Cinq rapporteurs des droits de l’homme de l’ONU ont appelé aujourd’hui les autorités birmanes à garantir que le procès d’Aung San Suu Kyi, leader de l’opposition démocrate birmane et lauréate du Prix Nobel de la Paix, soit « équitable et transparent » et ont souligné les profondes incohérences dans les motifs d’inculpation retenus contre Aung San Suu Kyi. « Si l’Etat assume la responsabilité d’empêcher l’accès à la résidence d’Aung San Suu Kyi, comment peut-elle être passible d’une peine criminelle pour cette intrusion non-désirée ? » Il peut aussi sembler paradoxal le système judiciaire soit aujourd’hui utilisé pour justifier d’une restriction supplémentaire à sa liberté alors qu’Aung San Suu Kyi n’avait jusqu’à présent jamais été amenée devant un juge durant ses treize années de résidence surveillée.
La déclaration conjointe de cinq rapporteurs onusiens est un geste inhabituel au sein de l’ONU, et illustre l’extrême gravité de la situation en Birmanie. La prise de position de Madame Manuela Carmena Castrilo (Rapporteur du groupe de travail sur la détention arbitraire), de Monsieur Leandro Despouy (Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, de Monsieur Tomas Ojea Quintana (Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Birmanie), de Madame Margaret Sekaggya (Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme) et de Monsieur Franck La Rue (Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit de liberté d’opinion et d’expression) a été la suivante :
« Jusqu’à présent, le procès d’Aung San Suu Kyi et de ses compagnes a été marqué par des violations flagrantes des droits procéduraux et substantiels » a déclaré Leandro Despouy. « La transparence dans l’administration de la justice est un pré-requis dans tout Etat de droit » a-t-il ajouté. Soulignant le fait que le procès s’est déroulé jusque-là à huis-clos et que les médias n’ont pas eu la possibilité de communiquer avec les avocats de la défense, Franck La Rue a indiqué que « les médias nationaux et internationaux devraient avoir un accès total au procès ». Enfin, la présidente du groupe de travail sur la détention arbitraire a rappelé que « la prolongation de l’assignation à résidence d’Aung San Suu Kyi était arbitraire et illégale d’après les lois internationales mais aussi selon le droit birman ». Pour l’ensemble de ces raisons, les experts onusiens ont appelé à la libération immédiate et inconditionnelle d’Aung San Suu Kyi.
L’initiative des rapporteurs spéciaux coïncide avec la remise à New-York d’une pétition au Secrétaire général Ban Ki-moon pour la libération des prisonniers politiques birmans. D’anciens prisonniers politiques birmans ont remis à Ban Ki-moon près de 680.000 signatures collectées au cours des dix dernières semaines par 200 organisations à travers le monde. Une action unitaire à laquelle ont participé les associations françaises Info Birmanie, la FIDH, Reporters Sans Frontières, Femmes Solidaires, l’Alliance des Femmes pour la Démocratie et la Communauté birmane de France.
« Monsieur Ban Ki-moon, mon message est simple : vos déclarations prouvent que la situation birmane vous préoccupe. Maintenant, je voudrais voir quelle action vous allez initier pour obtenir la libération de ma famille et de tous les prisonniers politiques en Birmanie » a déclaré Nyi Nyi Aung, dont la mère et les cousins ont écopé de peines de prison de 65 ans pour leurs activités politiques. « Je reste persuadée que chacune de ces signatures compte » a-t-elle ajouté. Elle était accompagnée de Khin Ohmar, de l’organisation Forum for Democracy in Burma et de Tate Naing, ancien prisonnier politique et secrétaire de l’Association d’Assistance des Prisonniers Politiques.
Alors que le mois dernier, l’activiste démocrate Salai Hla Moe a été le 140e prisonnier politique à décéder en détention depuis 1988, et que plus de 2.100 prisonniers politiques croupissent actuellement dans les geôles birmanes, la problématique des prisonniers politiques est devenue un thème central dans le dossier birman. Le procès actuel intenté à Daw Aung San Suu Kyi a déclenché une série de condamnations de la part des gouvernements occidentaux, mais a également provoqué des remous au sein de l’ASEAN. Le Premier ministre thaïlandais Abhisit Vejajjiva a déclaré à la presse aujourd’hui que le maintien en détention d’Aung San Suu Kyi « affecterait inévitablement la crédibilité de l’ASEAN », tandis que l’ancien Premier Ministre singapourien Goh Chok Tong déclarait la semaine dernière, lors d’une rencontre avec Than Shwe, le n°1 de la junte, que « le procès d’Aung San Suu Kyi a une dimension internationale, que le Myanmar [Birmanie] ne devrait pas ignorer. »
A l’approche du 64e anniversaire d’Aung San Suu Kyi, célébré le 19 juin, les groupes de soutien continuent leur mobilisation et ont créé un site spécialement dédié à cette occasion : www.64forsuu.org, sur lequel hommes politiques et personnalités publiques ont publié des messages de soutien à la leader démocrate. Une soirée hommage à Aung San Suu Kyi est organisée vendredi 19 juin à Paris en présence d’élus locaux, de parlementaires et de diverses personnalités. De nombreux autres évènements sont planifiés à travers le monde.