Une nouvelle crise de la dette des pays du Sud est sur le point d’exploser. Faute de moyens suffisants pour financer des plans de relance de leur économie, l’aide extérieure leur est aujourd’hui proposée. Or, celle-ci n’est pas gratuite : les 50 milliards de dollars promis en avril par les leaders du G20 aux pays « à faibles revenus » prendront pour l’essentiel la forme de prêts à contracter auprès du Fonds monétaire international (FMI).
Dès lors, ces derniers se trouvent face à un choix cornélien : accepter l’« aide » internationale, au risque de s’enliser dans un nouveau cycle d’endettement et de devoir appliquer des mesures anti-sociales comme le gel des salaires des fonctionnaires publics, les privatisations ou encore la réduction des dépenses sociales imposés par le FMI et la Banque mondiale ; ou la refuser, en étant forcé de couper dans les budgets sociaux pour surmonter le tarissement des investissements étrangers et des recettes d’exportation résultant de la crise. Autrement dit : sacrifier leur population aujourd’hui ou… demain.
Consciente de la gravité de la crise économique mondiale, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a d’ailleurs appelé en avril dernier à suspendre le remboursement du service de la dette des pays à bas revenus.
Cela étant, si la perspective d’un réendettement du Sud préoccupe fortement l’ONU, elle est au contraire perçue comme une source de profits futurs par certains acteurs privés. C’est le cas notamment des « fonds vautours », des fonds d’investissement privés qui rachètent des dettes de pays en développement à prix cassé, pour les contraindre ensuite par voie judiciaire à rembourser ces créances au prix fort (c.-à-d. à payer le montant initial de la dette, augmentée d’intérêts, de pénalités et de divers frais de justice).
Ce type d’opérations s’est multiplié depuis le lancement des initiatives d’allégements de dettes des pays les plus pauvres à la suite de la campagne du Jubilé 2000. Les fonds vautours ont profité de la solvabilité partiellement retrouvée par ces pays pour les attaquer en justice et leur imposer le remboursement de vieilles dettes rachetées au rabais. Un cas d’école est le jugement rendu le 15 février 2007 par la Cour suprême britannique, qui a contraint la Zambie à payer 15 millions de dollars au fonds Donegal International. Ce fonds immatriculé dans les îles Vierges britanniques avait, en effet, acheté en 1999 une dette zambienne due à la Roumanie pour 3,2 millions de dollars et a donc empoché dans l’opération une plus-value de 375 % au détriment des caisses de l’État zambien. Plus récemment, un tribunal sud-africain a autorisé la firme FG Hemisphere à saisir pendant les 15 prochaines années les recettes escomptées par la Snel – l’entreprise publique d’électricité de la République démocratique du Congo (RDC) – sur le courant vendu à l’Afrique du Sud, estimées à 105 millions de dollars. En septembre 2004, ce fonds vautour avait racheté à bas prix une créance impayée de 18 millions de dollars envers l’entreprise publique congolaise.
Ces cas ne sont malheureusement pas isolés. Selon le FMI, l’encours des créances détenues par les fonds vautours sur les pays en développement atteindrait au total près de 2 milliards de dollars. Et la future crise de la dette des PVD pourrait entraîner le développement des fonds vautours tant ce business de la dette s’avère juteux. À moins que les gouvernements n’agissent rapidement pour mettre définitivement ces fonds hors d’état de nuire.
Certes, des initiatives unilatérales ont déjà été prises. La Belgique, notamment, a adopté le 31 janvier 2008 une loi visant à rendre « insaisissables et incessibles » les sommes destinées à la coopération au développement. Quelques mois avant l’adoption de cette disposition législative, le fonds vautour Kensington International avait fait saisir près de 12 millions d’euros prélevés sur des fonds de la coopération belge destinés au Congo-Brazzaville. Cela étant, au-delà de la nécessité de protéger les ressources affectées à la coopération au développement, des mesures doivent également être adoptées au niveau global pour couper les ailes aux vautours. Une première disposition consisterait à interdire la cession de créances sur des pays pauvres sans que leur consentement éclairé n’ait été obtenu préalablement. Une seconde mesure qui s’impose est la création d’une juridiction supranationale indépendante pour le règlement de tous les contentieux liés aux dettes publiques. En effet, les fonds vautours fondent leur stratégie sur le droit et la compétence des tribunaux anglo-saxons, qui leur sont particulièrement favorables. La mise en œuvre d’audits pour fonder l’annulation des dettes odieuses et illégitimes, comme le recommande l’actuel rapport de l’Expert indépendant de l’ONU sur la dette, constitue une troisième piste à exploiter par les pays débiteurs et créanciers. Enfin, la protection des dépenses sociales des pays en développement exige l’annulation totale et inconditionnelle de leurs dettes extérieures.
Le contexte n’a jamais été aussi propice pour concrétiser ces propositions. Avec la crise, la régulation des acteurs financiers a pris la première place dans l’agenda international. Adopter de telles mesures permettrait enfin de créer un cadre juridique international qui protège les pays débiteurs et s’impose à tous les créanciers.