Après avoir longtemps nié la gravité du problème, la direction de France Télécom, après le 23e suicide en dix-huit mois, se retrouve sur la sellette et contrainte de reconnaître qu’elle ne peut plus s’en tirer comme s’il s’agissait de défaillances individuelles d’employé-e-s fragiles.
Cela fait bien longtemps que les organisations syndicales alertent la direction de France Télécom sur la détérioration des conditions de travail.
Le NPA partage l’émotion des salariés et de leurs organisations syndicales.
Depuis sa privatisation, France Télécom a supprimé des dizaines de milliers d’emplois. La concurrence effrénée entre les opérateurs téléphoniques l’a poussé à pratiquer une gestion par le stress des employé-e-s, à un management multipliant restructurations, mobilité forcée, mise au placard avec son lot de dévalorisation pour les salarié-e-s impliqué-e-s. C’est pourquoi, il ne s’agit pas de défaillances individuelles de personnes fragilisées. Comme hier chez Renault ou Peugeot et encore ailleurs, la mise au chômage de dizaines de milliers de salarié-e-s s’est accompagné d’une aggravation considérable des conditions de travail.
Reçu par le ministre du Travail, le PDG de France Télécom, Didier Lombard a tenu des propos déplacés en indiquant qu’il fallait mettre « un point d’arrêt à la mode des suicides ».
Le NPA est choqué par ces propos qui laisse entendre que ce PDG n’a toujours pas saisi la désespérance dans laquelle se trouve nombre d’employé-e-s de cette entreprise.
C’est sans doute pour cette raison que la direction de France Télécom a exclu « tout arrêt des restructurations » sous prétexte de faire face à la concurrence. Cet entêtement est inadmissible.
Pour la NPA, la direction de France Télécom doit démissionner.
Le 15 septembre 2009
NPA
23e suicide à France Télécom, le PDG tente de réagir
Sud PTT
15 septembre 2009
Vendredi 11 septembre, une jeune salariée de 32 ans de la division Entreprise de France Télécom s’est jetée du 4e étage, à la sortie d’une réunion lui apprenant une nouvelle restructuration de son service.
Elle avait déjà été victime il y a quelques mois d’une restructuration et d’une mobilité géographique. Les collègues de son site et tous les personnels de France Télécom sont bouleversés.
Xavier Darcos a convoqué Didier Lombard mardi 15 septembre.
Une conférence de presse a eu lieu où le PDG de l’entreprise a usé de termes odieux, parlant de « mode du suicide ». Comme ces dernières semaines, la direction de l’entreprise ne semble pas réellement prendre la mesure de la situation. Elle le fait car l’état premier actionnaire du groupe est enfin intervenu.
Vois ci-dessous notre communiqué :
Un été meutrier - une direction droit dans ses bottes
23 suicides depuis février 2008 ; 6 suicides durant l’été et 4 tentatives de suicide, la note est beaucoup trop lourde. Cette vague de suicide ne fait que confirmer la souffrance généralisée des salarié-es d’Orange/FT et que nous dénonçons depuis des années sans succès auprès de la direction.
Depuis de nombreuses années, les restructurations s’enchaînent sur fond de fermetures de services, fermetures de sites, changements de métiers, plans de suppressions d’emplois. Parallèlement, l’organisation du travail est devenue totalement pathogène : contrôle permanent, individualisation à outrance, mise en concurrence des salarié-es, industrialisation totale des process...le travail a perdu son sens à FT/Orange.
Des responsables de haut niveau ne se cachent pas de vouloir mettre les salarié-es en situation d’insécurité professionnelle » pour faciliter les mobilités forcées et les départs de l’entreprise. Dans ces conditions, les médecins du travail s’alarment du stress professionnel dans l’entreprise. Dans l’incapacité à se faire entendre de la direction, 9 d’entre eux ont démissionné.
Cette réalité a été cachée, niée, banalisée par la direction de l’entreprise qui s’obstine à attribuer ces drames à la pseudo « fragilité » de quelques individus alors que la grande majorité du personnel accepterait de bon gré les « nécessités de changement de l’entreprise ».
Tout cela est irresponsable, intolérable et doit cesser. Nous n’acceptons pas que la santé des salarié-es, voire leur vie, soient sacrifiées aux impératifs des profits financiers et de la rémunération des actionnaires. La direction n’assume pas sa responsabilité d’employeur sur les conséquences de ses décisions en matière d’organisation du travail, de conditions de travail, de sécurité et de santé du personnel. Au contraire, le plus souvent, elle tente de bloquer l’action des CHSCT en contestant devant les tribunaux les expertises demandées à l’occasion d’une restructuration ou de changement de l’organisation du travail.
La situation dramatique à l’intérieur de l’entreprise est désormais largement dévoilée à l’extérieur, la presse s’étant fait l’écho de la vague de suicide. Les réponses de la direction face à ces drames n’évoluent pas :
– la transformation doit continuer
– on met en place les dispositifs d’écoute et d’accompagnement
– on accompagne le mieux possible les salarié-es confronté-es à des situations difficiles
– le suicide est le fait de personnes fragiles
Tout cela est odieux. Les réactions unitaires des OS ont obligé le DRH à se déplacer pour une première rencontre le 25 août, puis un CNSHSCT le 10 septembre.
La fédération SUD a pris les initiatives suivantes :
– demande de réunion du CA en urgence
– demande de CCUES extraordinaire
Suicides à France Télécom : une psy en appelle à ses confrères
12 Septembre 2009
Le docteur Brigitte Font Le Bret est psychiatre et médecin du travail à Grenoble. Emue cet été par plusieurs cas de suicides à France Télécom, elle s’est décidée à écrire après qu’un salarié s’est poignardé en pleine réunion à Troyes le 9 septembre et qu’une jeune employée parisienne de l’opérateur télécoms s’est tuée en se défenestrant, vendredi 11 septembre. Dans ce texte adressé à Mediapart sous le coup du « choc », elle dit sa « sidération » et lance un appel à ses confrères psychiatres pour qu’ils se penchent sur des cas « défiants notre clinique psychiatrique classique. »
Psychiatre spécialisée en souffrance au travail, je prends la plume sous le choc de la nouvelle concernant une autre salariée de France Telecom âgée de 32 ans qui s’est suicidée en se jetant du quatrième étage de l’immeuble où elle travaillait après avoir appris que certains services allaient être réorganisés. Combien de cas semblables va-t-il falloir attendre pour que ce carnage cesse ?
Je demandais il y a plus de six mois dans un article, une minute de silence, pour les familles endeuillées par les suicides de leurs proches, en écrivant : « STOP CA SUFFIT ! Une psychiatre en colère. » Aujourd’hui, ce n’est même plus de la colère, je suis sidérée, sans voix, dans un sentiment d’impuissance face à une société qui ne laisse plus aucune place à l’homme mais qui ne raisonne qu’en terme de profits et de rentabilité, se moquant y compris du devenir de notre planète. Les « mesurettes » proposées par la direction de France Telecom sont indignes de ceux qui les ont pensées, ce ne sont pas des cellules d’écoutes dont nous avons besoin ni de managers formés à la psychiatrie mais d’une réflexion globale sur la stratégie de l’entreprise et du devenir de ceux qui la font exister.
Sans vendeur on ne vend pas, sans plate forme téléphonique on ne répond plus aux questionnements des acheteurs, : l’entreprise est un tout. Elle ne se résume pas à un CODIR (Comité de Direction). Ne médicalisons pas la situation : celle-ci implique une analyse économique et des règles éthiques dans la manière de diriger une entreprise. Nous en sommes loin à ce jour ! Des négociations sur le fond avec les salariés et les organisations syndicales doivent s’ouvrir dans une transparence totale.
Mais au-delà de tout cela, il est indispensable de remettre en route la pensée et les actes nécessaires pour que tout être humain soit considéré avec respect et dignité. La question est bien celle de la solidarité et du rapport à l’autre. Je reste psychiatre et j’aide comme je peux à soulager ces nouvelles formes de souffrances psychiques mais je ne peux plus me cantonner à cette mission. C’est pourquoi j’interpelle tous mes confrères pour qu’ils participent à une réflexion sur ces actes auto- et/ou hétéro-agressifs défiant notre clinique psychiatrique classique. J’interpelle également toutes les autres disciplines et tous les chercheurs pour tirer une sonnette d’alarme. Sans pensée collective on meurt à petit feu et j’ai bien peur malheureusement que déjà notre système néolibéral n’ait amputé cette merveilleuse capacité du psychisme de communiquer, comprendre et agir.
Brigitte Font Le Bret, médecin du travail et psychiatre à Grenoble.
* Edition : Les invités de Mediapart :
http://www.mediapart.fr/club/edition/article/120909/suicides-france-telecom-une-psy-en-appelle-ses-confreres