I.- INTRODUCTION
L’expérience de plus de 5 années de convergences mondiales des résistances au néolibéralisme a
permis de créer une nouvelle conscience collective. Les Forums sociaux mondiaux, thématiques,
continentaux et nationaux et l’Assemblée des mouvements sociaux en furent les principaux artisans.
Réunis à Bamako le 18 janvier 2006, veille de l’ouverture du Forum social mondial polycentrique,
les participants à cette Journée consacrée au 50e anniversaire de Bandung ont exprimé leur
préoccupation de définir d’autres objectifs du développement, de créer un équilibre des sociétés
abolissant l’exploitation de classe, de genre, de race et de caste et de tracer la voie d’un nouveau
rapport de forces entre le Sud et le Nord.
L’appel de Bamako se veut une contribution à l’émergence d’un nouveau sujet populaire historique
et à consolidation des acquis de ces rencontres : le principe du droit à la vie pour tous ; les grandes
orientations d’un vivre ensemble dans la paix, la justice et la diversité ; les manières de réaliser ces
objectifs au plan local et à l’échelle de l’humanité.
Pour qu’un sujet historique naisse - populaire, pluriel et multipolaire - il faut définir et promouvoir
des alternatives capables de mobiliser des forces sociales et politiques. La transformation radicale
du système capitaliste en est l’objectif. Sa destruction de la planète et de millions d’êtres humains, la
culture individualiste de consommation qui l’accompagne et le nourrit et son imposition par des
forces impérialistes, ne sont plus acceptables, car il y va de la vie même de l’humanité. De telles
alternatives doivent s’appuyer sur la longue tradition des résistances populaires et prendre aussi en
compte les petits pas indispensables à la vie quotidienne des victimes.
L’Appel de Bamako, construit autour de grands thèmes discutés en commissions, affirme la volonté
de :
(i) construire l’internationalisme des peuples du Sud et du Nord face aux ravages engendrés par la
dictature des marchés financiers et par le déploiement mondialisé incontrôlé des transnationales ;
(ii) construire la solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques face aux défis
du développement au XXIe siècle ;
(iii) construire un consensus politique, économique et culturel alternatif à la mondialisation néolibérale
et militarisée et à l’hégémonisme des Etats-Unis et de leurs alliés.
II.- LES PRINCIPES
1.- Construire un monde fondé sur la solidarité des êtres humains et des peuples
Notre époque est dominée par l’imposition de la concurrence entre les travailleurs, les nations et les
peuples. Pourtant le principe de la solidarité a rempli dans l’histoire des fonctions autrement plus
constructives pour l’organisation efficace des productions matérielles et intellectuelles. Nous
voulons donner à ce principe la place qui lui revient et relativiser celle de la concurrence.
2.- Construire un monde fondé sur l’affirmation pleine et entière des citoyens et l’égalité des
sexes
Le citoyen doit devenir le responsable en dernier ressort de la gestion de tous les aspects de la vie
sociale, politique, économique, culturelle. C’est la condition d’une démocratisation authentique. A
défaut, l’être humain est réduit aux statuts juxtaposés de porteur d’une force de travail, de spectateur
impuissant face aux décisions des pouvoirs, de consommateur encouragé aux pires gaspillages.
L’affirmation, en droit et en fait, de l’égalité absolue des sexes est une part intégrante de la
démocratie authentique. L’une des conditions de cette dernière est l’éradication de toutes les formes
avouées ou sournoises du patriarcat.
3.- Construire une civilisation universelle offrant à la diversité dans tous les domaines son
plein potentiel de déploiement créateur
Pour le néo-libéralisme, l’affirmation de l’individu - non pas du citoyen - permettrait
l’épanouissement des meilleures qualités humaines. L’isolement insupportable que la compétence
impose à cet individu dans le système capitaliste produit son antidote illusoire : l’enfermement dans
les ghettos de prétendues identités communautaires, le plus souvent de type para-ethnique et/ou
parareligieux. Nous voulons construire une civilisation universelle qui regarde l’avenir sans
nostalgie passéiste. Dans cette construction, la diversité politique citoyenne, et celle des différences
culturelles et politiques des nations et des peuples, devient le moyen de donner aux individus des
capacités renforcées de déploiement créateur.
4.- Construire la socialisation par la démocratie
Les politiques néolibérales veulent imposer un seul mode de socialisation par le marché, dont
pourtant les effets destructeurs pour la majorité des êtres humains n’ont plus à être démontrés. Le
monde que nous voulons conçoit la socialisation comme le produit principal d’une démocratisation
sans rivages. Dans ce cadre, où le marché a sa place, mais pas toute la place, l’économie et la
finance doivent être mises au service d’un projet de société et non pas être soumis unilatéralement
aux exigences d’un déploiement incontrôlé des initiatives du capital dominant qui favorise les
intérêts particuliers d’une infime minorité. La démocratie radicale que nous voulons promouvoir
restitue tous ses droits à l’imaginaire inventif de l’innovation politique. Elle fonde la vie sociale sur
la diversité inlassablement produite et reproduite, et non sur le consensus manipulé qui efface les
débats de fond et enferme les dissidents dans des ghettos.
5.- Construire un monde fondé sur la reconnaissance du statut non marchand de la nature et
des ressources de la Planète, des terres agricoles
Le modèle capitaliste néo-libéral assigne l’objectif de soumettre tous les aspects de la vie sociale,
presque sans exception, au statut de marchandise. La privatisation et la marchandisation à outrance
entraînent des effets dévastateurs sans précédents : la destruction de la biodiversité, la menace
écologique, le gaspillage des ressources renouvelables ou non (pétrole et eau en particulier),
l’anéantissement des sociétés paysannes menacées d’expulsions massives de leurs terres. Tous ces
domaines doivent être gérés comme autant de biens communs de l’humanité. Dans ces domaines, la
décision ne relève pas du marché pour l’essentiel, mais des pouvoirs politiques des nations et des
peuples.
6.- Construire un monde fondé sur la reconnaissance du statut non marchand des produits
culturels et des connaissances scientifiques, de l’éducation et de la santé
Les politiques néolibérales conduisent à la marchandisation des produits culturels et à la
privatisation des grands services sociaux, notamment de l’éducation et de la santé. Cette option
entraîne la production en masse de produits para-culturels de basse qualité, la soumission de la
recherche aux priorités exclusives de la rentabilité à court terme, la dégradation - voire l’exclusion -
de l’éducation et de la santé pour les classes populaires. Le renouvellement et l’élargissement des
services publics doivent être guidés par l’objectif de renforcer la satisfaction des besoins et les
droits essentiels à l’éducation, la santé et l’alimentation.
7.- Promouvoir des politiques qui associent étroitement la démocratisation sans limite définie
à l’avance, le progrès social et l’affirmation de l’autonomie des nations et des peuples
Les politiques néo-libérales nient les exigences spécifiques du progrès social - qu’on prétend produit
spontanément par l’expansion des marchés - comme de l’autonomie des nations et des peuples,
nécessaire à la correction des inégalités. Dans ces conditions, la démocratie est vidée de tout
contenu effectif, vulnérabilisée et fragilisée à l’extrême. Affirmer l’objectif d’une démocratie
authentique exige de donner au progrès social sa place déterminante dans la gestion de tous les
aspects de la vie sociale, politique, économique et culturelle. La diversité des nations et des peuples,
produite par l’histoire, dans ses aspects positifs comme dans les inégalités qui l’accompagnent,
exige l’affirmation de leur autonomie. Il n’existe pas de recette unique dans les domaines politique
ou économique qui permettrait de faire l’impasse sur cette autonomie. L’objectif de l’égalité à
construire passe par la diversité des moyens à mettre en œuvre.
8.- Affirmer la solidarité des peuples du Nord et du Sud dans la construction d’un
internationalisme sur une base anti-impérialiste
La solidarité de tous les peuples - du Nord et du Sud - dans la construction de la civilisation
universelle ne peut être fondée ni sur l’assistance ni sur l’affirmation qu’étant tous embarqués sur la
planète, il serait possible de négliger les conflits d’intérêts opposant les différentes classes et nations
constituant le monde réel. Cette solidarité passe par le dépassement des lois et valeurs du
capitalisme et de l’impérialisme qui lui est inhérent. Les organisations régionales de la
mondialisation alternative doivent s’inscrire dans la perspective du renforcement de l’autonomie et
de la solidarité des nations et des peuples sur les cinq continents. Cette perspective contraste avec
celle des modèles dominants actuels de régionalisation, conçus comme autant de blocs constitutifs
de la mondialisation néo-libérale. Cinquante ans après Bandung, l’Appel de Bamako exprime aussi
l’exigence d’un Bandung des peuples du Sud, victimes du déploiement de la mondialisation
capitaliste réellement existante, de la reconstruction d’un front du Sud capable de mettre en échec
l’impérialisme des puissances économiques dominantes et l’hégémonisme militaire des Etats-Unis.
Ce front anti-impérialiste n’oppose pas les peuples du Sud à ceux du Nord. Au contraire, il constitue
le socle de la construction d’un internationalisme global les associant tous dans la construction
d’une civilisation commune dans sa diversité.
III.- OBJECTIFS A LONG TERME ET PROPOSITIONS POUR L’ACTION IMMEDIATE
Pour passer de la conscience collective à la construction d’acteurs collectifs, populaires, pluriels et
multipolaires, il a toujours été nécessaire d’identifier des thèmes précis pour formuler des stratégies
et propositions concrètes. Ces thèmes de l’Appel de Bamako couvrent les 10 domaines suivants, en
fonction d’objectifs à long terme et de propositions d’action immédiate.
Ces thèmes de l’Appel de Bamako, présentés plus en détail ci-dessous, se recoupent, sans toutefois
se recouvrir totalement, les interconnexions entre eux étant multiples. Ils couvrent les dix domaines
suivants, en fonction d’objectifs à long terme et de propositions d’action immédiate : l’organisation
politique de la mondialisation ; l’organisation économique du système mondial ; l’avenir des
sociétés paysannes ; la construction du front uni des travailleurs ; les régionalisations au service des
peuples ; la gestion démocratique des sociétés ; l’égalité des sexes ; la gestion des ressources de la
planète ; la gestion démocratique des médias et de la diversité culturelle ; la démocratisation des
organisations internationales.
L’appel de Bamako est une invitation à toutes les organisations de lutte représentatives des vastes
majorités que constituent les classes travailleuses et les exclus du système capitaliste néo-libéral,
ainsi qu’à toutes les personnes et forces politiques qui adhèrent à ces principes, d’œuvrer ensemble
pour parvenir à la mise en œuvre effective de ces objectifs.
PROPOSITIONS DE L’APPEL DE BAMAKO
La constitution de synergies et de solidarités au-delà des frontières géographiques et sectorielles est
la seule manière d’agir dans un monde globalisé et de déboucher sur des alternatives. Des groupes
de travail continueront au cours de cette année d’approfondir et de concrétiser les thèmes abordés
ci-dessous, pour à nouveau faire le point lors d’une nouvelle rencontre et de proposer des priorités
stratégiques d’action.
1.- Pour un système mondial multipolaire fondé sur la paix, le droit et la négociation
Pour penser un système mondial multipolaire authentique qui rejette le contrôle de la planète par les
Etats-Unis d’Amérique et garantisse l’ensemble des droits des citoyens et des peuples à disposer de
leurs destinées, il est nécessaire :
1) de renforcer le mouvement de contestation contre la guerre et les occupations militaires, ainsi que
la solidarité avec les peuples en lutte dans les points chauds de la planète. A cet égard, il serait très
important que la manifestation mondiale contre la guerre en Irak et la présence militaire de
l’Afghanistan prévue les 18 et 19 mars 2006, soit articulée avec :
– l’interdiction de l’usage et de la fabrication des armes nucléaires et la destruction de tous les
arsenaux existants ;
– le démantèlement de toutes les bases militaires hors du territoire national, notamment celle de
Guantanamo ;
– la fermeture immédiate de toutes les prisons de la CIA.
2) de refuser les interventions de l’OTAN hors d’Europe et d’exiger que les partenaires européens
se dissocient des guerres préventives états-uniennes, tout en engageant une campagne destinée à sa
dissolution.
3) de réaffirmer la solidarité avec le peuple de Palestine qui symbolise la résistance à l’apartheid
mondial exprimé par le mur établissant la fracture entre « civilisation » et « barbarie ». A cet effet, le
renforcement des campagnes pour exiger la démolition du mur de la honte et le retrait des troupes
israéliennes des territoires occupés apparaît comme prioritaire.
4) d’élargir les campagnes de solidarité avec le Venezuela et la Bolivie, en tant que lieux de
construction d’alternatives au néo-libéralisme et d’artisans d’une intégration latino-américaine.
Au-delà de ces campagnes, pourraient être envisagés :
– la constitution d’un réseau de chercheurs, travaillant en liaison étroite avec des associations de
militants agissant au niveau local, à la construction de bases de données actualisées et exhaustives
relatives aux bases militaires des Etats-Unis et de l’OTAN. Une information précise sur ces
questions militaires et stratégiques permettrait d’accroître l’efficacité des campagnes menées pour
leur démantèlement ;
– la création d’un Observatoire « Imperialism Watch » qui dénoncerait non seulement les guerres et
leur propagande, mais aussi toutes les manœuvres et pressions, économiques et autres, exercées sur
les peuples ;
– la création d’un réseau anti-impérialiste mondial qui coordonnerait l’ensemble des mobilisations à
travers la planète.
2.- Pour une réorganisation économique du système mondial
Dans la perspective d’une stratégie d’action pour transformer le système économique mondial, il est
nécessaire de :
1) renforcer les campagnes de protestation contre les règles actuelles de fonctionnement de
l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et pour la définition de règles alternatives (pour la
sortie de l’OMC de l’agriculture, des services, de la propriété intellectuelle...).
2) créer des groupes de travail, en relation avec les associations et mouvements sociaux ayant déjà
entrepris ce travail de longue date, pour établir, de la manière la plus sérieuse et exhaustive que
possible, un état des lieux des propositions de mesures alternatives dans les domaines économiques
les plus fondamentaux :
– l’organisation des transferts de capitaux et de technologies ;
– la proposition de régulations (« codes d’investissements » par exemple) précisant les droits des
nations et des travailleurs ;
– l’organisation du système monétaire : contrôle des flux de capitaux (en particulier spéculatifs),
suppression des paradis fiscaux, édification de systèmes régionaux de gestion des changes et leur
articulation dans un système mondial rénové (remise en question du FMI et de la Banque mondiale,
retour au principe de la primauté du droit des nations à définir leur système économique, abolition
des entraves imposées par les décisions non négociées des organisations internationales...) ;
– l’élaboration d’une véritable législation concernant les dettes extérieures (exiger des Etats des
audits permettant d’identifier les dettes odieuses) et le renforcement de la mobilisation, à très court
terme, pour l’annulation de dette du Tiers Monde ;
– les réformes des services sociaux et de leur financement : éducation, santé, recherche, retraites...
3) créer des groupes de chercheurs spécialisés pour suivre les évolutions des mouvements de
capitaux et des mécanismes de dépendance du capital financier national vis-à-vis du capital
financier international.
4) créer des groupes de travail, avec site Internet et groupes de discussions, par pays et région, pour
l’étude des structures de propriété du capital et des mécanismes de fonctionnement du capitalisme
dans chaque pays et dans ses rapports avec le système financier international.
5) créer des lieux de formation de journalistes pour les informer sur les mécanismes complexes de
la mondialisation néo-libérale.
6) mettre en contact, sous la forme de sites Internet connectés, les différentes associations
d’économistes progressistes et militants engagés dans la recherche d’alternatives à la mondialisation
néo-libérale dans chaque région du monde (Asie, Afrique, Amérique latine, Océanie, Europe,
Amérique du Nord).
3.- Pour des régionalisations au service des peuples et qui renforcent le Sud dans les
négociations globales
Partant du constat que le libre-échange, en favorisant les plus forts, est l’ennemi de l’intégration
régionale et que cette dernière ne peut pas être réalisée selon ses règles, il est nécessaire de dégager
les conditions d’une coopération alternative au sein de chaque grande région, comme aussi celles du
renouveau de la Tricontinentale, en liaison étroite avec l’action des mouvements sociaux.
– En Amérique latine, face aux agressions des multinationales, les travailleurs ont inscrit la question
de l’intégration régionale dans une perspective nouvelle, fondée sur des avantages coopératifs, et
non plus sur des avantages comparatifs. Tel est le cas des expériences alternatives de coopération au
Sud en matières de pétrole (Petrocaribe), de réduction de la dette (rachat de dettes entre pays du
Sud) ou d’éducation et de santé (médecins cubains), par exemple. Ce sont des principes politiques
qui doivent fonder cette coopération destinée à favoriser la croissance et la solidarité dans tous les
pays, et non plus les règles imposées par l’OMC.
– En Afrique, l’aspiration à l’unité est très présente, de même que la conscience de l’impossibilité
d’une résistance ou d’un développement isolés face aux pressions de la mondialisation néo-libérale.
Les institutions d’intégration, nombreuses, y sont cependant inefficaces, et les plus actives sont
celles héritées des périodes de la colonisation et de l’apartheid. L’Union africaine et son programme
économique et social (NEPAD) n’intègrent aucune idée de résistance collective. C’est dans ce
contexte que les sociétés civiles doivent prendre conscience la nécessité de dépasser leurs divisions.
Pour les pays nord-africains des pourtours méditerranéens, les accords Euro-Méditerranée
constituent un exemple supplémentaire de régionalisation menée aux dépends du Sud.
– En Asie, pour faire face à la mondialisation néo-libérale, et malgré les difficultés, des initiatives
populaires pour une autre intégration régionale, réunissant nombre d’organisations des sociétés
civiles, d’ONG, etc., se sont mis en marche dans la plupart des pays, aboutissant notamment à
l’élaboration d’une charte populaire visant au renforcement de la coopération dans les échanges.
En conséquence, il paraît opportun de recommander, au-delà de l’intensification des campagnes
contre les guerres et les menaces de guerres, les propositions suivantes :
1) pour l’Amérique latine : élargir les campagnes de soutien à l’ALBA, pour mettre définitivement
en échec la stratégie états-unienne de l’ALCA, promouvoir l’indépendance et le développement
dans la justice et l’équité entre les peuples et construire une intégration fondée sur la coopération et
la solidarité qui sache s’adapter aux spécificités de ces derniers ; mobiliser les mouvements sociaux
pour un élargissement et un approfondissement des processus d’intégration alternative, de type
Petrocaribe ou Telesur ; promouvoir les échanges répondant à une logique coopérative ; et renforcer
les articulations des actions organisations sociales et politiques pour mettre en œuvre ces
recommandations.
2) pour l’Afrique : sensibiliser les mouvements des sociétés civiles sur la nécessité de formuler des
propositions alternatives dans les initiatives africaines ; prendre en compte la nécessité d’articuler
les actions entreprises aux niveaux régional et national ; lancer des campagnes pour la paix pour
mettre fin aux conflits existants ou prévenir les risques de nouveaux conflits ; se départir de
conceptions de l’intégration, fondée sur la race ou la culture.
3) pour l’Asie : contrecarrer l’expansion et la compétition du capital entre pays et renforcer la
solidarité entre classes laborieuses des différents pays ; promouvoir le circuit local entre production
et consommation ; promouvoir les sciences pour la reconstruction rurale.
Pour être efficace, la coopération entre pays du Sud doit exprimer la solidarité des peuples et des
gouvernements qui résistent au néo-libéralisme et cherchent des alternatives dans la perspective
d’un système mondial multipolaire.
4.- Pour la gestion démocratique des ressources naturelles de la planète
Le concept de « ressources naturelles » doit être subordonné à celui du vivant, et donc du droit à la
vie, afin d’arrêter la dévastation et la déprédation de la planète. Il s’agit donc d’un principe vital et
non d’une simple gestion des ressources naturelles. Ces dernières ne peuvent être utilisées au-delà
de leur capacité de renouvellement, en les ajustant selon chaque pays. Des critères de leur utilisation
doivent être définis pour garantir le développement et préserver la biodiversité et les écosystèmes. Il
faut donc encourager le développement de substituts aux ressources non renouvelables. La
marchandisation de la vie (commodification of life) se traduit par des guerres pour le pétrole, l’eau,
etc. L’agrobusiness privilégie la culture de rente sur la culture de subsistance tout en imposant des
modalités techniques qui produisent dépendances et destruction de l’environnement (contrats
d’exploitation pour imposer certains matériels, engrais et semences comme les OGM).
Concrètement, deux niveaux d’actions sur l’environnement doivent être combinées : micro et
macro. Au niveau macro, qui concerne les États, il serait souhaitable qu’un cadre interétatique de
concertation multilatéral ait des moyens d’actions et de pression politique sur les États pour prendre
des mesures globales. Le niveau micro concerne quant à lui les actions locales ou régionales, où la
société civile a un rôle important à jouer, notamment pour diffuser l’information et changer les
pratiques afin d’économiser les ressources et protéger l’environnement. Le niveau local doit être
renforcé, les décisions étant trop souvent pensées au seul niveau macro.
Les actions suivantes pourraient en résulter :
1) constituer un tribunal international chargé de juger les crimes écologiques : les pays du Nord et
leurs relais locaux pourraient alors être condamnés à payer des réparations aux pays du Sud (dettes
écologiques) ;
2) rendre illégaux les contrats imposant une dépendance entre agriculteurs et fournisseurs de
semences, et qui conduisent à l’esclavage technologique et à la destruction de la biodiversité ;
3) abolir les « droits à polluer » (pollution rights) et leur marché et obliger les pays riches à diminuer
leur taux de production de dioxyde de carbone (5,6 tonnes par an et par personne pour les États-
Unis) pour permettre aux pays pauvres (0,7 tonnes par an et par personne pour les pays hors G8) de
s’industrialiser ;
4) interdire que les grands barrages, dans la mesure où ils sont vraiment nécessaires, soient
construits sans compensation pour les populations déplacées (réfugiés économiques) ;
5) protéger les ressources biologiques et génétiques des brevets du Nord et qui appauvrissent les
pays du Sud, qui constituent un vol de type colonial ;
6) combattre la privatisation de l’eau, telle que promue par la Banque Mondiale, même sous sa
forme de partenariat privé-public (PPP, private-public partnership) et garantir une quantité
minimum d’eau par personne dans le respect du rythme de renouvellement des nappes phréatiques ;
7) créer un Observatoire de l’Environnement (Ecologic Watch) susceptible de dénoncer et de réagir
aux agressions caractérisées contre l’environnement.
5.- Pour un avenir meilleur des agricultures paysannes
Dans le domaine de l’agriculture paysanne, il existe d’abord des objectifs à moyen et long termes,
liés à la souveraineté alimentaire et qui se situent à la fois aux niveaux national, international,
multilatéral (celui de l’OMC) et bilatéral (Accords de partenariat économique [APE], négociés entre
les pays ACP et l’Union européenne). Ensuite, au niveau national, cela concerne aussi bien la
politique des prix et marchés agricoles que la politique des structures, l’accès des agriculteurs aux
moyens de production et d’abord à la terre. A très court terme, en 2006, il s’agit de faire échouer la
finalisation du Doha Round, ce qui facilitera le refus de conclure les Accords de partenariat
économique. A cet effet, les propositions portent sur deux axes : les moyens pour imposer la
souveraineté alimentaire à moyen terme, et comme préalable la mise en échec du Doha Round et les
Accords de partenariat économique.
1) Propositions pour imposer la souveraineté alimentaire :
La souveraineté alimentaire est le droit qui doit être reconnu à chaque État (ou groupe d’États) de
définir sa politique agricole intérieure et le type d’insertion qu’il souhaite dans le marché mondial,
avec le droit de se protéger efficacement à l’importation et de subventionner ses agriculteurs à
condition de s’interdire toute exportation de produits agricoles à un prix
inférieur au coût de production total moyen sans subventions directes ou indirectes (en amont ou en
aval). Elle est le bras de levier devant permettre à tous les pays de recouvrer leur souveraineté
nationale dans tous les domaines. C’est aussi un outil de promotion de la démocratie puisqu’elle
nécessite d’impliquer fortement les différents acteurs des filières agroalimentaires à la définition de
ses objectifs et moyens, en commençant par les agriculteurs familiaux. Elle implique donc des
actions de régulation aux niveaux national, sous-régional et international.
* Au niveau national :
Les États doivent garantir l’accès des exploitations paysannes aux ressources productives, et
d’abord à la terre. Il faut arrêter de promouvoir l’agriculture d’agrobusiness avec accaparement de
terres par les bourgeoisies nationales (dont fonctionnaires) et les firmes transnationales au détriment
des exploitations paysannes. Cela implique de faciliter les investissements des exploitations
familiales et de transformer les produits locaux pour les rendre plus attractifs aux consommateurs.
L’accès à la terre de tous les paysans du monde doit être reconnu comme un droit fondamental. Sa
mise en œuvre exige des réformes adéquates des systèmes fonciers et parfois des réformes agraires.
Pour faire partager l’objectif de la souveraineté alimentaire aux consommateurs urbains - condition
indispensable pour que les gouvernements s’y engagent -, trois types d’actions sont à mener :
– encadrer l’action des commerçants qui pénalise les agriculteurs et consommateurs.
– faire des campagnes de sensibilisation des consommateurs sur le tort immense fait à l’agriculture et
à toute l’économie par la dépendance des produits importés, qui sont pratiquement les seuls vendus,
par exemple dans les supermarchés d’Afrique de l’Ouest.
– relever progressivement les prix agricoles par la hausse des droits à l’importation pour ne pas
pénaliser les consommateurs au pouvoir d’achat très limité. Cela doit s’accompagner de la
distribution à ceux-ci de coupons d’achat au prix ancien des produits alimentaires locaux, à l’image
de ce qui se fait aux États-Unis, en Inde et au Brésil, et cela en attendant que les gains de
productivité des agriculteurs aient fait baisser leurs coûts de production unitaires, leur permettant de
baisser leurs prix de vente aux consommateurs.
* Au niveau sous-régional :
Pour que les États puissent recouvrer leur pleine souveraineté, et d’abord la souveraineté
alimentaire, l’intégration politique régionale s’avère incontournable pour les petits pays du Sud. A
cet effet, il faut réformer les institutions régionales actuelles, notamment, en Afrique, l’UEMOA et
la CEDEAO, trop dépendantes de ces diverses méga-puissances.
* Au niveau international :
Faire pression pour que les Nations unies reconnaissent la souveraineté alimentaire comme un droit
fondamental des États indispensable pour mettre en œuvre le droit à l’alimentation défini par la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels de 1996. A ce niveau, quatre instruments de régulation des
échanges agricoles internationaux sont à instaurer pour rendre la souveraineté alimentaire effective :
– Une protection efficace à l’importation, c’est-à-dire fondée sur des prélèvements variables
garantissant un prix d’entrée fixe de manière à garantir des prix agricoles intérieurs minima
sécurisant les investissements des agriculteurs et les prêts des banques, les droits de douane étant
insuffisamment protecteurs face à des prix mondiaux fortement fluctuants, fluctuation aggravée par
celle des taux de change.
– L’élimination de toutes les formes de dumping, en interdisant toute exportation au dessous du coût
de production total moyen du pays sans subventions directes ou indirectes.
– Des mécanismes de coordination internationale de la maîtrise de l’offre, de manière à éviter des
surproductions structurelles et à minimiser les surproductions conjoncturelles qui font s’effondrer
les prix agricoles.
– La nécessité de sortir l’agriculture de l’OMC en confiant la régulation internationale des échanges
agricoles à une institution des Nations Unies qui pourrait être la FAO. En particulier en réformant
son organisation sur le modèle tripartite de l’OIT (Organisation internationale du travail), ce qui
associerait à la régulation les représentants des syndicats agricoles (FIPA et Via Campesina) à côté
de représentants des firmes agroalimentaires (qui agissent déjà dans l’ombre sur les gouvernements
négociant à l’OMC) et des États.
2) Propositions à court terme pour mettre en échec le Doha Round et les Accords de partenariat
économique :
Un enseignement majeur de la Conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong est que le Brésil et
l’Inde, et avec eux le G-20, se sont distancés des intérêts des populations du Tiers Monde et se sont
révélés des promoteurs les plus déterminés de la mondialisation néo-libérale. Puisque le Doha
Round est un « paquet global » (single undertaking), il y a moyen de le mettre en échec. La société
civile internationale, et d’abord les organisations paysannes du Nord et du Sud, pourront dans une
campagne médiatique, montrer que ces subventions (particulièrement de la « boîte verte »), sont un
instrument de dumping bien plus considérable que les subventions explicites à l’exportation, et le
seront encore plus à partir de 2014 lorsque les premières auront été éliminées.
6.- Pour la construction du front uni des travailleurs
Deux des armes principales entre les mains de travailleurs sont le droit de vote et le droit de
constituer des syndicats. La démocratie et les syndicats, jusqu’à présent, ont été construits
principalement sur une base nationale. Cependant, la mondialisation néo-libérale est un défi pour les
travailleurs du monde entier et le capitalisme mondialisé ne peut être affronté uniquement au niveau
national. Aujourd’hui, la tache est double : renforcer le niveau national et simultanément
mondialiser la démocratie et réorganiser une classe ouvrière mondiale.
Le chômage massif et le caractère croissant du travail informel sont une autre raison majeure pour
repenser les organisations existantes des classes travailleuses. Une stratégie mondiale du travail doit
considérer non seulement la situation des ouvriers au travail munis de contrats stables. L’emploi
hors des secteurs formels concerne une partie croissante des travailleurs, même dans les pays
industrialisés. Dans la plupart des pays du Sud, les travailleurs du secteur non formel - travailleurs
avec des emplois temporaires, travailleurs des secteurs informels ; auto-emplois, les chômeurs, les
vendeurs de rue, ceux qui vendent leurs propres services -, forment ensemble la majorité des classes
travailleuses. Ces groupes sont en croissance dans la plupart des pays du Sud à cause d’un chômage
élevé et du double processus, d’une part la raréfaction et l’informalisation des emplois garantis et
d’autre part l’exode rural continu. La tâche la plus importante sera pour les travailleurs hors du
secteur formel de s’organiser et pour les syndicats traditionnels de s’ouvrir afin de réaliser une
action commune.
Les syndicats traditionnels éprouvent des difficultés à répondre à ce défi. Toutes les organisations
des travailleurs hors secteurs formels ne seront pas nécessairement des syndicats, ou organisations
similaires et les syndicats traditionnels devront aussi se transformer. De nouvelles perspectives de
construire ensemble, fondés sur des liens horizontaux et le respect mutuel, doivent se développer
entre les syndicats traditionnels et les nouveaux mouvements sociaux. A cet effet, les propositions
suivantes sont soumises à considération :
1) Une ouverture des syndicats vers une collaboration avec les autres mouvements sociaux sans
essayer de les subordonner à la structure syndicale traditionnelle ou à un parti politique spécifique.
2) La constitution de structures syndicales effectivement transnationales afin de faire face aux
employeurs transnationaux. Ces structures syndicales devraient avoir en même temps une capacité
de négociation et un mandat d’organiser des actions communes au-delà des frontières nationales. A
cet effet, un pas important serait d’organiser des structures syndicales fortes au sein de certaines
transnationales. Ces dernières possèdent un réseau de production complexe et sont souvent très
sensibles à toute rupture dans les chaînes de production et de distribution, ce qui indique
vulnérabilité. Quelques succès dans les combats contre les transnationales pourraient avoir un
impact réel sur les rapports de forces mondiaux entre capital et travail.
3) Le développement technologique et le changement structurel sont nécessaires pour améliorer les
conditions de vie et éradiquer la pauvreté, mais les relocalisations de production ne sont pas
aujourd’hui réalisées dans l’intérêt des travailleurs, sinon selon une logique exclusive de profit. Il
est nécessaire de promouvoir une amélioration graduelle des salaires et des conditions de travail,
une production locale croissant avec la demande locale et un système de négociation pour les
relocalisations en tant qu’alternatives à la logique du profit et du libre-échange. Ces relocalisations
pourraient faire partie de négociation transnationales, afin d’éviter que les travailleurs des différents
pays soient forcés d’entrer en concurrence les uns avec les autres dans une lutte implacable.
4) Considérer les droits des travailleurs migrants comme une préoccupation de base pour les
syndicats en assurant que la solidarité entre travailleurs ne soit pas liée à leur origine nationale. En
effet, la ségrégation et la discrimination, que ce soit sur des bases ethniques ou autres, sont des
menaces pour la solidarité de la classe travailleuse.
5) Veiller à ce que l’organisation transnationale future de la classe travailleuse ne soit pas conçue
comme une structure unique, hiérarchique et pyramidale, mais bien comme une variété de différents
types d’organisations, et une structure en réseau avec de nombreux liens horizontaux.
6) Promouvoir un front du travail réorganisé dans des structures couvrant aussi les travailleurs hors
du secteur formel dans le monde entier, capable en action coordonnée d’affronter efficacement le
capitalisme mondialisé.
Seul un tel mouvement global mondial et renouvelé des travailleurs, agissant ensemble avec
d’autres mouvements sociaux pourra transformer le monde présent et créer un ordre mondial fondé
sur la solidarité plutôt que sur la concurrence.
7.- Pour une démocratisation des sociétés devant permettre un plein développement humain
Les forces progressistes doivent se réapproprier le concept de démocratie, car une société
alternative, socialiste, doit être pleinement démocratique. La démocratie ne se décrète pas d’en haut.
Elle est un processus de transformation culturelle, car les personnes se transforment au travers de
leurs propres pratiques. Il est donc indispensable que les acteurs des mouvements populaires et des
gouvernements de gauche ou progressistes comprennent qu’il faut créer des espaces d’une réelle
participation tant au niveau des lieux de travail qu’à celui des lieux géographiques de vie. Sans la
transformation des personnes en acteurs protagonistes de leur histoire, on ne pourra point résoudre
les problèmes des peuples : santé, alimentation, éducation, logement.... La chute des pays
socialistes d’Europe de l’Est a beaucoup à voir avec cette absence de participation. Les citoyens de
ces pays n’étaient plus guère motivés à défendre des régimes où ils étaient des observateurs et non
des acteurs.
La lutte pour la démocratie doit aussi être liée à la lutte pour l’éradication de la pauvreté et de toutes
les formes d’exclusion. En effet, si l’on veut résoudre ces problèmes, il faut que le peuple devienne
le sujet du pouvoir. Cela implique la lutte contre la logique de profit du capital et de mettre en place,
dans les espaces que l’on peut conquérir, une logique différente, humaniste et solidaire. Car, la seule
affirmation de la nécessité d’une société alternative ne suffit plus et il est donc nécessaire de
proposer des initiatives populaires qui soient des alternatives au capitalisme et qui cherchent à briser
la logique marchande et les rapports que cette dynamique impose.
Mais il s’agit aussi d’organiser des luttes qui ne se réduisent pas à de simples revendications
économiques, même si ces dernières sont nécessaires, et qui proposent un projet social alternatif,
incluant de réels niveaux de pouvoir et de démocratie, dépassant les formes actuelles de la
démocratie représentative, parlementaire, électoraliste. Il est donc nécessaire de lutter pour un
nouveau type de démocratie, venant d’en bas, pour ceux d’en bas, par le biais des gouvernements
locaux, des communautés rurales, des fronts de travailleurs, des citoyens... Cette pratique
démocratique, solidaire, sera la meilleure manière d’attirer de nouveaux secteurs sociaux dans une
lutte pour la société alternative pleinement démocratique.
Afin de concrétiser les principes énoncés, les grandes lignes suivantes sont proposées :
– Inscrire la démocratie dans l’ensemble des conditions qui caractérisent les mouvements
d’émancipation et de libération, dans leur dimension individuelle et collective.
– Reconnaître que l’échec du soviétisme et des régimes issus de la décolonisation résultent en
grande partie de leur déni des libertés et de leur sous-estimation de la démocratie. L’élaboration
d’alternatives doit intégrer ce constat et donner une place prééminente à la construction
démocratique.
– Contester le double discours des puissances dominantes promptes à donner des leçons de
démocratie. Le cynisme de l’impérialisme américain est particulièrement insupportable alors qu’ils
se manifestent comme fauteurs de guerres, de tortures, de violations de libertés. Pour autant, cela ne
saurait servir de prétexte à limiter les libertés et l’exercice de la démocratie.
– Récuser la conception dominante de la démocratie avancée par les Etats-Unis et les puissances
occidentales. La démocratie ne peut être définie comme l’acceptation des règles du marché et la
subordination au marché mondial, d’élections pluralistes contrôlées de l’extérieur et d’une idéologie
réductrice des droits de l’homme. Ce type de démocratie consiste à imposer l’expansion de la
marchandisation en la liant arbitrairement à l’importance reconnue des élections libres et du respect
des droits. On ne fait pas alors que restreindre la démocratie, on en pervertit le sens.
– Reconnaître qu’il existe une forte dialectique entre démocratie politique et démocratie sociale, car
une démocratie politique est incomplète et ne peut durer si persistent les inégalités et l’exploitation
et l’injustice sociale. Une démocratie sociale ne peut progresser sans lutte contre l’oppression et les
discriminations, tout en rappelant qu’aucune politique sociale ne peut justifier l’absence de libertés
et le non-respect des droits fondamentaux.
– Affirmer que la démocratie nécessite une participation effective et croissante de la population, des
producteurs et des habitants. Celle-ci implique une transparence dans les processus de décision et
dans les responsabilités et elle n’annule pas l’importance de la démocratie représentative. Au
contraire, elle la complète et l’approfondit.
– Puisque la démocratie doit faciliter la lutte contre la pauvreté, les inégalités, les injustices et les
discriminations, elle doit laisser une place stratégique aux pauvres et aux opprimés, à leurs luttes et
à leurs mouvements. Dans ce sens la démocratie dans le fonctionnement de ces mouvements
concourre à leur pérennité et à leurs succès.
– La démocratie dans le mouvement altermondialiste est une indication de l’importance que le
mouvement accorde à la démocratie dans ses orientations. Elle implique un renouvellement de la
culture politique et de la culture d’organisation, une attention particulière accordée à la question de
l’autorité et de la hiérarchie. A cet effet, une des propositions d’action immédiate est de mener une
campagne pour que les mouvements d’éducation populaire fassent une place importante à
l’éducation citoyenne et à l’éducation à la démocratie et que cette dimension soit présente dans
l’enseignement. Rappelons, en effet, que le mouvement altermondialiste est porteur d’un projet
foncièrement démocratique. Il revendique l’accès pour tous aux droits fondamentaux. Il s’agit des
droits civils et politiques et notamment des droits à la libre organisation et à la libre expression qui
sont les fondements des libertés démocratiques. Il revendique aussi les droits économiques, sociaux,
culturels et environnementaux qui sont les fondements de la démocratie sociale. Il revendique enfin
les droits collectifs et les droits des peuples à lutter contre l’oppression et contre les violences qui
leurs sont imposées. Il s’agit là de la définition d’un programme de mise en œuvre de la démocratie.
– Le mouvement altermondialiste reconnaît aussi l’importance des services publics comme un des
moyens essentiels de garantir l’accès aux droits pour tous et l’égalité des droits. Il défend les luttes
des travailleurs et des usagers des services publics. Il met en avant les propositions issues des
mouvements de défense des services publics, et notamment des services d’éducation et de santé. Par
exemple pour la santé l’accès à une liste de médicaments gratuits et le refus des monopoles, de la
dictature des brevets et de la prétention à breveter le vivant.
– La lutte pour la démocratie doit tenir compte des différents niveaux d’intervention suivant les
espaces. Nous en retiendrons cinq : l’entreprise, la démocratie locale, la démocratie nationale, les
grandes régions, la démocratie mondiale. Pour chacun de ces niveaux, à titre d’illustration, une
action peut être proposée. Le choix des priorités résultera du débat stratégique.
1) La démocratie dans l’entreprise est une revendication majeure. Elle implique la reconnaissance
du pouvoir des travailleurs, des usagers et des collectivités publiques territoriales et nationales. Elle
nécessité le refus de la dictature des actionnaires et de la logique destructrice du capital financier.
Elle débouche sur le contrôle des décisions, et notamment des délocalisations. La mise en valeur des
formes innovantes d’auto-organisation et de mutualisation est une des manières de revendiquer la
pluralité des formes de production et de refuser la fausse évidence de l’efficacité de l’entreprise
capitaliste privée. Le mouvement pour la responsabilité sociale et environnementale des entreprises
présente un grand intérêt, malgré les risques de récupération, à condition de déboucher sur des
normes publiques contraignantes dans le droit international.
2) La démocratie locale répond à la demande de proximité et de participation. Elle repose sur des
institutions locales qui doivent garantir les services publics et qui augurent d’une alternative au néolibéralisme
préférant le niveau local et la satisfaction des besoins à l’ajustement de toute la société
au marché mondial. Elle permet de renouveler la citoyenneté, notamment à travers celle de
résidence et de ses conséquences en termes de droits de vote.
3) La démocratie nationale reste l’échelon stratégique. Les questions des identités, des frontières, du
respect des droits des minorités, de la légitimité des institutions participent aux fondements de la
souveraineté populaire. Les politiques publiques peuvent être des espaces d’affrontement contre le
néo-libéralisme. La redistribution des richesses fondée sur la fiscalité est à défendre et à étendre.
Des mesures comme le revenu minimum et la couverture sociale fondée sur la solidarité entre
générations ne sont pas réservées au pays riches, mais découlent des conditions du partage entre
rémunérations du travail et profits spécifiques à chaque société.
4) Les grandes régions peuvent être aussi bien des vecteurs de la mondialisation néo-libérale,
comme dans l’Union Européenne, que des contre-tendances et des lieux de résistance, comme le
montre les évolutions du Mercosur et la mise en échec de l’ALCA. De ce point de vue, les forums
sociaux continentaux ont des enjeux considérables.
5) La démocratie mondiale est une perspective de réponse à la mondialisation néo-libérale. Dans la
situation actuelle, les mobilisations prioritaires portées par le mouvement altermondialiste sont :
l’annulation de la dette, la remise en cause fondamentale de l’OMC, la suppression des paradis
fiscaux, la taxation internationale et tout particulièrement celle du capital financier (transferts de
capitaux, profits des firmes transnationales, écotaxes...), une réforme radicale des institutions
financières internationales (avec notamment le principe un pays, une voix), la réforme des Nations
unies dans le respect des droits des peuples et le refus de la guerre préventive.
Il serait donc nécessaire de : se doter d’un Observatoire de la Démocratie, qui soit en mesure de
résister à l’hégémonie des pays dominants, au premier rang desquels les États-Unis, et à leur
discours fallacieux sur la démocratie ; encourager le contrôle citoyen ; promouvoir les formes
démocratiques inventées et mises en œuvre par les mouvements sociaux et citoyens.
8.- Pour l’éradication de toutes les formes d’oppression, d’exploitation et d’aliénation des
femmes
Les formes du patriarcat sont multiples, comme ses liens avec l’impérialisme et le néo-libéralisme.
Il est important et nécessaire d’en analyser l’impact sur les femmes. Le concept de patriarcat se
réfère à la domination du père/patriarche et a servi à décrire un modèle familial dominé par les
hommes ayant autorité sur tous les autres membres de la famille. Le modèle n’est certes pas
universel, nombre de sociétés africaines ayant été matrilinéaires ou à régime dualiste, avec des
lignages paternels et utérins qui ont leurs rôles pour l’individu. Ce système patriarcal s’est étendu
avec l’essor des religions abrahamiques et des idéologies et législations coloniales. Aujourd’hui, le
patriarcat désigne surtout la domination masculine, l’inégalité entre les sexes au détriment des
femmes et leurs multiples formes de subordination. La famille qui socialise l’enfant reste le lieu
premier de la « domestication » des filles et des femmes. Cette hiérarchisation des sexes est d’autant
plus marquée qu’elle est soutenue par des normes culturelles et des valeurs religieuses menant à
l’appropriation des capacités productives et reproductives des femmes. L’État renforce ce pouvoir
patriarcal avec ses politiques et ses codes de la famille. Des discriminations persistent dans
les relations au sein de la sphère familiale, dans l’éducation, dans l’accès aux ressources naturelles,
matérielles et financières, à l’emploi, dans la participation au pouvoir politique, etc. Malgré une
avancée sensible des droits des femmes, la domination masculine s’inscrit encore durablement avec
la « masculinisation » des institutions que reproduisent les organisations néo-libérales.
L’analyse des rapports entre patriarcat et impérialisme et le bilan, mitigé, des luttes des femmes
contre ces systèmes amène à proposer plusieurs actions :
:
1) Rompre avec la marginalisation de la question des femmes, qui aboutit à un apartheid politique et
scientifique. La question du genre étant transversale, elle doit être prise en compte dans toutes les
recommandations.
2) Poursuivre le lobbying des organisations de la société civile et de la classe politique, de façon à
renforcer l’alliance entre organisations féministes et forces progressistes et inscrire dans leur agenda
le plaidoyer en faveur des femmes, comprenant :
– la lutte contre l’image de leur position d’infériorité dans les discours sociaux, politiques, culturels
et religieux de la société globale ;
– le développement de l’éducation et de la formation des femmes afin de briser l’internalisation de
cette position d’infériorité ;
– la diffusion d’une meilleure conscience de leurs rôles actifs dans la société ;
– l’incitation des hommes à s’interroger sur cette domination masculine pour en déconstruire les
mécanismes ;
– le renforcement des dispositions juridiques pour une égalité effective entre les sexes ;
– l’accroissement de leur représentation dans les institutions (parité).
3) Rendre visible l’histoire des femmes, leurs actions individuelles et collectives, notamment :
– le projet d’attribution du prix Nobel de la Paix 2005 à Mille femmes, institution mise sur pied par
des associations de Hong Kong ;
– la campagne de Women say no to war contre la guerre en Irak ;
– diverses campagnes sur des sujets d’actualité ou des projets de société.
4) Promouvoir le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps physique et mental, à
contrôler elles-mêmes les décisions relatives à leur choix de vie : éducation, emploi, activités
diverses, mais aussi sexualité et fécondité (droit à la contraception, choix de la fécondité, droit
d’avortement...), le corps des femmes étant le site d’oppressions et de violences de toutes natures.
5) Soutenir la réflexion théorique, à partir des expériences féminines, pour aller à l’encontre de la
domination masculine, et renforcer les perspectives des femmes sur diverses questions affectant la
société afin d’ouvrir de nouveaux horizons pour la recherche et l’action, en matières notamment de
population, dans le prolongement de la Conférence du Caire sur la population (1994), ou
d’environnement, à la suite du Sommet de la terre à Rio de Janeiro (1992), au cours duquel les
femmes ont exigé le droit de vivre dans un environnement sain.
6) Développer les bases de données et un portail Internet sur les rapports entre les femmes et
l’impérialisme et le néo-libéralisme.
9.- Pour la gestion démocratique des médias et de la diversité culturelle
1) Pour le droit à l’éducation :
En amont du droit à la culture, du droit à l’information et du droit d’informer, se pose le problème
fondamental du droit à l’éducation. Ce droit, s’il est officiellement reconnu partout, reste sans
effectivité dans de nombreux pays, et tout particulièrement pour les filles. C’est donc une tâche
prioritaire pour tous les mouvements sociaux que de faire pression sur les gouvernements pour
qu’ils remplissent leurs obligations les plus élémentaires dans ce domaine.
2) Pour le droit à l’information et le droit d’informer :
* Initiatives en direction des grands médias
Le droit à l’information et le droit d’informer entrent en contradiction avec la logique générale du
système médiatique. Par sa concentration croissante à l’échelle mondiale, il est en effet non
seulement partie prenante directe, et bénéficiaire des mécanismes de la mondialisation néo-libérale,
mais également vecteur de son idéologie. Il faut donc lutter pied à pied pour mettre des grains de
sable dans cette entreprise de « formatage » des esprits, qui prétend faire accepter comme inévitable
et même souhaitable l’ordre néo-libéral. A cette fin, des campagnes doivent être lancées dans
chaque pays, dans le cadre d’une coordination internationale :
– pour des initiatives législatives visant à lutter contre la concentration des médias ;
– pour des initiatives législatives visant à garantir l’autonomie des rédactions par rapport aux
actionnaires et propriétaires, en encourageant, là où elles n’existent pas, la création de sociétés de
journalistes, et en leur donnant des pouvoirs réels ;
– pour l’éducation à la critique des médias dans le système scolaire et dans les organisations
populaires.
* Favoriser les médias alternatifs
Les médias alternatifs et à but non lucratif, sous toutes leurs formes (papier, radio, télévision,
Internet), jouent déjà un rôle important pour une information pluraliste et non soumise aux diktats
de la finance et des multinationales. C’est pourquoi il faut exiger des gouvernements que ces médias
bénéficient de conditions réglementaires et fiscales privilégiées. Un Observatoire des Médias
alternatifs pourrait identifier les législations les plus avancées existant actuellement dans le monde.
A l’instar de ce que font les propriétaires et directeurs des grands médias, il serait utile d’organiser
chaque année une rencontre des responsables des médias alternatifs du monde entier,
éventuellement dans le cadre du processus des Forums sociaux mondiaux.
– Ne pas laisser le monopole des images du monde aux télévisions du Nord. Les grandes chaînes de
télévision internationale du Nord, comme CNN, ont longtemps bénéficié d’un monopole de fait et
donné une vision du monde correspondant aux intérêts des puissances dominantes. Dans le monde
arabe, la création d’Al-Jazeera a permis, avec un grand professionnalisme, de rompre avec la vision
unilatérale des conflits du Proche-Orient. Le récent lancement de Telesur permet à l’Amérique
latine de ne plus se voir seulement à travers le prisme des médias nord-américains. La création
d’une chaîne africaine répond à un besoin identique, et tous les efforts doivent être déployés pour
qu’elle voie le jour.
3) Pour le droit de s’exprimer dans sa langue :
Pour toutes les élites off-shore de la planète, l’usage de l’anglais est le premier des signes de
reconnaissance. Il existe un lien logique entre la soumission volontaire ou résignée à l’hyperpuissance
états-unienne et l’adoption de sa langue comme unique outil de communication
internationale. Or le chinois, les langues romanes - si l’on promeut l’intercompréhension au sein de
la grande famille qu’elles forment - et demain l’arabe ont tout autant vocation à jouer parallèlement
ce rôle. C’est affaire de volonté politique. Pour lutter contre le « tout-anglais », les mesures
suivantes devraient être encouragées :
– Se donner comme objectif, dans les systèmes éducatifs, et quand les conditions le permettent,
d’enseigner deux langues étrangères (et pas seulement l’anglais) pour des compétences actives et
passives (comprendre, parler, lire, écrire) et une ou deux autres langues pour des compétences
passives (lire et comprendre oralement).
– Mettre en pratique, dans les systèmes éducatifs, les méthodes d’intercompréhension des langues
romanes (espagnol, catalan, français, italien, portugais, roumain qui sont langues officielles dans 60
pays). C’est quand chacun parle sa langue et comprend celle de son interlocuteur que la
communication est la plus efficace.
– Dans le cas spécifique de l’Afrique, faire de l’enseignement et de la promotion des langues
nationales une priorité politique de l’Union africaine.
Créer un fonds international de soutien à la traduction du maximum de documents dans les langues
des pays à faibles ressources, en particulier pour qu’elles soient présentes sur Internet.
10.- Pour la démocratisation des organisations internationales et l’institutionnalisation d’un
ordre international multipolaire
Les Nations unies constituent une institution des peuples, qui représente à ce titre un acquis. Mais il
s’agit aussi d’un lieu de rapport de forces entre États, dont l’impact peut s’avérer ambivalent, voire
négatif, dans le cas de certains peuples ou en certaines circonstances. Des transformations sont donc
nécessaires, dans la mesure où l’hégémonie des pays les plus puissants a pour effet
l’instrumentalisation à leur profit de l’ONU. Il est par conséquent proposé les initiatives suivantes :
1) Démocratiser l’espace que signifie les Nations unies ;
2) Initier les « réformes » de l’institution de l’ONU dans le but de limiter les inégalités de rapports
de forces entre États ;
3) Agir sur les gouvernements qui constituent l’ONU, et pour cela, constituer dans chaque pays un
Observatoire qui permette une transparence de l’action des gouvernements au sein des Nations
unies, des organismes spécialisés et des instances créées à Bretton Woods (FMI, Banque mondiale,
OMC) ;
4) Refinancer les organisations spécialisées telles que la FAO ou l’OMS, pour éviter leur
dépendance vis-à-vis d’entreprises transnationales ;
5) Assurer une présence étendue et effective des mouvements sociaux et des organisations non
gouvernementales au sein des institutions internationales ;
6) Promouvoir des Cours internationales de Justice, notamment concernant les crimes économiques,
en évitant qu’elles soient instrumentalisées par les puissances dominantes, et, dans le même temps,
constituer des tribunaux d’opinion afin de promouvoir des manières alternatives d’établir la justice ;
7) Pour démocratiser les Nations unies, accroître le pouvoir de l’Assemblée générale et
démocratiser le Conseil de Sécurité afin de briser les monopoles (droit de veto, puissances
atomiques) ;
8) Promouvoir une Organisation des Nations unies qui permette une régionalisation dotée de réels
pouvoirs sur les différents continents. Il est en particulier proposé de promouvoir un Forum social
du Moyen Orient, rassemblant les forces progressistes des pays de la région pour rechercher des
solutions alternatives au projet états-unien de « Grand Moyen Orient ».
9) Promouvoir à l’intérieur de l’ONU le respect de la souveraineté des nations, tout spécialement
face aux actions entreprises par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC.
10) Promouvoir une Assemblée mondiale des peuples pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté.
Forum pour un autre Mali
Forum du Tiers Monde
Forum mondial des Alternatives
ENDA.