Berlin Correspondante
Le cauchemar des sociaux-démocrates allemands, c’est lui : Oskar Lafontaine, leur ancien patron, aujourd’hui chef de file de la gauche radicale, Die Linke. L’homme qui risque encore de leur tailler des croupières aux élections législatives du 27 septembre. Pour son parti, sa création, il vise 10 % des suffrages et plus. Autant de voix volées au Parti social-démocrate (SPD). Ces derniers mois, ne l’avait-on pas dit en bout de course ? Il a triomphé dans son fief de la Sarre aux régionales du 30 août. Sous les couleurs de Die Linke, il a rallié presque 22 % des voix.
Personne ne pourra plus nier à ce physicien de formation ses qualités de stratège et un instinct politique hors pair. Oskar Lafontaine a su remettre au goût du jour des thèmes identitaires de la gauche : la justice sociale, la lutte contre les privilèges, le refus des aventures militaires extérieures, en Afghanistan ou ailleurs. « Il sent les choses aussi précisément qu’un sismographe, avec toujours un temps d’avance », s’enthousiasme Klaus Ernst, vice-président de Die Linke. Ses discours truffés de bons mots électrisent ses supporters.
Depuis son bureau exigu du Bundestag, l’intéressé semble contempler tout ce remue-ménage avec une sorte de distance ironique. Nonchalamment, il tend une caricature parue le même jour dans la presse allemande. Il y est représenté en train de lire un journal aux gros titres éloquents : « Steinmeier (le candidat du SPD) présente un plan de retrait d’Afghanistan », « Le SPD et Merkel favorables à une taxe internationale sur la spéculation ». Commentaire du personnage fictif : « Il m’est bien égal de savoir qui sera chancelier sous ma direction. » Le vrai complète, satisfait : « Au fond, la seule question intéressante dans cette campagne, c’est le score que va faire Die Linke. »
Oskar Lafontaine ou le mythe de l’éternel retour. Le parcours politique de ce petit homme au nez pointu et au verbe vif se lit comme une histoire de morts successives et de résurrections. Cet enfant d’un père boulanger tombé à la guerre, devenu maire de Sarrebruck à 33 ans, ministre-président de la Sarre pendant treize ans et propulsé à tête du SPD en 1995, n’imaginait pas d’autre place que la première. Sans jamais l’obtenir. En 1998, Gerhard Schröder lui passe devant pour le poste de candidat à la chancellerie et triomphe contre Helmut Kohl. Lui doit se contenter du portefeuille des finances. Six mois plus tard, il jette l’éponge, opposé à la stratégie de recentrage de ce chancelier qu’il avait pourtant largement contribué à faire gagner.
Parmi ses anciens compagnons, peu lui ont pardonné d’avoir laissé orphelin un SPD en pleine crise. Encore moins d’avoir organisé avec tant d’efficacité l’opposition de gauche au parti. Car c’est sous sa férule et en tandem avec le brillant avocat d’ex-RDA, Gregor Gysi, que se réalise, en juin 2007, l’union d’un mastodonte néocommuniste de l’Est, le PDS, avec un petit parti radical de l’Ouest, le WASG. Trois ans après sa création, Die Linke s’est imposé pour de bon dans le paysage politique allemand.
« Lafontaine a du nez et sait ce que les gens veulent entendre », s’agace l’eurodéputé social-démocrate Jo Leinen qui fut l’un de ses lieutenants pendant près de dix ans en Sarre. « Mais il a parfaitement conscience qu’il ne pourrait tenir aucune de ses promesses, fustige l’ancien collaborateur. C’est un populiste. »
« Populiste », l’éternel refrain dès lors qu’on évoque Oskar Lafontaine. Car ce brillant esprit formé chez les jésuites n’a jamais peur de forcer le trait pour séduire son électorat. « Et puis quoi ?, interroge-t-il, un brin dédaigneux. En Allemagne, on est suspect dès qu’on exprime un avis différent, même s’il représente l’opinion du plus grand nombre. »
L’OTAN ? Il réclame sa dissolution. Les impopulaires réformes du système social lancées par le SPD ? Il faut les abolir. Les plus riches ? A eux de payer pour les autres. Ce bon vivant amateur de vins fins se pose en héraut de la classe ouvrière et propose d’instaurer « l’impôt des millionnaires ».
Le style autoritaire, les discours radicaux d’Oskar Lafontaine continuent à faire grincer des dents au sein même de Die Linke. Lui n’en a cure et maintient sa ligne. « La Gauche » sait bien ce qu’elle doit à « Oskar ». « Il l’incarne », dit Klaus Ernst. Il en est surtout « la machine à vapeur », a résumé la Süddeutsche Zeitung. Se posera, en 2010, la question de sa reconduction à la tête du parti. L’on saura alors si Die Linke voit en lui plus qu’une locomotive électorale.
Marie de Vergès
Les sociaux-démocrates luttent pour rester une force d’alternance
Berlin Correspondante
En pleine crise existentielle, les sociaux-démocrates allemands (SPD) ont tous une date en tête : 1953. Aux élections législatives, dimanche 27 septembre, l’objectif avoué consiste à ne pas faire encore pire que le score humiliant de 28,8 % enregistré cette année-là. Les sondages ne leur prédisent pourtant rien de bon : malgré une légère progression dans les intentions de vote, seul un électeur sur quatre donnerait sa voix au parti, emmené par le chef de la diplomatie allemande, le peu charismatique Frank-Walter Steinmeier.
Imperturbable, le candidat refuse de baisser les bras. « Je vais me battre jusqu’à la dernière minute », dit-il dans un entretien au Financial Times Deutschland du 23 septembre. Sa cible : les abstentionnistes et les indécis, fort nombreux, semble-t-il, au terme d’une campagne atone. Pendant qu’Angela Merkel est loin, exilée au sommet du G20, à Pittsburgh (Etats-Unis), les 24 et 25 septembre, M. Steinmeier laboure le pays, de meeting en meeting. Jusqu’au rassemblement final, vendredi, devant la très symbolique porte de Brandebourg à Berlin.
L’énergie du désespoir ? A la direction du parti, on n’exclut pas quelques surprises. Malgré tout, le ministre des affaires étrangères n’a quasiment aucune chance de renverser la chancelière. Il ne peut réunir de majorité avec les Verts, ses partenaires privilégiés. Mais il refuse tout net de négocier avec le parti de la gauche radicale, Die Linke. Et malgré ses appels du pied en direction des libéraux du FDP, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir par leur chef de file, Guido Westerwelle. A moins d’un retournement de situation de dernière minute, M. Steinmeier aborde le scrutin de dimanche sans perspective de pouvoir.
Ces élections ne sont qu’un révélateur : depuis des mois, le SPD lutte pour sa survie en tant que grand « Volkspartei » (parti populaire). Il peine à trouver sa place sur l’échiquier politique allemand après quatre ans de grande coalition avec les chrétiens-démocrates. « Sous l’impulsion de Mme Merkel, la CDU (Union chrétienne-démocrate) s’est beaucoup »gauchie« , pointe le député social-démocrate Hans-Ulrich Klose. En s’éloignant de son statut de parti conservateur, elle empiète largement sur l’espace normalement dévolu au SPD. » Un SPD qui a lui-même perdu ses contours en soutenant certaines réformes de droite, comme le relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans. Sans parler de l’Agenda 2010, le programme de réformes du système social lancé par l’ex-chancelier Gerhard Schröder, à l’époque de la coalition rouge-verte (1998-2008).
Rupture avec les syndicats
Le parti en paye toujours aujourd’hui le prix fort. Il est en rupture de banc avec les syndicats et une partie de son électorat. Concurrencé à droite par la CDU, il est doublé sur sa gauche par Die Linke, le parti d’Oskar Lafontaine, lui-même ancien patron du SPD.
Pour stopper l’hémorragie, M. Steinmeier a tenté ces derniers mois de revenir aux fondamentaux de la social-démocratie. Son programme, ancré bien à gauche, fait la part belle aux revendications sociales : il promet un salaire minimum généralisé, réclame des allégements fiscaux pour les bas revenus et plus d’impôts pour les plus aisés, et plaide pour l’instauration d’une taxe internationale sur les transactions financières. Lors du sauvetage du constructeur en difficulté Opel, il a ferraillé sans relâche aux côtés des salariés et des syndicats. Mais à en croire les sondages, la stratégie n’a pas provoqué le sursaut espéré. « La crise idéologique traversée par ce parti est si profonde qu’il lui aurait sans doute fallu plus de temps », estime un conseiller du candidat.
L’avenir n’est pas très rose. En fonction des résultats obtenus dimanche soir, le SPD aura le choix entre deux scénarios : un retour dans l’opposition après onze ans aux affaires, ou un statu quo en tant que partenaire junior d’une nouvelle grande coalition avec les conservateurs. Pour certains cadres du parti, tel l’actuel ministre des finances Peer Steinbrück, la deuxième solution est encore la moins douloureuse. Le risque est pourtant grand pour les sociaux-démocrates d’y perdre un peu plus leur identité. Quant à la viabilité d’une telle alliance entre frères ennemis, politologues et commentateurs doutent qu’elle puisse cette fois durer quatre ans. Les tensions entre aile gauche et aile droite du SPD risquent de se ranimer de plus belle.
« Pour exister, nous avons besoin d’un vrai virage à gauche, estime un député. Mais pour cela il faut d’autres personnalités aux commandes. » Sous-entendu, une nouvelle génération moins hostile aux alliances avec Die Linke. Telle configuration est impossible sous la houlette de M. Steinmeier et de l’actuel président du SPD, Franz Müntefering, deux artisans des réformes de l’ère Schröder et adversaires tenaces de la gauche radicale. Le résultat obtenu dimanche soir dictera sans doute la marche à suivre au sein du parti. A en croire les rumeurs, un score inférieur à 28 % devrait provoquer une petite révolution.
Marie de Vergès
Le parti. Le Parti social-démocrate a obtenu 40,9 % des voix aux législatives de 1998, 38,5 % en 2002 et 34,2 % des voix en 2005. Le groupe parlementaire comprend 221 députés. Le SPD compte un demi-million d’adhérents, il en a perdu près de 400 000 entre 1990 et 2008. Il a été dépassé par l’Union chrétienne-démocrate à l’été 2008.
Le pouvoir. Le parti dirige les gouvernements de cinq des seize Länder. Au niveau fédéral, il participe au gouvernement depuis onze ans : entre 1998 et 2005 sous la direction de Gerhard Schröder (SPD) ; de 2005 à 2009 comme partenaire du gouvernement dirigé par la chrétienne-démocrate Angela Merkel.