En 2005, consultés par référendum, les Français et les Néerlandais avaient dit « non » au Traité établissant une constitution pour l’Europe. Ne tenant aucun compte de ce vote, les dirigeants de l’Union européenne ont élaboré en 2007 un nouveau traité, prétendument simplifié, qui reprend à 95 % le contenu du texte rejeté en 2005. Mais, cette fois-ci, plus question de consulter les citoyens, la ratification par voie parlementaire du traité de Lisbonne a été imposée à tous les États de l’Union. Tous sauf un : l’Irlande, où chaque traité européen est considéré comme une révision de la Constitution nationale, cette révision étant obligatoirement soumise à référendum.
Donc, le 12 juin 2008, les citoyens irlandais se sont prononcés, et ils ont repoussé le traité de Lisbonne par plus de 53 % des suffrages exprimés. Le vote a fait l’effet d’un coup de tonnerre, mais n’a en rien modifié l’attitude des dirigeants européens, décidés coûte que coûte à imposer ce traité, y compris contre la volonté populaire. Dès le mois de juillet, Nicolas Sarkozy déclarait à ses amis de l’UMP que les Irlandais devraient revoter. Il l’a depuis répété à plusieurs reprises, et il semble que l’idée soit acquise, même si on n’ose pas encore le dire officiellement aux principaux concernés. On a même prévu la date : ce serait en octobre 2009. Après tout, les Irlandais ont l’habitude, on leur a déjà fait le coup lors du traité de Nice, où ils avaient eu la fâcheuse idée de voter « non » en 2001, avant qu’on les contraigne à revenir sur leur choix en 2002 !
Tel est le fonctionnement actuel de l’Union européenne, où la souveraineté populaire est régulièrement bafouée dès lors qu’elle exprime un autre avis que celui qui était attendu. Certains parlent parfois de « déficit démocratique » de l’Europe : non, c’est d’une absence totale de démocratie qu’il s’agit là.
Aucune institution européenne ne doit remettre en cause le vote irlandais : il appartient aux citoyens irlandais, et à eux seuls, de déterminer leur choix. En disant « non » au traité de Lisbonne, ils se sont exprimés clairement, et ont aussi exprimé l’avis de nombreux peuples que leurs gouvernements ont refusé de consulter. C’est pourquoi notre solidarité envers eux est totale.
À l’initiative des organisations irlandaises qui se sont battues pour un « non » de gauche, et des organisations européennes qui les ont soutenues, le samedi 11 octobre se tiennent des initiatives de soutien dans différents pays européens. Attac France et les Attac d’Europe appellent tous les citoyens à exprimer leur solidarité avec le peuple irlandais.
Ensemble, construisons une autre Europe
L’opposition d’Attac au traité de Lisbonne et aux autres traités qui l’ont précédé n’est pas une opposition à l’Europe. Nous avons besoin d’Europe, mais pas de celle que le néolibéralisme veut nous imposer. Pour cela, un certain nombre de choix fondamentaux sont nécessaires.
Un nouveau texte fondateur pour l’Europe : qu’on l’appelle traité ou constitution, ce texte, appelé à remplacer tous les traités antérieurs, devra être élaboré et adopté de façon démocratique. Élaboré par une assemblée constituante élue par les citoyens des États membres et travaillant en collaboration avec les Parlements nationaux, il sera ensuite soumis par référendum à l’approbation populaire dans chaque pays. Un tel texte aura notamment pour objet d’imposer un fonctionnement démocratique à toutes les institutions de l’Union.
D’autres règles que celle de la concurrence : la concurrence « libre et non faussée » est le pilier sur lequel repose toute la construction européenne. En pleine crise financière, alors que la récession menace d’entraîner son lot supplémentaire de pauvreté, il est urgent de remettre en cause cette domination exclusive du marché et de la concurrence. D’autres règles, comme celles de solidarité et de coopération, doivent la remplacer.
Pour une Europe sociale : le social a toujours été le grand absent des traités européens. Pire, la plupart des droits sociaux sont actuellement rognés ou supprimés par les États membres, avec la bénédiction de la Commission européenne et des autres institutions de l’Union. Attac exige une harmonisation sociale par le haut, garantie par des droits fondamentaux contraignants et détaillés, empêchant que la concurrence soit la norme pour les droits sociaux aussi.
Pour une Europe respectueuse de l’environnement et indépendante des lobbies : face à la crise environnementale mondiale, l’Union européenne n’apporte aucune réponse satisfaisante, alors qu’elle est pourtant bien consciente de la gravité des problèmes. Mais, qu’il s’agisse de taxer le carbone, de développer des énergies réellement renouvelables, d’interdire les OGM ou de réglementer l’usage des pesticides, le poids des lobbies est tel que la moindre avancée d’un pas est aussitôt suivie d’un recul de deux pas. Il est pourtant clair que faire confiance aux intérêts privés pour sauver la planète relève de l’inconscience, et que le capitalisme vert n’est qu’un leurre.
Pour une Europe de la paix et de la solidarité entre les peuples : parmi les principales raisons du « non » irlandais au traité de Lisbonne, figurent la soumission à l’OTAN et l’obligation faite aux États d’augmenter leurs capacités militaires. Nous ne voulons pas de cette Europe belliqueuse, imposant au monde les choix de l’Occident par la force des armes ou la soumission économique. Nous ne voulons pas non plus de cette Europe forteresse, qui enferme ou rejette des migrants dont elle a elle-même provoqué la misère. Là encore, il s’agit de remplacer les notions de domination et de concurrence par celles de coopération et de solidarité, seules garantes de la paix dans le monde.
Attac France,
Montreuil, le 23 septembre 2008