Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) Envoyé spécial
Un projet d’aéroport datant des années 1960 et prévu originellement pour accueillir le Concorde est-il le meilleur moyen de marquer l’entrée de la Bretagne dans le XXIe siècle ? C’est la question posée par quelques milliers de participants à la « Semaine de la résistance », qui s’est achevée, dimanche 9 août, dans les champs de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), commune située à vingt kilomètres au nord de Nantes.
Sur le papier, tout semble joué : soutenu par le PS, l’UMP et les milieux économiques, le projet de construction de l’aéroport sur 1 650 hectares a été validé, en février 2008, par un décret d’utilité publique signé par Jean-Louis Borloo, le ministre de l’écologie, et ce en dépit des engagements du Grenelle de l’environnement. En octobre, un appel d’offres sera fait auprès de quatre consortiums candidats à la construction.
Mais le doute gagne, tandis que l’unanimité politique se fissure. Le maire PS de Saint-Nazaire, Joël Batteux, a déclaré, lors de son conseil municipal du 26 juin : « Le risque d’atteinte à l’environnement est réel. En face, il y a l’intérêt économique et social. Entre les deux, le doute vient de la crise. Ce qui peut nous amener à revoir définitivement ou temporairement la décision d’engager le projet d’aéroport. »
Le MoDem départemental a pris position contre le projet. Lors des élections européennes de juin, Europe Ecologie - vivement opposé au nouvel aéroport - a infligé une cuisante défaite au PS à Nantes, fief du maire socialiste Jean-Marc Ayrault, principal promoteur de la nouvelle infrastructure.
Le dossier est discuté, malgré le soutien de l’Etat. « Le motif numéro un de Jean-Marc Ayrault est la sécurité des citoyens, indique-t-on au cabinet du maire de Nantes, actuellement en vacances. Avec l’aéroport existant, situé au sud de Nantes, dix mille avions passent chaque année au-dessus du centre-ville. »
« TOUT CE QU’ON REJETTE »
Ce à quoi les opposants répondent que des alternatives existent : « On peut changer l’orientation de la piste de l’aéroport actuel, assure Geneviève Lebouteux, présidente de Solidarités Ecologie. Il y a de nouvelles procédures d’atterrissage à utiliser. Il faut aussi étudier le partage du trafic avec d’autres aéroports régionaux. Autre solution : revoir les liaisons ferroviaires avec, par exemple, un TGV direct sur Roissy. Le problème est qu’il n’a jamais été possible d’étudier à fond et de manière contradictoire ces alternatives. »
Le projet entraînerait par ailleurs la disparition d’une cinquantaine d’exploitations agricoles qui prospèrent dans cette belle région de bocage. « Un important dispositif d’aménagement foncier et d’accompagnement des agriculteurs sera mis en œuvre pour limiter et compenser du mieux possible les impacts », répond la préfecture de Loire-Atlantique. Le coût du projet est lui aussi débattu. Il serait de 581 millions d’euros, selon ses promoteurs, sans compter les liaisons routières et ferroviaires nécessaires. Un chiffre sous-estimé, selon les opposants, si on le compare à ceux de la construction d’aéroports similaires à l’étranger.
La question la plus cruciale porte sur le besoin réel du nouvel équipement. Le trafic augmente régulièrement sur l’aéroport existant : +11 % en 2005 et 2006, +7,4 % en 2007, +5,5 % en 2008. Il marque certes un repli de 3 % en 2009, mais « moindre que la moyenne nationale de 6 % », selon la préfecture. Le nombre de mouvements reste cependant stable parce que les avions emportent plus de passagers qu’auparavant : « 38 000 mouvements en 2007, contre 43 000 en 2000 », selon Mme Lebouteux.
Pour l’instant, l’aéroport de Nantes voit passer 2,8 millions de passagers par an, alors que sa capacité est de 4 millions. L’évolution des prix du pétrole, la poursuite de la crise et la fragilité du secteur aérien obèrent les prévisions d’augmentation de trafic.
Le besoin d’un nouvel aéroport est aussi contesté du fait que des pistes existent déjà dans la région. « Il y en a quatre dans notre département d’un million d’habitants : Nantes, La Baule, Ancenis et Saint-Nazaire, observe Isabelle Loirat, conseillère municipale MoDem à Nantes. Et alentour, encore Rennes, Vannes, Quimper... »
La surcapacité régionale est reconnue à demi-mot par les partisans du projet : « Chacun veut garder son aéroport, constate Jean-François Gendron, président de la chambre de commerce et d’industrie de Nantes. Mais une métropole commence à éclore, donc nous avons besoin d’équipements de niveau international. »
Les promoteurs du projet envisagent 9 millions de passagers à l’horizon 2050, soit trois fois plus qu’aujourd’hui. Est-ce compatible avec la lutte contre le changement climatique, alors que la France veut diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici à 2050 ? « Le trafic aérien ne représente que 1,5 % des émissions », dit-on au cabinet du maire de Nantes.
Deux visions de la société et de l’avenir s’opposent. « Je préconise le développement économique et le développement durable, dit M. Gendron. Il ne faut pas revenir à l’âge de pierre pour ces questions d’environnement. » Pour Dominique Fresneau, coprésident de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport : « Ce projet cristallise tout ce qu’on rejette dans cette société : le réchauffement climatique, l’abus de pétrole, la surconsommation, la délocalisation et le gâchis des terres agricoles, qui devraient d’abord servir à nourrir les populations. »
Hervé Kempf
* Article paru dans l’édition du 11.08.09. LE MONDE | 10.08.09 | 13h55 • Mis à jour le 11.08.09 | 10h50.
Première française pour le Camp action climat et ses nouvelles formes militantes
Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) Envoyé spécial
Le parti d’en rire a gagné : l’opération menée, samedi 8 août, pour ridiculiser le projet de grand aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), s’est déroulée dans un burlesque joyeux et non violent. Près de deux cents « habitants » du Camp action climat, installé durant la Semaine de la résistance à Notre-Dame-des-Landes, se sont retrouvés à l’aéroport de Nantes-Atlantique. La présence policière était importante.
A 11 heures, le micro de l’accueil était piraté, et une annonce sur le changement climatique résonnait dans les haut-parleurs de l’aéroport. Le son était rapidement coupé, mais le signal était passé : de partout, des clowns surgissaient et se mettaient à faire des pitreries, des jeunes installaient une tente et de la paille, d’autres accrochaient des banderoles aux balcons (« De l’oxygène, pas du kérosène », « Alerte à la bombe climatique »), des musiciens lançaient des polkas endiablées, des baigneurs se prélassaient sur des plages imaginaires... Pendant plus de deux heures, les halls fonctionnels de l’aéroport se sont transformé en une fête loufoque et joyeuse, soutenue par la Brigade activiste des clowns au meilleur de sa forme. Les voyageurs continuaient à circuler tant bien que mal, étonnés mais pas vraiment mécontents, d’autant que les manifestants leur faisaient des « bisous » amicaux.
La police, d’abord décontenancée, observait placidement. Seule remarque, surréaliste dans ce contexte, d’un responsable de la gendarmerie à un jeune qui tenait une cigarette : « On ne fume pas dans l’aéroport. »
L’action concluait une Semaine de la résistance qui n’a pas rencontré le succès escompté par ses organisateurs, le collectif d’associations opposées de longue date au projet d’aéroport. Durant la semaine, ce ne sont que quelques milliers de personnes qui ont trouvé le chemin des grands champs nichés dans le bocage où se tenait le rassemblement.
« Nous n’avons pas assez communiqué », reconnaît Dominique Fresneau, coprésident de l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport). L’information avait en effet mal circulé dans les réseaux militants. « Il manque un esprit de convergence des luttes, analyse de son côté Karine Plantier, une militante de l’Acipa. Beaucoup ne voient leurs combats que d’un point de vue local. »
La Semaine a cependant connu une animation continue, avec de nombreux débats et la présence, pour la première fois en France, d’un Camp action climat. Celui-ci, organisé par « un collectif d’individus », visait à démontrer qu’il est possible de vivre avec une empreinte écologique minimale et selon des modes d’organisation non-hiérarchique. Les quelque six cents participants ont ainsi vécu en quasi-autonomie énergétique (éoliennes, plaques solaires, générateur à huile végétale), utilisé des toilettes sèches, mangé bio et végétarien, trié et minimisé la quantité de déchets. Organisés en plusieurs villages, ils ont aussi expérimenté la démocratie directe, basée sur la prise de décision au consensus, l’absence de leaders, la répartition et la rotation des responsabilités...
Mêlant des personnes d’inspirations diverses (anarchistes, autonomes, « baba-cools », écologistes) et d’une moyenne d’âge nettement inférieure aux milieux militants traditionnels, le camp a vécu parfois en opposition avec les associations qui organisaient la Semaine de la résistance. Quelques membres du Camp ont ainsi déchiré des drapeaux des stands des mouvements (Verts, Attac, Parti de Gauche, NPA,...) qui s’étaient joints à la Semaine. La philosophie mise en œuvre tout au long de celle-ci a cependant montré la possibilité de renouvellement des démarches de lutte, face à des formes militantes qui s’essoufflent parfois.
H. K.
* Article paru dans l’édition du 11.08.09. LE MONDE | 10.08.09 | 13h55 • Mis à jour le 11.08.09 | 10h50.
Analyse:Action climat, ou la recherche d’une démocratie vivante
En ces temps de désaveu fréquent de la politique, marqué notamment par l’abstentionnisme des jeunes (près de 70 % n’ont pas voté aux élections européennes de juin), ce qui s’est passé à Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique, du 3 au 10 août, est non seulement rafraîchissant, mais prometteur.
Des associations locales en lutte contre un projet d’aéroport au nord de Nantes y avaient organisé une « semaine de la résistance », à laquelle se sont associées de nombreuses organisations écologiques et politiques de gauche. S’y est inclus, pour la première fois en France, un « camp action climat », illustrant une coupure générationnelle : alors que des militants valeureux mais tannés par l’expérience se retrouvaient du côté de la semaine de la résistance, le « camp » réunissait la majorité des jeunes, plus séduits par cette nouvelle forme d’engagement.
Inaugurés en Angleterre en 2006 et toujours inscrits dans une lutte concrète, les « camps action climat » visent à articuler une pratique écologique et une vie collective démocratique. La démarche suscite un intérêt croissant, puisqu’une dizaine d’initiatives similaires ont été (ou vont être) organisées cet été en Angleterre, Irlande, Danemark, Allemagne, Belgique, Etats-Unis, etc.
A la base, le désir de mettre en pratique le mode de vie écologique que l’on recommande pour la société : « Tout le monde en a marre du bla-bla, il faut bouger, montrer l’exemple », dit Pauline, une des participantes du « camp » (la plupart d’entre eux ne souhaitent pas que soit indiqué leur nom, voire leur prénom). Idée sous-jacente : on ne peut pas changer la société si on ne change pas individuellement.
Le « camp » a ainsi démontré la possibilité d’une vie sobre et à impact écologique faible. Eoliennes, plaques solaires et générateur à huile végétale assuraient une quasi-autonomie énergétique (la cuisine requérant cependant du bois et du gaz). Les participants se passaient d’équipements consommateurs d’électricité (sauf les téléphones portables), et il n’y avait pas de lumières le soir sauf dans les espaces communs. L’eau était fournie par un agriculteur voisin. Les toilettes étaient sèches, les excréments mélangés à la sciure constituant un compost récupéré pour l’agriculture. La nourriture était issue d’agriculture biologique. Pas de viande, bien sûr, ce qui a été une nouvelle expérience pour beaucoup, et trois boulangers préparaient du pain à base de farine biologique.
Mais il s’agit aussi d’expérimenter une nouvelle façon de s’organiser et de décider en commun. Le site Internet du camp en résume la philosophie : « Les gen-te-s peuvent s’organiser de façon non hiérarchique, sans qu’il y ait un-e dirigeant-e pour les y forcer ou leur montrer comment faire (...). La coopération basée sur des accords volontaires entre les gen-te-s eux-mêmes est plus inventive, plus efficace et surtout plus juste pour affronter les enjeux écologiques et sociaux actuels. »
Aussi bien dans les villages qu’à l’assemblée générale quotidienne, les décisions sont ainsi prises au consensus. Il n’y a pas de porte-parole, pas d’élu, pas de vote ; mais des discussions qui doivent se poursuivre jusqu’à l’atteinte du consensus sur les sujets débattus. « Le consensus, explique Jean-Pierre, cela signifie que les gens qui ne sont pas d’accord avec la décision sont invités à exprimer la raison pour laquelle ils ne sont pas d’accord, et la décision peut être modifiée de façon à trouver une troisième voie qui va convenir à tous. »
Pourquoi refuser le vote ? « Dans le vote, dit C., 50 % des gens sont contents et 50 % insatisfaits. L’intérêt de la prise de décision au consensus, c’est de recueillir l’adhésion pleine de la personne, et donc d’avoir une implication et une appropriation de la décision par chaque personne, parce que chacun y a contribué. C’est de la démocratie, mais pas représentative. » Des procédures particulières aident à la discussion. Un langage de signes permet d’exprimer son opinion sans parler (par exemple, main agitée en l’air signifie l’accord).
Des volontaires sont facilitateurs de la discussion, scribes ou scrutateurs de sensations (pour s’assurer que certains ne sont pas exclus ou repliés sur eux-mêmes). « Ce système permet une vraie qualité d’écoute entre des gens aux positions totalement opposées, assure Jean-Pierre. On n’est plus dans un rapport de force, mais dans un rapport d’intelligence. » « Les femmes ont vachement de place, observe Laurence, c’est un indicateur que cela se passe bien. »
Il reste que le refus de la politique institutionnelle et du système des partis, fréquent chez les participants de ces « camps », est discutable. « Ce n’est pas parce que nous sommes déçus par la pratique politique qu’il faut laisser la politique à ceux qui nous ont déçus », dit Corinne Morel-Darleux, présente pour le Parti de Gauche à la semaine de la résistance.
Certes. Mais les démocrates classiques et sincères ont tout intérêt à entendre ce que leur disent les démocrates écolo-autonomes. Pour autant, bien sûr, qu’ils veuillent redonner vie à un système politique qu’une large partie du peuple ressent de plus en plus comme une coquille vide et illégitime.
* Article paru dans leMonde, édition du 16.08.09. LE MONDE | 15.08.09 | 14h26 • Mis à jour le 15.08.09 | 14h26.