NEW DELHI CORRESPONDANT EN ASIE DU SUD
Est-ce le début de l’enlisement ? L’offensive antitalibans, relancée ces dernières semaines au Pakistan avec une vigueur nouvelle, piétine dans le nord-ouest frontalier de l’Afghanistan, faisant craindre une réédition des échecs essuyés depuis l’éclatement du conflit autour de 2004.
Après les succès enregistrés en mai dans la vallée de Swat et ses districts adjacents, chaudement applaudis par une administration américaine rassurée sur la détermination d’Islamabad, le gouvernement pakistanais accumule les déconvenues aux portes du Waziristan, moitié méridionale de la ceinture tribale pachtoune que les talibans contrôlent de facto. Du coup, les déclarations conquérantes du président Asif Ali Zardari, appelant, mercredi 1er juin, à « éliminer complètement les rebelles », paraissent incongrues.
Après des années de confusion, voire de double jeu, l’objectif assigné à l’armée pakistanaise était, cette fois, fort clair : éliminer Baitullah Mehsud, le chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le mouvement qui chapeaute l’essentiel des groupes de talibans opérant dans le nord-ouest du pays.
Hébergeant de nombreux camps d’entraînement dans son fief du Sud-Waziristan, où il peut s’adosser à sa puissante tribu des Mehsud, qui causa jadis bien des tourments aux Britanniques de l’époque de l’Empire des Indes, Baitullah Mehsud est jugé responsable de la vague d’attentats-suicides ces dernières années au Pakistan.
Plus récemment, il a été pointé du doigt par Islamabad comme le véritable artisan de l’échec de l’accord de Malakand (incluant la vallée de Swat) dont la philosophie était : « La paix contre la charia (loi islamique). » En fait de paix, Baitullah Mehsud s’était révélé davantage intéressé par l’occupation territoriale de districts proches de la capitale, Islamabad, précipitant une énergique riposte militaire d’un gouvernement pakistanais sous forte pression américaine.
Mais avant de s’attaquer frontalement au chef du TTP, présenté désormais officiellement comme la « racine du mal », les autorités pakistanaises s’étaient préalablement occupées de diplomatie politico-tribale. Le but était d’isoler Baitullah Mehsud. Or c’est sur ce front « diplomatique » que les choses viennent de mal tourner. Le 22 juin, le TTP a assassiné Qari Zainuddin, un petit chef taliban qui s’était ouvertement dressé contre Baitullah Mehsud. Issu lui-même de la tribu Mehsud, Qari Zainuddin était censé, selon les calculs apparents de l’armée, ouvrir une brèche dans le soutien clanique au chef du TTP. Sa disparition prive désormais le gouvernement de candidat sérieux à la dissidence au sein du TTP.
Mais le revers le plus cuisant est survenu, lundi 29 juin, avec une défection majeure d’un chef taliban « progouvernemental ». Opérant sur le Nord-Waziristan, Gul Bahadur a résilié un accord de paix signé en février 2008 en invoquant la multiplication de frappes imputées à des drones américains (une cinquantaine selon ses calculs). Il aurait également considéré comme un casus belli les opérations engagées par l’armée à Bannu, un district voisin du Nord-Waziristan où des talibans avaient pris en otage début mai des élèves d’un collège militaire. La veille de la dénonciation de l’accord de février 2008, ses hommes ont tendu une embuscade à un convoi de l’armée, tuant une trentaine de soldats.
Le défi lancé à Islamabad par Gul Bahadur bouleverse la carte politico-militaire des zones tribales. Gul Bahadur avait jusqu’alors été présenté dans les cercles officiels pakistanais comme un « bon taliban », un chef islamiste qui, contrairement à Baitullah Mehsud, ne s’attaquait pas à l’armée pakistanaise et préférait se focaliser sur l’Afghanistan.
FRAPPES DE DRONES
Les Américains ne partageaient évidemment pas cette tendresse officielle pour Gul Bahadur. Car son bastion du Nord-Waziristan est le principal sanctuaire des groupes insurgés qui lancent des attaques contre les troupes de l’OTAN en Afghanistan, notamment dans les provinces de Paktika et Khost. Le groupe le plus fameux est le « réseau Haqqani », dirigé conjointement par Jalaluddin Haqqani, un vétéran du djihad antisoviétique, et son fils Sirajuddin. Des cellules Al-Qaida sont également très actives dans le Nord-Waziristan.
Ce sont tous ces repaires qu’ont visés les frappes de drones américains avec une certaine efficacité. Cette situation dans le Nord-Waziristan était devenue éminemment paradoxale avec des Américains bombardant un territoire contrôlé par un taliban « ami » d’Islamabad. Un paradoxe aujourd’hui révolu. Pourtant, le gouvernement n’a pas perdu espoir de redonner vie à l’accord défunt. Il a annoncé que le Nord-Waziristan ne serait pas attaqué.
Reste dans les mains d’Islamabad une dernière carte : le mollah Nazir, qui se partage le Sud-Waziristan avec Baitullah Mehsud. Les relations entre les deux chefs talibans ont souvent été conflictuelles. Le pouvoir a su instrumentaliser le mollah Nazir, promu « bon taliban », pour contenir Baitullah Mehsud. La réussite de l’offensive en cours repose en partie sur sa loyauté.
Frédéric Bobin
VASTE OFFENSIVE AMÉRICAINE DANS LE SUD AFGHAN
Les marines américains ont lancé une offensive d’envergure contre les talibans dans la province du Helmand, a annoncé, jeudi 2 juillet, le général Larry Nicholson, commandant la brigade expéditionnaire des marines (MEB) en Afghanistan. L’opération Khanjar (« coup de poignard ») comprend près de 4 000 Américains, ainsi que 650 policiers et militaires afghans. Cette opération, à laquelle participent une cinquantaine d’avions, « diffère de celles lancées précédemment, par l’ampleur des forces et sa rapidité », a déclaré le général Nicholson. Les principaux objectifs de l’offensive visent les districts de Garmsir et de Nawa, situés près de la frontière méridionale avec le Pakistan, où les insurgés trouvent refuge. - (AFP.)
NOUVELLE ATTAQUE PAR DES AVIONS SANS PILOTE AU SUD-WAZIRISTAN
Un drone a tiré, vendredi 3 juillet, des missiles sur Montoi et à Kokat Khel dans la région pakistanaise du Sud-Waziristan, proche de la frontière afghane, où des troupes pakistanaises préparent une offensive contre des activistes islamistes. Selon les services de sécurité pakistanais, les missiles tirés d’un appareil sans pilote américain ont visé des repaires d’activistes dans une zone contrôlée par le chef des talibans pakistanais, Baitullah Mehsud. Onze personnes auraient été tuées.
* Article paru dans le Monde, édition du 03.07.09. LE MONDE | 02.07.09 | 15h14 • Mis à jour le 03.07.09 | 08h24.
L’enquête de l’ONU sur l’assassinat de Benazir Bhutto débute
La commission d’enquête de l’ONU sur l’assassinat en 2007 de l’ancienne première ministre pakistanaise Benazir Bhutto a officiellement commencé, mercredi 1er juillet, ses travaux. « Le mandat de six mois de la commission débute aujourd’hui. Elle se rendra au Pakistan, mais les dates ne sont pas encore fixées », a précisé un porte-parole de l’ONU au Pakistan.
La commission, composée de trois personnes, et dirigée par l’ambassadeur du Chili à l’ONU, Herald Munoz, est chargée « d’enquêter sur les faits et circonstances de l’assassinat », non de déterminer « la responsabilité criminelle des auteurs », qui reste du ressort des seules autorités
pakistanaises, selon l’ONU. Elle remettra son rapport au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui à son tour le communiquera à Islamabad et au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’enquête de l’ONU répond à une requête du gouvernement pakistanais issu des législatives de février 2008, remportées par le parti de Mme Bhutto. Alors grande figure de l’opposition, Benazir Bhutto se trouvait à Rawalpindi pour un meeting de son parti PPP (Parti du peuple pakistanais) quand elle a été tuée par un kamikaze qui a ouvert le feu sur elle, la manquant de peu, avant de faire exploser la bombe qu’il portait sur lui, le 27 décembre 2007, en pleine campagne électorale pour les législatives.
* LEMONDE.FR avec AFP | 01.07.09 | 12h25