L’annonce, par les autorités pakistanaises, vendredi 7 août, de la « probable » mort du chef des talibans pakistanais, Baitullah Mehsud, lors d’une attaque de drones américains, validée, le même jour, par deux leaders extrémistes islamistes, n’était toujours pas, samedi, confirmée par Washington. « Nous ne sommes pas en mesure de confirmer quoi que ce soit pour l’instant », a déclaré, vendredi, Robert Wood, l’un des porte-parole du département d’Etat.
Ces précautions oratoires rappellent qu’il y a un an Mehsud avait été déclaré mort par son médecin à la suite d’une insuffisance rénale. Cette prudence s’explique aussi par l’importance prise par ce personnage dans la guerre opposant les talibans à l’OTAN, du côté afghan, et à Islamabad, du côté pakistanais.
Baitullah Mehsud régnait en maître dans les zones tribales tout du long d’une frontière poreuse de 1 360 kilomètres qui sépare l’Afghanistan et le Pakistan. Fer de lance de la jeune génération talibane pakistanaise, adoubée par son maître afghan, le mollah Omar, et animé par le seul objectif de « faire partir les étrangers », Mehsud, installé dans le Sud-Waziristan, tirait sa force de l’unification d’une quarantaine de mouvements radicaux sous la bannière du Tehrik-e-Taliban Pakistan (Mouvement des talibans du Pakistan, TTP).
Le TTP avait aussi lié son destin à Al-Qaida. En 2001, de nombreux combattants arabes et ouzbeks, fuyant l’Afghanistan, avaient été accueillis par Mehsud qui avait, quant à lui, fait ses premières classes contre l’armée soviétique.
Les services de renseignements américains basés à Khost, côté afghan, face au Waziristan, ont établi, selon un officier, que près de 150 camps d’entraînement avaient été créés le long de la frontière. Mehsud comptait plus de 50 000 partisans. Les Américains avaient déjà tenté de tuer Mehsud. Cette fois-ci, ils auraient appris qu’il devait se rendre chez son beau-père pour soigner une douleur au rein. C’est là que le missile a touché, mercredi, la maison dans laquelle sa seconde femme et des gardes du corps sont également morts.
Baitullah Mehsud avait entre 35 et 40 ans. D’après Shaukat Khattak, un journaliste originaire du Waziristan qui a rencontré le chef taliban, « c’était un homme simple et religieux de petite taille, s’exprimant correctement, malin, et ne ressemblant pas au taliban classique ». Né près de Bannu, il appartenait à une branche de la tribu des Mehsud dans une zone où vivent aussi les Wazirs. Avant de se consacrer entièrement au djihad, il s’était installé dans le village de Shaga, au Sud-Waziristan, et construit sa maison en terre séchée.
Un successeur
Si son ascension rapide est liée à l’emprise croissante du TTP sur toutes les zones tribales, elle est aussi liée à la politique d’apaisement du gouvernement pakistanais qui a sans cesse oscillé entre l’offensive militaire et la conciliation. Le premier accord avec les troupes de Mehsud dans le Sud-Waziristan date de 2005. Il en a profité pour recruter et faire la guerre aux autres chefs tribaux locaux rivaux dont plusieurs centaines ont été tués par ses fidèles entre 2006 et 2008.
En avril 2008, le gouvernement pakistanais, en fonction depuis la fin mars, était de nouveau confronté aux limites de cette stratégie du dialogue. Le cessez-le-feu, signé, en avril 2008, avec Baitullah Mehsud, était rompu le 29 juin 2008, après le refus d’Islamabad de retirer des troupes des zones tribales.
Il est alors devenu l’ennemi public numéro un au Pakistan en raison des attentats attribués au TTP dont celui qui a coûté la vie à l’ex-premier ministre Benazir Bhutto en décembre 2007, acte que Mehsud a toujours démenti.
Le TTP a annoncé, vendredi, que ses responsables devaient se réunir ce week-end pour désigner un successeur. Par ailleurs, selon les représentants de l’OTAN à Kaboul, le réseau Haqqani, du nom d’un ancien commandant afghan, restait le plus grand danger pour l’Afghanistan car « c’est le pont entre les zones tribales pakistanaises et l’Afghanistan et entre les talibans et Al-Qaida ».
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 09.08.09. LE MONDE | 08.08.09 | 14h17 • Mis à jour le 08.08.09 | 14h17.
« Sans les Pakistanais, les Américains ne peuvent pas vaincre les talibans »
Olivier Roy, directeur de recherches au CNRS
Le chef des talibans pakistanais, Baitullah Mehsud, a été tué, vendredi 7 août, au cours d’une frappe aérienne américaine. Pour Washington, qui offrait une récompense de cinq millions de dollars pour sa capture, c’est une victoire. Mais selon Olivier Roy, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des talibans, cela illustre surtout le rôle clé joué par l’armée pakistanaise dans la région.
Quel personnage était Baitullah Mehsud ?
Olivier Roy : Il était un chef plus politico-militaire que religieux : il s’était opposé militairement à l’armée pakistanaise, tout en se liant avec les réseaux djihadistes internationaux d’Al-Qaida et en soutenant les talibans en Afghanistan. Il était à la croisée de tous les conflits, alliances et oppositions de la région. De plus, Baitullah Mehsud avait une tactique très simple pour contrer les efforts américains et pakistanais : il assassinait systématiquement tous les chefs tribaux traditionnels susceptibles de se rallier à l’armée pakistanaise.
Sa mort est donc un coup important porté aux talibans pakistanais ?
Symboliquement, oui. Mais il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure sa disparition va porter un coup à l’organisation, car on ne sait pas quelle était la part des facteurs personnels et des facteurs structurels. Sur le plan personnel, il était un personnage charismatique qui n’avait jamais hésité à entrer en conflit avec d’autres radicaux ou avec des chefs de tribu locaux. Il avait une autorité qui permettait de dépasser les tensions entre talibans, pro-talibans et pro-Al-Qaida. Il a probablement déjà un successeur qui a dû être nommé immédiatement, car Baitullah Mehsud devait s’attendre à être tué à tout moment. Mais il n’est pas certain que ce successeur aura ce même charisme.
Peut-on parler d’une victoire des forces américaines et pakistanaises ?
Oui, car Baitullah Mehsud était le symbole de la montée en puissance des talibans et de l’unification des différentes forces radicales dans la région. Cela montre notamment l’efficacité de la tactique américaine qui consiste à utiliser des drones, qui ne coûtent rien en termes de vies humaines. Pour les Américains et pour l’armée pakistanaise, c’est positif. Mais il est très peu probable que cela entraîne un renversement de situation, car il ne s’agit pas seulement d’un individu. Il y a dans cette zone une conjonction entre les solidarités tribales, claniques, ethnique et l’idéologie des talibans et c’est aussi cela qui fait la force du mouvement. D’autre part, cela montre qu’il y a une coopération dans le renseignement : il est probable que les Américains n’auraient pas pu localiser Mehsud sans l’aide des Pakistanais.
Cela illustre donc le bon fonctionnement de la coopération pakistano-américaine ?
Cela illustre surtout le fait que, quand les Pakistanais veulent coopérer, cela marche. Mais, selon moi, cela n’indique nullement un changement de fond de la politique très ambiguë de l’armée pakistanaise. Les Pakistanais jouent un jeu très complexe et très ambigu, et nous n’avons pas d’indication qu’ils soient dans une phase de pleine et totale coopération avec les Américains dans la lutte contre les talibans. Dans le cas présent, Baitullah Mehsud devenait dangereux pour les Pakistanais.
Les Pakistanais utilisent les talibans pour saper l’autorité du régime [du président de l’Afghanistan] Hamid Karzaï, mais l’armée pakistanaise n’a aucune envie de voir les talibans pakistanais regarder du côté d’Islamabad, comme les talibans de la vallée de Swat l’ont fait il y a quelques mois. L’armée pakistanaise ne veut pas casser le mouvement des talibans, mais elle veut qu’ils ne soient pas assez forts pour menacer le gouvernement central. C’est dans le cadre de ce jeu subtil et très risqué que les Pakistanais ont aidé les Américains. Quelle que soit leur force, les Américains n’arriveront à rien sans l’aide des Pakistanais.
Propos recueillis par Hélène Bekmezian
* LEMONDE.FR | 07.08.09 | 18h11 • Mis à jour le 07.08.09 | 18h23
Le Pakistan demande l’aide d’Interpol dans l’enquête sur l’attaque de Bombay
L’enquête sur l’attaque de Bombay, menée du 26 au 29 novembre 2008 par un commando islamiste, et qui avait fait 174 morts -, dont neuf des dix assaillants et 300 blessés -, a pris une nouvelle dimension.
Selon une source jointe par Le Monde à Interpol, les éléments transmis par Islamabad attestent que ces hommes sont tous de nationalité pakistanaise. Ils appartiennent ou sont proches de Lashkar-e-Taiba (LeT). Basée au Penjab, l’organisation a été créée à la fin des années 1980. Elle dénonce les conditions de la partition de l’Inde qui, en 1947, a donné naissance au Pakistan, et à « l’annexion », selon elle, du Cachemire. Jusqu’à son interdiction, en janvier 2000, le LeT a joui d’une totale impunité de la part des autorités pakistanaises notamment après les attaques contre l’aéroport de Srinagar, au Cachemire indien, et les casernes indiennes, à Badami Bagh en 1999 et à New Delhi en 2000.
Onze des treize suspects sont des membres d’équipage des deux bateaux, le Al-Husseini et le Al-Fouz, qui ont permis au commando de quitter le port pakistanais de Karachi et de longer la côte jusqu’à l’accostage d’un navire de pêche et l’arrivée à Bombay. Le propriétaire du Al-Husseini serait Zaki-ur-Rehman Lakhvi, l’un des chefs militaires du LeT.
Les deux derniers suspects seraient intervenus dans l’organisation du raid meurtrier. Mohammad Amjid Khan, originaire de Multan, au Penjab, qualifié « d’organisateur du LeT » dans les documents policiers, aurait géré le passage du commando à Karachi. Iftikhar Ali, domicilié à Faisalabad, aurait, pour sa part, effectué un dépôt de 250 dollars à Islamabad pour fournir des appareils de communication aux terroristes.
Selon les documents de synthèse remis par le Pakistan à Interpol, les éléments à charge ont été découverts lors de perquisitions menées dans les camps du LeT situés au Pakistan. Des journaux intimes, des relevés de dépenses, des listes de noms, des cartes détaillées de la côte indienne, des manuels de formation à la navigation auraient été récupérés par les policiers pakistanais.
Le nom de code de l’opération, « Azizabad », aurait même été retrouvé sur d’autres pièces saisies dans un camp du LeT situé près de Karachi. Enfin, des canots pneumatiques ayant servi au premier transport du commando auraient été découverts dans un petit camp du LeT, à Thatta, moins de deux kilomètres de la crique d’où sont partis les assaillants.
En décidant de transmettre ces éléments à Interpol, qui compte 187 pays membres, le Pakistan officialise une thèse qu’il avait jusqu’à ce jour minimisée, voire niée au tout début de l’enquête. Mi-décembre 2008, le président pakistanais, Asif Ali Zardari, contestait encore l’identité pakistanaise du seul survivant des assaillants, Ajmal Amir Kasab. « Avez-vous vu une quelconque preuve réelle attestant, de plus, qu’il était pakistanais. Je n’en ai encore vu aucune », assurait-il à la BBC. Désormais, les autorités pakistanaises admettent que tous les membres du commando viennent du Penjab pakistanais.
Le Pakistan a déjà fait incarcérer dans cette affaire cinq personnes, toutes affiliées au LeT. Elles ont été présentées, le 25 juillet, devant une juridiction spécialisée en matière antiterroriste. Cette instance a reporté l’examen des faits au 29 août. Parmi eux figurent, notamment, Zaki-ur Rehman Lakhvi, l’un des principaux commandants militaires du LeT et Zarar Shah, expert en communication.
Si, sur ces points, le Pakistan et l’Inde semblent s’accorder, les éléments transmis à Interpol montrent encore quelques divergences. Selon Islamabad, aucun lien n’aurait été mis en évidence dans cette opération entre le LeT et les services de renseignement militaires pakistanais (Inter-services intelligence, ISI) contrairement à ce qu’assure New Delhi.
Par ailleurs, le sort réservé par le Pakistan au chef historique du LeT, Hafiz Saeed, pourrait susciter de nouvelles controverses entre les deux pays. Lundi 3 août, le Pakistan a suspendu toute poursuite à son encontre et renoncé sine die à l’entendre dans ce dossier. Mi-décembre, il avait été placé en résidence surveillée après que le Conseil de sécurité de l’ONU eut qualifié de « terroriste » son organisation, le Jamaat-Ud Dawa, nom de façade du LeT depuis 2000. Les autorités indiennes considèrent pour leur part que Hafiz Saeed a, au contraire, joué un rôle central dans l’opération.
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 08.08.09.