New Delhi Correspondant en Asie du Sud
Hamid Karzaï et ses frères... S’il est une dérive qui a entaché l’image du président afghan sortant, c’est bien l’activisme politico-affairiste de cette fratrie envahissante, source de rumeurs les plus sulfureuses. M. Karzaï, qui pourrait être réélu à l’issue du second tour du scrutin présidentiel, le 7 novembre, se résignera-t-il à contenir leur influence afin de restaurer son image ? Derrière Hamid, il y a Ahmed Wali, Mahmoud, Qayum. Ces frères, qui avaient émigré aux Etats-Unis après l’invasion soviétique fin 1979 - tandis que Hamid optait pour l’Inde avant de rejoindre la résistance à Peshawar, au Pakistan - sont retournés au pays à partir de 2002 et y ont prospéré.
Karzaï Inc. a-t-il fait main basse sur Kaboul ? Il faut éviter la caricature, mais M. Karzaï a dirigé l’Afghanistan en chef de tribu plus qu’en chef de famille, obsédé par un jeu d’alliances débordant largement le périmètre de ses plus proches. Mais le pouvoir de ces derniers s’est incontestablement épanoui à l’ombre de sa présidence. Dans le milieu des affaires ou l’appareil d’Etat, les frères Karzaï occupent désormais des positions stratégiques.
Le plus controversé d’entre eux est Ahmed Wali. Président du conseil provincial de Kandahar - au cœur du Sud pachtoun ravagé par l’insurrection -, il est devenu le patron politique du lieu, opérant au carrefour des réseaux gouvernementaux, talibans et criminels dans un périlleux mélange des genres.
Le rêve d’un Hongkong
En octobre 2008, le New York Times publiait une retentissante enquête révélant l’implication d’Ahmed Wali dans le trafic d’héroïne. L’intéressé a toujours nié, mettant ses accusateurs au défi de fournir des preuves formelles. La connexion est toutefois jugée crédible par de nombreux observateurs du théâtre afghan s’exprimant sous le sceau de l’anonymat.
Dans son édition du 28 octobre, le New York Times jette une lumière nouvelle sur le personnage d’Ahmed Wali Karzaï en révélant qu’il émarge à la CIA depuis huit ans [Voir ci-dessous]. La centrale d’espionnage américaine le rémunérerait en échange des services rendus aux opérations des services spéciaux dans la province de Kandahar. Selon le quotidien new yorkais, Ahmed Wali Karzaï aurait aidé à monter une force paramilitaire, la Kandahar Strike Force, vouée à frapper les insurgés talibans.
Le New York Times précise que le cas Ahmed Wali Karzaï divise l’administration Obama. L’apparente impunité dont il bénéficie en raison de ses liens avec la CIA exaspère ceux qui plaident pour un nettoyage des écuries d’Augias. La corruption de type mafieux de secteurs de l’Etat afghan est en effet jugée responsable de l’essor de l’insurrection.
Vient ensuite Mahmoud. Il a circonscrit, lui, ses activités à l’économie « officielle ». Réfugié aux Etats-Unis, il était déjà propriétaire (avec d’autres frères) d’une chaîne de restaurants à San Francisco, Boston et Baltimore. Après son retour en Afghanistan, le restaurateur se mue en tycoon national. Vice-président de la chambre de commerce afghane, il multiplie les acquisitions dans une cimenterie - la seule du pays - et quatre mines de charbon tout en s’arrogeant la distribution de la marque Toyota en Afghanistan et en finançant un somptuaire projet immobilier à Kandahar sur un terrain ravi à l’armée. Apôtre du marché libre, il rêve de transformer l’Afghanistan en un nouveau Hongkong.
Quant à Qayum, le troisième frère - et l’aîné de la fratrie -, il œuvre surtout dans les coulisses politiques. Elu député en 2005 - il a ensuite démissionné à la suite d’une polémique sur son absentéisme -, il est l’homme-clé des négociations secrètes avec les talibans. A cette fin, il voyage beaucoup en Arabie saoudite où il tente de convaincre les dignitaires de la famille royale de jouer un rôle de médiateur. A Riyad, il retrouve l’ambassadeur afghan, Mohammad Aziz Karzaï. Un oncle du président.
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 30.10.09. LE MONDE | 29.10.09 | 16h00 • Mis à jour le 29.10.09 | 16h00.
Le frère d’Hamid Karzaï aurait coopéré avec la CIA
Le frère du président afghan Hamid Karzaï a reçu des paiements réguliers de la part de la CIA, a rapporté mardi 27 octobre le New York Times, qui cite des responsables américains en fonctions ou à la retraite. Selon le quotidien, Ahmed Ouali Karzaï, soupçonné d’implication dans le trafic d’opium afghan, a reçu de l’argent de la CIA durant les huit dernières années pour divers services, notamment le recrutement d’une force paramilitaire active à Kandahar et dans ses environs et placée sous les ordres du renseignement américain.
Ahmed Ouali Karzaï affirme coopérer avec des responsables civils et militaires américains, mais dément participer au trafic de drogue ou avoir reçu de l’argent de la CIA, ajoute le New York Times. L’agence de renseignement américaine n’a ni démenti ni confirmé ces versements. « Aucun service de renseignement digne de ce nom n’admettrait de telles allégations », a simplement précisé un porte-parole de la CIA.
Selon le New York Times, les liens financiers entre la CIA et le frère d’Hamid Karzaï ont créé de profonds désaccords au sein du gouvernement américain. Ces pratiques laissent en effet penser que les Etats-Unis ne font pas tout leur possible pour éradiquer le trafic de drogue en Afghanistan, qui est l’une des principales sources de revenu des talibans. De plus, certains responsables américains estiment que le fait de s’appuyer sur Ahmed Ouali Karzaï nuit à la mise en place d’un gouvernement central efficace, étape qui permettrait aux Etats-Unis de se retirer du pays. Les talibans considèrent Hamid Karzaï comme la « poupée » des Etats-Unis.
* LEMONDE.FR avec Reuters | 28.10.09 | 10h08 • Mis à jour le 28.10.09 | 10h10.