La gauche radicale allemande d’Oskar Lafontaine capte une partie de l’électorat populaire du SPD
Sarrebruck (Sarre), envoyée spéciale
Marie de Vergès
Dans les interventions d’Oskar Lafontaine, il y a toujours cette envie d’en découdre. Sans que l’on sache vraiment ce qui compte le plus pour l’ancien patron des sociaux-démocrates (SPD), aujourd’hui chef de file de Die Linke, le parti de la gauche radicale allemande : remporter une bataille ou jouer les trouble-fête, à quelques semaines des élections législatives du 27 septembre.
Le revoilà qui bat les estrades électorales en Sarre, un petit Land de l’ouest de l’Allemagne, où il est candidat aux régionales du 30 août. Il a déjà dirigé cette région frontalière de la France entre 1985 et 1998 sous les couleurs du SPD. En troisième position, son parti y est aujourd’hui crédité de 18 % des voix, aux dépens de ses anciens camarades. Sans une alliance avec Die Linke, les sociaux-démocrates n’ont aucune chance de renverser l’actuel gouvernement du chrétien-démocrate (CDU) Peter Müller.
Pour Oskar Lafontaine, la campagne régionale se confond avec celle des législatives. Tête de liste de son parti aux élections générales, il veut montrer qu’il est capable de servir d’aiguillon. A Sarrebruck, devant plusieurs centaines de sympathisants, le fougueux Sarrois cogne tous azimuts : contre la chancelière CDU, Angela Merkel, contre ses alliés « néolibéraux » du FDP avec lesquels elle voudrait former une coalition après les législatives, contre le SPD, bien sûr, à l’origine des dernières réformes du marché du travail. Il dénonce leurs « combines », leur complicité dans le démantèlement de l’Etat social.
Le trublion de la gauche allemande rappelle les promesses de Die Linke : la suppression de la retraite à 67 ans, une prolongation des allocations-chômage, un salaire horaire minimum à 10 euros, la gratuité des frais universitaires...
Celui qui se veut le héraut de la classe ouvrière affirme qu’il suffit de prendre l’argent où il se trouve : « Il faut davantage taxer les riches », lance-t-il en cette fin d’après-midi ensoleillée. Dans une ambiance de kermesse où bières et saucisses grillées sont distribuées en abondance « à des prix sociaux », le public applaudit, ravi, sa revendication d’un impôt sur la fortune. Il l’a baptisé « l’impôt des millionnaires ».
En ces temps de crise économique, le « linkspartei » n’a pourtant plus le vent en poupe comme il y a un an. A l’époque troisième force politique du pays, le parti qui réunit depuis 2007 les héritiers des communistes de l’ex-RDA et les déçus de la social-démocratie est aujourd’hui relégué à la dernière place dans les sondages, entre 9 % et 11 %, derrière le FDP et les Verts.
Mais pour le SPD, la capacité de nuisance d’Oskar Lafontaine est toujours grande. Car Die Linke chasse sur ses terres : les chômeurs, les retraités, les ouvriers sont leur clientèle commune. Incapables de trouver la parade, les sociaux-démocrates sont au plus bas dans les intentions de vote. Le dernier sondage Infratest-Dimap, publié le 13 août, les situe à 22 %.
« Sur les sujets essentiels, comme les questions sociales, le SPD a perdu son identité. Voilà pourquoi il est si faible », confie l’ancien ministre des finances de Gerhard Schröder qui avait quitté avec fracas, en 1999, ce parti devenu trop centriste à son goût. Depuis, jusque dans l’aile gauche du SPD, M. Lafontaine passe pour un inconsistant et un « populiste ». Un traître aussi qui n’a cessé, pour remonter la pente, de vilipender ses anciens amis.
Reste un dilemme : en refusant à long terme de coopérer avec Die Linke, les sociaux-démocrates risquent de s’infliger une interminable cure d’opposition. Dans les Länder de l’ex-RDA, le SPD est certes prêt à s’allier avec les anciens communistes. La ville-Etat de Berlin est d’ailleurs gouvernée par une coalition dite rouge-rouge. Mais à l’Ouest, une collaboration entre les frères ennemis reste un tabou.
A moins que les élections en Sarre ne changent la donne. M. Lafontaine sait qu’il n’a presque aucune chance de s’y faire élire ministre-président. Mais il y reste fort populaire. Surnommé le Kumpel (« copain »), il aime déambuler dans les rues de Sarrebruck pour prouver que son aura est intacte. Très à l’aise sur ses terres, il serre des mains, tutoie, offre des photos Polaroid dédicacées. « Ici, on le surnomme toujours le Napoléon de la Sarre », s’amuse un militant.
Le chrétien-démocrate Peter Müller, dont la réélection n’est pas assurée, l’a une fois désigné comme son principal adversaire. Quant au candidat social-démocrate, Heiko Maas, il s’est dit prêt à négocier avec Die Linke en fonction des résultats du scrutin. « C’est un premier pas, dit M. Lafontaine. Le SPD doit nous considérer comme une option de pouvoir crédible. » D’ici les législatives de 2013, peut-être...
Marie de Vergès
* Article paru dans le Monde, édition du 18.08.09. LE MONDE | 17.08.09 | 16h50 • Mis à jour le 17.08.09 | 16h50.
L’extrême gauche autonome connaît un regain de militantisme en Allemagne
Berlin Correspondante
Cécile Calla
Presque chaque nuit, une voiture est incendiée dans la capitale allemande. Depuis le début de l’année, 143 véhicules, souvent des marques haut de gamme, comme Mercedes, BMW ou Audi, ont été détruits. Ce type d’action, en nette augmentation depuis quelques années, est l’un des moyens d’expression favoris des « autonomes », une mouvance anticapitaliste qui ne se reconnaît pas dans les partis d’extrême gauche traditionnels.
Ces jeunes, qui manifestent en noir et le visage masqué, se sont radicalisés depuis le G8 d’Heiligendamm, en 2007. En témoignent les récents affrontements qui se sont produits à Hambourg, le 4 juillet, et à Berlin, le 1er mai. Dans la ville hanséatique, près d’un millier de membres du « bloc noir » (l’autre nom donné aux autonomes) ont attaqué les forces de l’ordre. Bilan des émeutes : 67 arrestations, et 27 policiers blessés.
Dans la capitale allemande, il y a eu 289 arrestations, 273 policiers et 136 civils blessés. Certes, la ville est le théâtre de violentes altercations chaque 1er Mai. Mais, cette année, « la violence a atteint une nouvelle qualité », estime-t-on au Verfassungschutz de Berlin, l’équivalent des renseignements généraux. « Ils ont délibérément cherché la confrontation », reconnaît Tim Laumeyer, un étudiant en histoire et l’un des porte-parole de la gauche « interventionniste », un réseau qui regroupe plusieurs groupuscules anticapitalistes et antifascistes, dont les autonomes.
Leur nombre est pourtant stable depuis plusieurs années : environ 5 800 personnes à travers tout le pays. Mais les services de renseignement observent « un très important militantisme depuis 2007 ». « Beaucoup de jeunes s’étaient politisés à Heiligendamm », explique Tim Laumeyer, La mobilisation a été d’autant plus forte en 2009 que l’année a été riche en événements : les 60 ans de la République fédérale allemande et de l’OTAN, le sommet du G20. Parallèlement, les médias s’intéressent davantage aux autonomes. « C’est considéré comme un succès dans le milieu », souligne-t-on à la direction fédérale du Verfassungschutz.
RÉACTION « SPONTANÉE »
Le comportement imprévisible des autonomes désempare les services de police. Des individus commencent à jeter des pierres et des bouteilles et, quelques secondes plus tard, d’autres groupes les suivent. Selon les renseignements généraux, ils appliquent un principe simple : « S’orienter en fonction de la situation et décider spontanément. » Ce mode opératoire a encore fait ses preuves dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin, le 1er mai.
Alors que le cortège habituel formé par des altermondialistes et des habitants du quartier passait devant une caserne de pompiers, une pluie de pierres s’est abattue sur les policiers. « J’ai moi-même été surpris par la rapidité de cette action », témoigne le porte-parole de la gauche interventionniste.
De même, les dégradations de voitures ou d’immeubles ne font pas l’objet d’une organisation particulière. Les autonomes prennent le plus souvent pour cibles des objets ou des projets immobiliers de leur quartier et agissent individuellement et sans coordination. Leur cagoule et leurs vêtements noirs les rendent difficilement identifiables par la police.
Quand ils retirent leur tenue de combat, les autonomes reprennent une vie normale. Beaucoup sont jeunes, étudiants et viennent de milieux plutôt favorisés. Ils restent toujours attachés à l’absence de structures fixes - même s’ils y sont moins hostiles qu’avant – et d’une idéologie homogène : on retrouve parmi eux des anarchistes, des antifascistes ou des écologistes radicaux.
Traditionnellement, la lutte contre les néonazis fédérait une grande partie des membres du « bloc noir ». Aujourd’hui, c’est plutôt l’embourgeoisement de certains quartiers berlinois qui mobilise. Ainsi le Carloft, un nouvel immeuble luxueux du quartier de Kreuzberg dont les habitants peuvent, grâce à un ascenseur, garer leur voiture devant la porte de leur appartement, a été attaqué à plusieurs reprises.
Jusqu’à présent, les autonomes ne profitent pas de la crise économique. « Il y a eu de nombreuses discussions au sein de l’extrême gauche, mais cela n’a pas débouché sur un nouveau mouvement », déplore l’étudiant en histoire. Selon lui, il manque un acteur capable de « fédérer les différents groupuscules ».
Cécile Calla
* Article paru dans le Monde, édition du 16.08.09. LE MONDE | 15.08.09 | 15h10 • Mis à jour le 15.08.09 | 15h10.