Gaza, envoyé spécial
Sur les plages de Gaza, les femmes ont désormais intérêt à ne pas rire trop fort, sous peine d’une réprimande de la police du Hamas. Asma’Al-Ghoul, une journaliste palestinienne âgée de 27 ans, connue pour ses écrits prolaïcité et son dédain farouche du hijab, le voile islamique, peut en témoigner. A la fin juin, alors qu’elle sortait d’une baignade avec des amis, vêtue d’un jean et d’un tee-shirt comme le veut la norme à Gaza, des hommes en uniforme noir l’ont accostée, lui reprochant de s’esclaffer en public.
Circonstance aggravante à leurs yeux, la jeune femme, qui est divorcée, n’était accompagnée d’aucun chaperon. « Les citoyens se plaignent de ton comportement », ont lancé les militants zélés avant de lui confisquer son passeport. Il a fallu que ses amis activent leurs relations au sein du mouvement islamiste pour que ce document lui soit rendu. « Un porte-parole du Hamas m’a appelée pour s’excuser, raconte Mme Ghoul. Il m’a dit que c’était une initiative isolée, pas la politique du gouvernement. C’est l’excuse habituelle. En réalité, ce genre d’incidents se multiplie ces derniers temps. Les islamistes s’attaquent à la société parce que sur le plan politique, ils ont échoué. »
De fait, les rues de Gaza bruissent en permanence d’anecdotes sur l’intrusion des meshayekh (« les barbus ») dans le quotidien des habitants. Hassan Tamimi, un jeune fonctionnaire, explique comment des miliciens l’ont sommé de produire son contrat de mariage, un soir où il dînait au restaurant avec sa femme. Abdel Halim Al-Ghoul, le directeur d’un centre culturel, raconte les pressions auxquelles il est soumis pour cesser les cours de dabka, la danse folklorique palestinienne. Rabah Mohanna, un médecin, assure que des marchands de vêtements ont reçu l’ordre de ne plus exposer de mannequin féminin en vitrine. Le conseil du barreau de la bande de Gaza déclare avoir reçu une consigne officielle obligeant les avocates à se vêtir du hijab et du jilbab, une longue tunique qui descend jusqu’au pied. Une mesure similaire serait en préparation pour les lycéennes...
Incontestablement, un climat de répression sociale s’installe à Gaza, sans que l’on puisse dire avec certitude s’il est le produit d’une volonté délibérée du Hamas, le reflet d’un laisser-faire complaisant ou le témoignage de son débordement par des groupuscules fondamentalistes. « Il y a des velléités de mettre en place le programme social, dit un expert étranger implanté à Gaza. Le boycottage international nourrit l’extrémisme. Ce qui se passe est beaucoup plus subtil qu’une »talibanisation« . Mais il est clair que des gens au sein du Hamas se satisfont de moins en moins de la seule dawa (la prédication) et qu’ils réfléchissent à une islamisation par le haut. »
Ahmed Youssef, conseiller du premier ministre Ismaïl Haniyeh, l’un des visages modérés du Hamas, conteste cette analyse. « Ce ne sont que des rumeurs propagées par ceux qui veulent faire de notre gouvernement le royaume de l’obscurantisme », dit-il. Il mentionne une déclaration de M. Haniyeh condamnant des abus perpétrés par des policiers. « Mais allez voir au Deira (l’hôtel le plus chic de Gaza) tous ces garçons et ces filles qui se prélassent, en fumant le narguilé. Il y a deux semaines, j’y suis passé avec une délégation d’étrangers venus partager les souffrances du peuple palestinien. C’était comme la Riviera. J’étais rempli de honte. »
« Dur avec les pauvres »
L’endroit reste le refuge de la bourgeoisie libérale de Gaza-ville. En soirée, les représentants de ce micromilieu - ceux qui n’ont pas encore émigré à l’étranger - affluent sur la terrasse ouverte à la brise du large, en tenue d’été. Un privilège dont Asma’Al-Ghoul profite sans en être dupe. « Le Hamas protège le Deira parce qu’il est respectueux avec les riches, dur avec les pauvres, comme tous les despotes de la région. »
Quelques kilomètres plus au nord, sur la plage de Beit Lahiya, le prolétariat des camps de réfugiés oublie dans l’écume des vagues la cruauté du blocus israélien. Mais cette année, la baignade des hommes doit se plier à un code vestimentaire précis : short jusqu’aux genoux et T-shirt obligatoire. Deux policiers barbus patrouillent le long du rivage. Certains apprécient. Mais pas Ziyad, un instituteur : « On a eu droit à la guerre, aux destructions, au bouclage. Voilà maintenant les pressions sociales. Ça suffit, on en a marre ! »