Berlin, correspondante
Triomphal Oskar Lafontaine ! Le chef de file de la gauche radicale allemande Die Linke (« La Gauche ») et ancien patron des sociaux-démocrates (SPD) avait plus d’une raison de se réjouir, dimanche soir 30août. En Thuringe et en Saxe, deux Länder de l’ex-RDA, son parti s’est imposé comme deuxième force politique. Derrière la CDU d’Angela Merkel et loin, très loin, devant le SPD.
Mais c’est surtout vers la Sarre que M.Lafontaine avait le regard tourné. Dans cette petite région sise à la frontière française où il était lui-même candidat, et qu’il avait présidée entre 1985 et 1998 sous les couleurs du SPD, Die Linke a engrangé 21,3 % des voix. Bien au-delà de ce que prédisaient les sondages. Le résultat est inédit à l’ouest de l’Allemagne : il y a cinq ans, le PDS, ancêtre du Linkspartei, n’avait recueilli que 2,3 %.
« Die Linke a le vent en poupe », a proclamé le tribun devant ses troupes, en liesse à l’annonce des résultats. Assurément, la gauche radicale est la grande gagnante de ces scrutins qui ont égratigné aussi bien la CDU que le SPD. « Nous sommes aujourd’hui l’un des trois grands », pavoise Dietmar Bartsch, le secrétaire général du parti.
A un mois des élections générales, les scores obtenus par Die Linke ne sont, bien sûr, pas transposables au niveau fédéral. En ex-Allemagne de l’Est, ce parti, qui rassemble les déçus de la social-démocratie et les anciens communistes de RDA, jouit d’un statut particulier. Dans ces régions frappées par un taux de chômage jusqu’à deux fois supérieur à la moyenne de l’Ouest, le vote pour La Gauche est surtout identitaire. Les résultats en Thuringe (27,4 %) et en Saxe (20,6 %) ont de nouveau prouvé son ancrage.
En Sarre, la situation est toute autre. Ancien ministre-président et ancien maire de Sarrebruck, Oskar Lafontaine jouit toujours d’un capital de sympathie très élevé dans son Land natal. C’est sa personne – le « Napoléon de la Sarre » – et moins son parti que les électeurs ont plébiscité.
Les sondages pour le 27septembre esquissent d’ailleurs des perspectives très différentes : Die Linke y est crédité de 9% des voix. Prudent, l’état-major du parti s’est fixé comme objectif « 10% et plus ».
FRÈRES ENNEMIS
Il n’empêche. Un peu plus de deux ans après sa création, Die Linke démontre une nouvelle fois sa capacité à bouleverser le jeu traditionnel des coalitions. Dimanche soir, une grande question préoccupait commentateurs, analystes et personnalités politiques réunis sur les plateaux de télévision : le SPD, en Sarre, va-t-il s’allier aux Verts et surtout à la gauche radicale, une première dans l’ouest de l’Allemagne, pour mettre fin à un gouvernement dominé par les chrétiens-démocrates ? Pour l’heure, le flou demeure et les négociations s’annoncent longues.
En Thuringe aussi, Die Linke pose un cas de conscience aux sociaux-démocrates qu’elle dépasse de près de dix points. Ensemble, les deux frères ennemis pourraient renverser le ministre-président sortant, le conservateur Dieter Althaus. Des coalitions dites « rouge-rouge » ne sont pas un tabou dans les Länder de l’ex-RDA. Mais voilà, les Linke exigent de pouvoir nommer eux-mêmes le nouveau chef du gouvernement. Un camouflet pour le SPD.
A 66 ans, le charismatique Lafontaine tient sa revanche sur ses anciens camarades : il titille sur sa gauche ce parti devenu trop centriste à son goût. Dimanche, il s’est même offert le luxe d’exclure une coalition avec les sociaux-démocrates au niveau fédéral, arguant des trop grandes différences idéologiques entre les deux partis.