La détente est perceptible, depuis ces trois dernières années, entre l’Inde et le Pakistan. Une amélioration des relations que l’on doit en partie aux pressions de la communauté internationale, mais surtout aux innombrables efforts des sociétés civiles pakistanaise et indienne. Au cours des dix dernières années, ces acteurs qui luttent pour la paix ont joué un rôle décisif en organisant des campagnes et marches pacifiques dans et entre ces pays. Parmi ces initiatives, la marche citoyenne pour la paix, organisée du 23 mars au 11 mai 2005 entre Delhi en Inde et Multan au Pakistan, a particulièrement marqué les esprits par son caractère unique : 50 jours d’expression publique de simples citoyens.
Mouvance au fil du voyage : au départ de Delhi, plusieurs centaines d’Indiens accompagnés de quelques Pakistanais entament la marche. Au long des jours, certains intègreront le groupe et remplaceront ceux qui l’auront quitté. Arrivés à la frontière, les Pakistanais auront pris le relais de la majorité des Indiens.
De simples citoyens au cœur de la « Pad Yatra »
Traditionnellement, ce sont des intellectuels ou des professionnels des classes moyennes et hautes qui participent aux congrès sur la question de la paix organisés par le forum indo-pakistanais pour la paix et la démocratie (PIPFFPD - www.pipfpd.org). C’est pour apporter une dimension complémentaire que Karamat Ali de l’association pakistanaise PILER (Pakistan Institute for Labour Education and Research - www.piler.org.pk) et Sandeep Pandey de l’alliance nationale indienne des mouvements populaires ont décidé d’organiser cette « Pad Yatra », longue marche à pied, de quelque 1000 kilomètres. Pour eux, la démocratisation du processus ne peut se faire que par l’implication des populations de base et le développement d’un mouvement populaire significatif.
Le concept est clair : la paix ne se décrète pas par le haut. Les populations locales sont particulièrement concernées par la question de la paix puisqu’elles sont les premières victimes des conflits entre les deux pays. Cette marche pour la paix est donc un exemple étonnant d’action citoyenne menée par le peuple, qui a été pensée comme un outil pour établir le dialogue avec de simples citoyens. Pour une fois, ce n’est pas l’élite qui a le privilège de parler de la paix, mais bien les populations de base : ainsi, pendant les 50 jours de la marche, 400 à 500 personnes ont pu quotidiennement prendre la parole.
Ouvrir les yeux sur l’absurdité de la situation
Les raisons qui ont poussé ces activistes à organiser cette marche résident dans la croyance en la capacité des simples citoyens à influencer les politiques appliquées par les autorités indiennes et pakistanaises. L’objectif est de mettre un terme aux relations d’animosité qui durent depuis plus de 50 ans entre les deux gouvernements et de pousser New Delhi et Islamabad à stopper leur course effrénée aux armements, menace réelle pour la démocratie et la paix. Ainsi, du 23 mars au 11 mai 2005 des milliers de citoyens, indiens et pakistanais, ont marché ensemble pour que les autorités des deux pays réagissent face à l’absurdité de la situation.
L’inacceptable pour ces citoyens est de voir leur gouvernement dépenser des sommes faramineuses pour être à la pointe de la technologie des armes nucléaires, entre autres, alors qu’une large partie de la population est plongée dans la pauvreté. Pour permettre à ces gens d’avoir accès à l’éducation, à la santé, etc., il faudrait avant tout repenser les dépenses militaires qui représentent près de 40% de leur budget. Désarmer pour développer, telle est l’alternative que proposent ces militants.
1000 kilomètres et 10 000 signatures
Tout au long de cette marche, des actions de sensibilisation et de mobilisation ont été menées auprès des populations dans les petites villes et villages traversés. Cette démarche collective et citoyenne s’est traduite par la mise en place d’une campagne de signatures. Un moment fort pour tous ces citoyens qui ont pu apporter leur soutien à la marche et présenter leurs requêtes aux gouvernements : la résolution du conflit indo-pakistanais via un dialogue pacifique ; la résolution du problème du Cachemire selon les volontés des populations locales ; la dénucléarisation de l’Asie du Sud et la réduction des budgets de défense ; la facilitation du passage de la frontière entre les deux pays et l’autorisation d’une entrée sans visa.
Quelque 1000 kilomètres parcourus et 10 000 signatures recueillies. Les organisateurs de la marche sont fiers et émus de cette immense mobilisation. Toutefois, ils sont amers face à l’attitude des gouvernements pakistanais et indien, qui a été déplorable. Certes l’aventure s’annonçait difficile et laborieuse, mais ils n’imaginaient pas que les obstacles auraient été si nombreux. Islamabad et Delhi ont tout fait pour ralentir l’obtention des visas. Le 18 avril 2005 les manifestants indiens se retrouvent bloqués à la frontière pakistanaise de Wagah. Une attente très longue pour finalement n’autoriser que 12 militants indiens à traverser. Situation rencontrée par les pakistanais quelques semaines plus tôt alors que les autorités indiennes ont attendu 10 jours avant de ne laisser passer que 22 militants pakistanais. Malgré ce manque de collaboration, les milliers de militants ne se découragent pas : une nouvelle marche est prévue en 2006.
Ne jamais se résigner et occuper ensemble l’espace public : pour contraindre les autorités, certains courent pour leur liberté (voir « Une course pour la mixité »), tandis que d’autres marchent pour se faire entendre.
Comité de rédaction : Frères des Hommes
Sources : Daily Time, Kashmir Times, The News International & documents internes à Frères des Hommes.