Le 23 juin Saïd Bouziri nous a quittés. Ce n’était pas une icône de la « diversité » familière des ors de la République. Simplement un militant des droits de l’homme, un citoyen engagé de notre histoire. Quand, en 1972, le gouvernement restreint des droits des immigrés avec la circulaire Fontanet, Saïd Bouziri a du retard pour ses papiers. On lui signifie, ainsi qu’à sa femme Faouzia, un avis d’expulsion ! En fait on lui reproche son engagement pour le peuple palestinien et sa protestation contre le meurtre du petit Djillali le 25 octobre 1971 à la Goutte-d’Or. Saïd entame une grève de la faim soutenue par l’union locale CFDT, les églises du quartier Barbès, et de nombreux militants et intellectuels. Les autorités accorderont à Saïd des papiers renouvelables par quinzaine jusqu’en 1982 ! Cette grève de la faim est fondatrice des luttes des sans-papiers en France ; elles se développent notamment avec le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) et de nouvelles grèves de la faim, qui déboucheront sur une circulaire du ministre Georges Gorse prévoyant des régularisations « humanitaires » puis l’annulation par le Conseil d’Etat d’une partie des mesures administratives.
Pourtant les expulsions vont continuer, frappant notamment des jeunes qui sont nés ou ont grandi en France, bannis après des condamnations mineures, victimes de la double peine. Tandis que le racisme s’étend avec la montée du chômage, les enfants des travailleurs immigrés subissent de plein fouet les discriminations. Les combats de Saïd débouchent après 1981 sur des mesures positives : régularisations de sans-papiers, droit de libre association pour les étrangers (supprimé en 1939), carte de séjour de dix ans. Pour Saïd, les mouvements des immigrés sont parties prenantes de l’histoire sociale de la France. Il sait l’importance de la solidarité avec les pays d’origine de l’autre rive de la Méditerranée. Les avancées de 1981 sont remises en cause (lois Pasqua de 1993), les espérances des grandes marches des jeunes pour l’égalité de 1983 et 1984 s’évanouissent dans la grisaille des cités et les discriminations, tandis que le racisme se nourrit de la peur de l’autre et de la « guerre des civilisations ».
Saïd était en première ligne contre cette nouvelle politique mortifère menée au nom de « l’identité nationale ». S’engageant dans la Ligue des droits de l’homme (LDH), Saïd y poursuit son combat pour l’égalité, celui des collectifs de sans-papiers ou des jeunes des cités, de la votation citoyenne et pour la démocratie et la justice dans le monde arabe, dans sa chère Tunisie. Il participe à l’association Génériques, lieu de mémoire des immigrations, démonstration de l’enracinement de ceux que certains imaginent toujours comme « autres ». On ne remplacera pas Saïd, le militant, le compagnon joyeux et attentif, le juriste compétent et le pédagogue patient. Mais nombreux seront ceux qui continueront dans la voie qu’il a tracée, dans l’action et par la mémoire, pour l’espoir que les hommes soient effectivement libres et égaux en droit.