Depuis les années 1960, les femmes ont massivement investi le monde du travail : aujourd’hui, plus de 80 %
des femmes âgées de 25 à 49 ans ont une activité professionnelle. "Leur comportement a fondamentalement
changé, constate Brigitte Grésy, dans le rapport sur l’égalité professionnelle qu’elle devait remettre
mercredi 8 juillet au ministre du travail, Xavier Darcos. La norme n’est plus celle de la femme au foyer."
Mais, bien que les femmes soient aujourd’hui mieux formées que les hommes, les inégalités professionnelles
sont toujours au rendez-vous.
Les femmes sont ainsi plus touchées par le chômage (8,3 %, contre 7,3 % pour les hommes) et sont
surreprésentées parmi les emplois non qualifiés. Elles forment surtout les gros bataillons du travail partiel,
et donc des bas salaires : 83 % de ces salariés employés à temps réduit sont des femmes. Contrairement aux
idées reçues, cette situation est souvent subie : un tiers des femmes en temps partiel souhaiteraient
travailler plus.
Ces inégalités professionnelles trouvent souvent leur origine dans la sphère privée. L’arrivée d’un enfant
pèse lourdement sur les carrières des femmes : alors que le taux d’activité des hommes reste stable quel que
soit le nombre d’enfants, celui des mères chute à 64 % avec un ou deux enfants de moins de 12 ans et 40 %
avec trois. "L’asymétrie des transitions professionnelles des hommes et des femmes après les naissances
reste donc la règle", regrette Mme Grésy.
Les salaires des femmes restent nettement inférieurs à ceux des hommes. En 2006, dans les entreprises de
plus de 10 salariés du secteur concurrentiel, la rémunération des femmes était inférieure de 27 % à celle des
hommes, 16 % si l’on se référait au salaire horaire. Une partie de cette différence vient de la structure des
emplois, mais il reste un « écart inexpliqué » lié aux discriminations.
Malgré l’adoption de plusieurs textes de loi depuis 1983, Mme Grésy dresse un bilan plutôt mitigé de la
négociation collective : 5 % seulement des accords de branche abordent la question de l’égalité
professionnelle et beaucoup se contentent de rappeler de grands principes.
"Les négociateurs négocient peu, sauf dans les grandes entreprises, les contrôleurs contrôlent peu et les
juges jugent peu", résume-t-elle.
Le rapport propose de donner un véritable contenu aux accords en obligeant les négociateurs à puiser parmi
dix « leviers d’égalité » fixant, par exemple, des objectifs précis de progression des effectifs féminins ou une
enveloppe financière de rattrapage pour les écarts de salaire. En cas de non-respect de ces obligations, Mme
Grésy propose de mettre en place deux types de sanctions : soit une pénalité financière représentant 1% de la
masse salariale de l’entreprise, soit une suppression des exonérations de charges accordées à l’employeur.
* Paru dans le Monde 8 juillet 2009.
L’idée d’un quota de femmes à la tête des entreprises progresse
Faut-il imposer des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises ? C’est ce que
propose Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, dans un rapport sur l’égalité
professionnelle qu’elle devait remettre mercredi 8 juillet, au ministre du travail Xavier Darcos.
"Faire entrer les femmes dans les instances de décision se justifie simplement parce qu’elles sont présentes,
bien f o rmées , p rêtes à s’investir et que l es compétences n’ont pas de
sexe", souligne-t-elle.
En mars, le gouvernement lui avait demandé de préparer la concertation sur l’égalité professionnelle que
Nicolas Sarkozy a promise pour l’automne. Pour briser le « plafond de verre » qui empèche les femmes
d’accéder aux responsabilités, elle propose d’imposer 40 % de femmes dans les conseils d’administration et
de surveillance des entreprises publiques et des sociétés côtées en Bourse. Il faut, écrit-elle, "casser une logique de recrutement quasi exclusivement masculine, qui ne varie pas au cours du
temps".
Actuellement, les femmes sont sous-représentées dans les instances dirigeantes des entreprises : en 2009,
les conseils d’administration du CAC 40 comptaient seulement 10,5 % de femmes. Lorsque l’on prend en
compte les 500 premières sociétés françaises, la part des femmes tombe à 8 % à 60 % de ces entreprises
sont dirigées par un conseil d’administration exclusivement masculin. Il y a actuellement une
« invisibilité des femmes dans les instances de décision », conclut le rapport.
Brigitte Grésy propose donc de s’inspirer du modèle norvégien. Dénonçant l’existence d’un
« club d’hommes » à la tête des entreprises norvégiennes, le gouvernement a imposé des quotas dans les
conseils d’administration : les entreprises publiques (en 2004) et les sociétés cotées (en 2006) ont été
priées d’accueillir 40 % de femmes dans leurs instances dirigeantes. Les résultats ont été atteints sans
difficultés : les pouvoirs publics n’ont même pas eu besoin d’utiliser la dissolution, la lourde sanction prévue
par la loi.
Pour Brigitte Grésy, il est temps d’appliquer ce système à la France. "Les entretiens menés par la mission ont
permis de constater une évolution sensible de l’opinion des responsables, y compris dans les milieux
patronaux, souligne-t-elle. Le conseil d’administration de l’Institut français des administrateurs a ainsi
voté en mars 2009 une résolution favorable à l’instauration d’actions positives par le législateur."
Les quotas seraient d’autant plus opportuns, selon elle, que la féminisation des instances dirigeantes stagne
depuis plusieurs années. D’ici à six ans, Brigitte Grésy propose donc d’imposer 40 % de femmes dans les
conseils d’administration et de surveillance des entreprises publiques et des sociétés dont les titres
financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Seules les sociétés comptant plus de 1000
salariés seraient concernées, ce qui représenterait environ 700 entreprises. Pour qu’elles commencent dès
aujourd’hui à recruter des femmes, une première échéance, à deux ans, leur imposerait 20 % de femmes. En
cas de non-respect de ces obligations, les nominations faites au mépris de la mixité seraient annulées.
Cette proposition s’inspire du modèle de la parité politique inscrit dans la Constitution en 1999 : depuis lors,
la loi oblige les partis, lors de certains scrutins, à prévoir une alternance hommes-femmes sur les listes de
candidats. Pendant une petite décennie, cette contrainte a été réservée au seul monde politique mais la
réforme constitutionnelle de l’été 2008 a autorisé le législateur à l’imposer à la sphère économique :
"La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et
sociales", note désormais la Constitution.
La proposition de Brigitte Grésy sera surement soutenue par la rapporteure de l’Observatoire de la parité :
en mars, la députée (UMP) Marie-Jo Zimmermann, qui est à l’origine de la réforme constitutionnelle sur la
parité économique et sociale, avait déposé une proposition de loi allant dans le même sens. Le Medef, en
revanche, sera sans doute partagé, même si sa présidente, Laurence Parisot, s’est déjà déclarée favorable à
l’instauration de quotas.
Pour Tita Zeitoun, commissaire aux comptes et présidente d’Action de femmes, une association fondée en
1997 afin de féminiser les conseils d’administration, la proposition de Brigitte Grésy est une bonne nouvelle.
"L’objectif de 40 % peut servir de marchepied à beaucoup de femmes, estime-t-elle. Il y a un vivier de
dirigeantes qui ont les compétences nécessaires, mais les hommes étaient là avant elles et ils ne veulent pas
céder leur place. Il est pourtant dommage de se priver de 50 % des talents humains !".
* Paru dans Le Monde.