La réunion du GIEC à Paris, début 2007, avait tiré la sonnette d’alarme sur la gravité de la situation en matière de dérèglement climatique et ouvert la voie à la conférence sur le climat, tenue à Bali. Les gouvernements présents avaient alors affirmé leur volonté « d’œuvrer activement » à la lutte contre ce phénomène et s’était mis d’accord sur « la nécessité d’aider les pays en développement à lutter », eux aussi, contre le réchauffement climatique. Dans la foulée, la Banque Mondiale annonçait la création de deux fonds d’investissement.
Le premier, le Fonds pour les technologies propres, aurait pour objectif de financer des projets visant à réduire les émissions de CO2 dans les pays en développement ; qu’il s’agisse de promouvoir les énergies renouvelables, de transformer des usines polluantes en usines plus propres, ou encore de concevoir des bâtiments peu énergivores. Les aides accordées devraient prendre, pour l’essentiel, la forme de prêts à taux avantageux et pourraient être gérées par des banques de développement multilatérales [1].
Le deuxième fonds, baptisé Fonds stratégique pour le climat, serait destiné à financer des programmes tests sur de nouvelles façons de lutter contre le réchauffement climatique. Mais le détail de ces programmes reste aussi flou qu’hypothétique.
La Banque mondiale estimait alors qu’elle pourra réunir 5 milliards de dollars (3 milliards d’euros) d’ici 3 ans. Les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils souhaitaient verser 2 milliards de dollars, le Japon un peu plus d’un milliard, tout comme le Royaume-Uni ; le milliard restant serait versé par d’autres pays donateurs mais qui ne se sont pas encore fait connaitre publiquement, selon la Banque mondiale. On est en droit de se demander ce qu’un organisme ayant échoué aussi ostensiblement dans la lutte contre la pauvreté [2] va pouvoir apporter comme solutions appropriées dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Le fossé qui sépare la théorie de la pratique est immense et ne cesse de s’élargir.
Dans son nouveau cadre stratégique pour le climat [3] la BM reconnaît que les principaux facteurs responsables du réchauffement climatique sont d’une part les émissions de gaz à effet de serre et d’autre part la déforestation. Mais les projets financés par la BM participent grandement de l’un et de l’autre.
Robert Goodland, consultant en environnement à la BM pendant 23 ans, est aujourd’hui très critique envers ses anciens employeurs lorsqu’il évoque le financement des plantations d’huile de palme en Indonésie qui détruisent la mangrove, les plantations de soja en Amazonie, ou l’élevage extensif en Argentine : « Un quart de la forêt amazonienne a déjà disparu et ce avec l’aide et les encouragements de la Banque Mondiale » [4].
De la même manière, la BM et son bras droit l’IFC [5] , continuent d’augmenter leurs investissements dans le domaine des énergies fossiles. Durant l’année 2008, les fonds alloués aux énergies propres ont été 5 fois inférieurs à ceux destinés aux énergies non-renouvelables dont le montant a augmenté de plus de 165% [6].
La Banque Mondiale a investi des fonds considérables (à hauteur de 2,3 milliards de dollars) dans des projets d’envergure destinés à la production énergétique. En avril l’IFC a approuvé un prêt de 450 millions de dollars pour la construction d’une usine électrique dans l’ouest de l’Inde, Tata Ultra Méga power, dont le coût total de construction s’élève à 4 milliards de dollars. L’usine terminée, elle fera partie des 50 plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de la planète. L’IFC a également soutenu à hauteur de 300 millions de dollars le projet Calaca power aux Philippines, à hauteur de 550 millions de dollars le projet « pétrole et gaz » en Argentine, pour 300 millions de dollars celui du Pérou et le projet pétrolier Caim India II pour 250 millions.
L’IFC a également approuvé en février 2009 un accord de principe sur le versement sur 5 ans de 5 milliards de dollars à Eskom pour aider à son développement. Rappelons que Eskom est aujourd’hui une compagnie détenue par l’Etat sud africain et qui fournit 95% de l’électricité au pays, 90% d’entre elle provenant du charbon. Plusieurs rapports sont accablants [7].
Le mercredi 20 mai 2009, la BM a annoncer qu’elle venait d’accorder un nouveau prêt de 80 M$ à la Chine pour l’exploitation et l’utilisation du méthane de charbon. Ce produit issu des couches profondes de charbon est 21 fois plus polluant que le CO² et hautement explosif. Pour la lutte contre le dérèglement climatique, la BM est totalement incompétente.
Comble de l’ironie, elle vient de publier une liste des projets allant bénéficier des Fonds de Financement pour les énergies propres : les agrocarburants et les centrales à charbon en font partie [8].
Ainsi, à eux seuls les projets de la BM sont responsables de 7% des gaz à effet de serre émis par le secteur énergétique dans le monde [9]. En une décennie, la Banque mondiale a financé l’émission de 62 Gigatonnes de CO2, ce qui représente environ 45 fois l’émission annuelle de Co2 du Royaume-Uni [10].
L’attitude de la Banque Mondiale est schizophrène mais surtout extraordinairement hypocrite.
En effet, la Banque défend ses politiques en affirmant que le besoin d’électricité est une priorité pour le développement des pays du Sud et que avec ou sans l’aide de la BM, l’utilisation du charbon est inéluctable. La BM considère que son rôle est de limiter les dégâts en permettant la construction d’usines plus rentables et moins polluantes. Pourtant, le recours toujours plus massif aux énergies fossiles pour le « développement » n’est pas inéluctable. Un rapport de World Watch Institute affirme qu’il est possible que les pays du Sud enjambent le « tout pétrole/charbon » pour passer directement aux énergies renouvelables, ce qui leur permettrait de limiter leur dépendance aux importations. Mais cela n’est évidemment pas du goût de tous. Vijaya Ramachandran, membre du Centre pour le Développement Global affirme que « La Banque Mondiale est devenue dépendante de ses prêts accordés aux énergies fossiles pour assurer sa propre stabilité financière » [11].
En créant ces Fonds d’Investissement Climatique la BM s’est positionnée comme le nouveau leader entrant par là même en concurrence avec la Convention Cadre des Nations Unies sur le Réchauffement Climatique (CCNUCC). Les pays du Sud se sont donc vus privés d’une tribune démocratique pour se retrouver une fois de plus dans le giron de la BM. Pour Lidy Nacpil, de Jubilee South : « C’est simplement inadmissible que la Banque, dirigée par les pays riches, propose des prêts aux pays pauvres pour qu’ils s’adaptent aux désastres climatiques actuels et à venir dont les pays riches sont responsables, en risquant d’aggraver leur propre dette. Les fonds climat doivent attribuer de manière stable et prévisible des dizaines de milliards de dollars aux pays du Sud pour qu’ils s’adaptent à la crise climatique et développent des sociétés soutenables et sobres en énergie. Mais la Banque mondiale, dont les projets ont fait souffrir des dizaines de millions de personnes dans le Sud, n’a aucun rôle à jouer en la matière ; elle ferait mieux de supprimer ses propres Fonds climat. » [12].
En octobre 2008, l’Inde a abondé dans ce sens refusant l’aide de Banque Mondiale arguant qu’il s’agit d’une institution non démocratique, et que les négociations en la matière doivent se placer dans le cadre des Nations Unies, où chaque pays a une voix.
Le 25 février 2009, le Congrès américain a refusé la participation des Etats-Unis au nouveau Fonds pour les technologies propres créé par la Banque, puisque celle-ci a inclus les centrales au charbon dans sa liste des technologies propres.
A un tel niveau de désaveux, il est temps que les gouvernements et les mouvements sociaux s’unissent pour imposer la fin des IFI’s comme nous les connaissons. Ces bras financiers du capitalisme US ont fait leur temps et doivent être relégués aux archives de l’histoire avant qu’il ne soit trop tard.