». Nous avons refusé d’aller faire de la figuration. Vers 18 heures, il nous a été demandé de revenir lundi de 14 h 30 à 22 heures, tout en sachant qu’on ne serait pas payé, et qu’on avait déjà donné 14 heures de notre temps ce week-end. Au final, 210 personnes ont été vaccinées. Pendant ce temps, dans mon service, il manque huit externes, et certains jours les internes.
* Une organisation qui met tout le monde en danger, par Ras
Je suis stagiaire infirmier en 3e année. Nous, étudiants infirmiers, sommes réquisitionnés par mail ou téléphone, ce qui n’est pas une réquisition en bonne et due forme. Celle-ci doit être nominative, datée, signée par le préfet (si un problème arrive, notre responsabilité individuelle est engagée et l’Etat ne nous protégera pas).
Nous ratons des jours de stage, notre formation est donc mise entre parenthèses, par ailleurs aucune rémunération n’est envisagée. Ne parlons pas des stagiaires qui sont de nuit et doivent vacciner la journée, c’est dangereux pour nous, c’est dangereux pour la population que l’on vaccine. Comment ne pas commettre d’erreur après tant d’heures d’éveil ? Cela n’est plus possible.
* On nous fait violence, par Simon
Voilà les réquisitions lancées. Quinze heures par semaine ? Que cela représente-t-il pour un externe ? Ajoutez les 20 heures de stage par semaine, les 15 heures de cours par semaine, une garde de 24 heures, les révision de l’internat : minimum 4 heures par jour. On atteint l’honorable score de 102 heures.
Personne ne se bat contre l’idée qu’il s’agit pour nous d’un devoir moral, mais force est de constater qu’il y a une méprise totale de la violence qu’on nous fait subir. Car la réquisition est une privation de liberté, certes légale, mais qui n’en reste pas moins un geste violent, à ne pas mettre en place sans un minimum de recul et de réflexion.
Or l’opportunité de cette réquisition est clairement à remettre en cause : certes, on a vu (il y a maintenant 10 jours) des files d’attente interminables devant les centres. Cette situation n’est plus d’actualité. Certains externes ont vacciné 5 personnes en 7 heures de vacations.
* LEMONDE.FR | 09.12.09 | 14h55 • Mis à jour le 09.12.09 | 15h32.
L’UFC-« Que choisir » dénonce un appel surtaxé pour joindre Info Grippe
La plate-forme téléphonique Info Grippe, mise en place par le ministère de la santé, est accessible via un numéro surtaxé, regrette mercredi l’association de consommateurs UFC-Que choisir, alors que le gouvernement avait promis un tarif local pour les services publics.
Cette plate-forme, destinée à répondre aux interrogations sur la grippe H1N1, « est accessible par un numéro surtaxé (le 0825 302 302), facturé 0,15 euro la minute. Pourtant, fin 2007, le ministre du budget, Eric Woerth, avait promis que les administrations seraient désormais joignables au tarif local », rappelle la lettre électronique hebdomadaire du magazine Que choisir, éditée par l’association.
Le ministère de la santé a, en fait, repris le numéro précédemment utilisé pour la grippe aviaire, note Que choisir. Mais depuis, « la grogne des usagers contraints de devoir passer par des appels surtaxés pour joindre les services de l’administration a pris de l’ampleur ».
En septembre 2007, M. Woerth avait « donné instruction pour que les appels des usagers aux services placés sous son autorité » se fassent au prix d’une communication locale, avait annoncé le ministère. Le site de l’Autorité de régulation des télécommunications (Arcep) définit les numéros commençant par 0825 comme des « services à valeur ajoutée », facturés 0,122 euro les premières 45 secondes puis 0,15 euro la minute, avec une surtaxe appliquée aux téléphones mobiles.
Par ailleurs, l’UFC-Que choisir conseille d’« éviter » le numéro d’information téléphonique proposé par le site grippea.fr, présenté comme un site de journalistes indépendants, « très visible sur les principaux moteurs de recherche ». Il s’agit d’un numéro de téléphone en 0 899, facturé 1,35 euro l’appel puis 0,34 euro la minute, « censé permettre d’accéder à des informations locales ’en temps réel’. En fait d’informations, une voix enregistrée explique à l’interlocuteur qu’il peut désormais ’accéder à (son) espace personnel en ligne’, c’est-à-dire une soi-disant estimation du nombre de personnes atteintes de la grippe A dans sa ville ».
* LEMONDE.FR avec AFP | 09.12.09 | 16h57