Chronique : Une main tendue en forme de prière
Caroline Fourest
Le discours prononcé par Barack Obama au Caire confirme un changement de stratégie face au défi complexe de l’après-11-Septembre, sans toutefois abandonner une formulation très religieuse des enjeux.
Mélangeant dangereusement Bible et western, Bush voulait répondre à l’intégrisme religieux par la guerre au nom de Dieu. Obama, lui, souhaite lutter contre l’intégrisme par le dialogue entre les religions. C’est un net progrès. Mais un progrès qui ne résiste pas à la tentation de privilégier la foi comme langage commun entre l’Amérique et le monde musulman.
Dans son allocution, le président américain a cité à plusieurs reprises le « saint Coran », la « sainte Torah » ou la « sainte Bible », rendu hommage aux prophètes Moïse, Jésus et Mahomet, en ajoutant que « paix et bénédiction soient sur eux », avant de souhaiter la paix parce que « Dieu le veut ». George Bush voulait faire la guerre en Irak parce que « Dieu le lui avait demandé ». Le Dieu d’Obama est donc plus pacifiste que celui de George Bush. Tant mieux. L’incantation reste néanmoins risquée. Car, si Dieu est derrière tout ça, que s’est-il passé ? Dieu a-t-il changé d’avis ? La Maison Blanche a-t-elle changé de ligne directe ? Mais, au fait, qui nous dit qu’elle a une meilleure liaison qu’Al-Qaida ?
Emettons plutôt l’hypothèse que Dieu n’a rien à faire là-dedans. Simplement, les équipes d’Obama n’ont pas trouvé de meilleur technicien pour rétablir la ligne téléphonique entre Washington et Le Caire. De fait, les passages les plus applaudis furent ceux où le président américain a cité le « saint Coran ». Conformément à la tradition américaine, qui pense la question du voile sous l’angle de la liberté religieuse, le président américain a cru également devoir désigner un ennemi commun : ces affreux pays laïques qui interdisent à une musulmane de se couvrir la tête.
Personne ne lui reprochera d’avoir tenté d’aplanir les divergences en cultivant les convergences entre l’Amérique et le monde musulman. Sauf si ce dialogue se fait au détriment de la sécularisation. Car c’est bien la laïcité et non le seul respect de la liberté religieuse (ou même du pluralisme religieux) qui pourra stopper le cercle infernal nourrissant l’intégrisme.
Aux Etats-Unis, le recours systématique à Dieu en politique favorise la droite religieuse. C’est la même chose, en pire, dans les pays musulmans. Convoquer l’islam au service de la politique n’y a jamais permis de faire reculer le fanatisme, bien au contraire. Lorsque l’islam est religion d’Etat, les plus fondamentalistes finissent toujours par apparaître comme une alternative légitime, chaque fois que l’Etat faillit. Ce qui rend très dangereux de démocratiser avant de séculariser. Puisque les islamistes font un tabac à la moindre bouffée démocratique.
Ceux qui s’en sortent le mieux, comme la Turquie, ont d’abord sécularisé, puis démocratisé. Même au pouvoir, les islamistes turcs sont contenus par la Constitution laïque. Tandis qu’en Egypte, où la sécularisation recule, une victoire des Frères musulmans servirait de signal à tous ceux qui rêvent d’instaurer la théocratie par la voix démocratique.
La seule solution semble de séculariser, puis de démocratiser, sans laisser participer aux élections des partis utilisant le scrutin électoral en vue d’instaurer une dictature, qu’elle soit religieuse ou laïque. Cela n’interdit pas de dialoguer avec tous les acteurs de ce cercle infernal, qu’ils soient autocrates ou théocrates. A condition de ne jamais oublier qui sont les vrais alliés des démocraties : ceux qui ne supportent plus ni les uns ni les autres.
Ces démocrates laïques ne seront jamais en position de force sans une véritable sécularisation. D’où l’importance de s’adresser au monde musulman en lui parlant le langage de la raison et non celui de la religion. Si le plus brillant des présidents américains ne peut s’y résoudre, l’Europe, elle, ne doit surtout pas laisser cette tonalité s’éteindre.
* Article paru dans l’édition du 06.06.09. LE MONDE | 05.06.09 | 14h19.
L’HISTOIRE ESPAGNOLE BOUSCULÉE PAR LE PRÉSIDENT AMÉRICAIN
Selon la presse espagnole, le président américain Barack Obama a péché par anachronisme, jeudi 4 juin au Caire, en prononçant les propos suivants : « L’islam a une fière tradition de tolérance. Nous le voyons dans l’histoire de l’Andalousie et de Cordoue pendant l’Inquisition. » Le président américain faisait allusion à la présence musulmane dans une grande partie de la péninsule Ibérique, de 711 à 1492, en particulier au Califat de Cordoue, marqué par la coexistence entre religions. L’origine de l’Inquisition catholique en Espagne ne remonte qu’à 1242, et elle ne devint un instrument de répression qu’à partir de 1478. - (AFP.)
Obama/voile : critiques de NPNS
AFP, 05/06/2009
L’association Ni Putes Ni Soumises estime aujourd’hui que les propos du président américain Barack Obama sur le voile islamique ont « mis à mal le combat de millions de femmes » qui luttent contre « la violence des fondamentalistes ».
Dans un communiqué, NPNS affirme qu’« en attaquant la laïcité et en défendant le port du voile, Obama part en croisade contre les femmes ».
« Le président Obama nous réduit ainsi toutes au silence », ajoute le mouvement qui « condamne les propos d’un autre temps du Président américain. La réconciliation dont il fait la promotion ne peut se faire sans les femmes. Réduire le dialogue des civilisations à un dialogue inter-religieux, c’est encore une fois instrumentaliser les femmes ».
A l’occasion de la venue en France samedi du président Obama, NPNS demande au président français Nicolas Sarkozy de « réaffirmer la laïcité comme vecteur d’émancipation des femmes ».
Au cours de son discours de jeudi au Caire, M. Obama a pris la défense du voile islamique, par trois fois, critiquant qu’un pays occidental « dicte les vêtements » qu’une musulmane « doit porter ».
Au nom de la laïcité, la France a banni en 2004 dans les écoles les signes religieux ostentatoires avec une loi interprétée comme ciblant surtout le voile islamique.
Voile islamique : Sarkozy « totalement d’accord » avec Obama
AP | 06.06.2009 | 15:36
Se disant « totalement d’accord » avec le président Barack Obama sur la question du voile islamique, Nicolas Sarkozy a affirmé samedi qu’« en France, toute jeune fille qui veut porter le voile peut le faire » hors des guichets de l’administration et si c’est « son choix », omettant toutefois de citer l’interdiction de tout signe religieux ostensible à l’école publique.
« En France, toute jeune fille qui veut porter le voile peut le faire », a déclaré le président français lors d’une conférence de presse commune avec Barack Obama à Caen, fixant toutefois « deux limites, parce que nous sommes un Etat laïc ».
Il a d’abord évoqué l’interdiction « aux guichets des administrations ». « Les fonctionnaires ne doivent pas avoir de signe visible de leur appartenance religieuse », a-t-il affirmé.
Deuxièmement, le port du voile pour les femmes musulmanes doit relever de « leur choix et pas d’une obligation qui leur soit faite par leur famille ou par leur entourage ». « On respecte la femme et on respecte son autonomie ».
Le président français n’a ainsi pas évoqué l’interdiction du voile et, plus généralement, de signe religieux distinctif à l’école publique prévue par la loi sur la laïcité de 2004.
Lors de son discours au Caire jeudi, Barack Obama s’était prononcé en faveur de la pratique libre de leur religion pour les musulmans du monde entier, y compris dans leur tenue vestimentaire.
Samedi, Nicolas Sarkozy, qui a créé le Conseil français du culte musulman (CFCM) quand il était ministre de l’Intérieur, s’est dit « totalement d’accord avec le discours du président Obama, y compris sur la question du voile ». « J’ai trouvé que le discours du président Obama était remarquable », a-t-il affirmé.
AP
Barack Obama en a-t-il trop fait ?
Dans son discours au monde musulman, tenu jeudi 4 juin au Caire, le président des Etats-Unis s’est volontiers référé aux textes saints, louant sans réserve les vertus inhérentes, selon lui, aux trois grandes religions monothéistes, colorant même son propos de formules mystiques dignes d’un responsable religieux.
« Son souci de respect pour l’islam et la religiosité de ses propos paraissent excessifs à des esprits français, empreints de laïcité », reconnaît le politologue Denis Lacorne, directeur de recherches au Ceri-Sciences Po, spécialiste des Etats-Unis. « Mais ce discours était adapté à son auditoire et il faut avoir en tête que les présidents américains incluent toujours des références religieuses dans leurs discours. »
Un passage au moins a pourtant particulièrement heurté les oreilles françaises : l’allusion à l’interdiction de porter le voile dans certains « pays occidentaux », en l’occurrence la France. Au chapitre de la liberté religieuse, M. Obama a ainsi exhorté les « pays occidentaux à éviter d’empêcher les musulmans d’exercer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple en dictant ce qu’une musulmane devrait porter ». « Je rejette l’opinion de certains selon laquelle une femme qui choisit de se couvrir la tête est d’une façon ou d’une autre moins égale », ajoutant toutefois : « J’ai la conviction qu’une femme que l’on prive d’éducation est privée d’égalité. »
Tout à sa volonté de démontrer la proximité entre les Etats-Unis et l’islam, M. Obama a aussi rappelé, sous les applaudissements, que « le gouvernement américain a recours aux tribunaux pour protéger le droit des femmes et des filles à porter le hidjab et pour punir ceux qui leur contesteraient ce droit ».
« Ce passage sur l’interdiction du voile est gênant, car il dénote une méconnaissance de la situation française. Les musulmanes peuvent y porter le voile, même si l’école est sanctuarisée et si l’espace de l’Etat est neutre par rapport aux religions », rappelle le chercheur Patrick Weil, qui fut membre de la commission Stasi à l’origine de la loi sur l’interdiction du port de signes religieux à l’école, adoptée en 2004.
« Il a surtout voulu évoquer ce que les musulmans, à travers le monde, ont compris de cette loi, à savoir qu’elle était discriminatoire envers l’islam », commente Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM). S’il reconnaît que la loi était destinée à « apaiser des tensions dans les établissements scolaires », M. Moussaoui estime que les propos de M. Obama « peuvent renforcer le sentiment qu’elle va à l’encontre de la liberté religieuse ».
« Alors que, dans l’ensemble de son discours, il se montre proche de »l’islam des Lumières« , sur le voile, M. Obama redevient américain et dogmatique, laissant entendre que le port du voile signifie la liberté », constate aussi l’anthropologue Malek Chebel. « Il n’a pas hésité à flatter la rue musulmane quitte à flatter les plus radicaux », regrette l’auteur d’un récent Dictionnaire du Coran (Fayard, 2009).
Mais cette instrumentalisation politique de la religion est calculée, selon M. Lacorne, qui voit aussi dans l’insistance de M. Obama à parler de « la tolérance et du droit des femmes » des critiques implicites à l’islam, tel qu’il est vécu dans certains pays, notamment en Arabie saoudite ou en Afghanistan.
Stéphanie Le Bars
* Article paru dans l’édition du 07.06.09. LE MONDE | 06.06.09 | 14h26.
Sarkozy se dit « d’accord » avec Obama sur la liberté du port du voile islamique
Caen, Envoyé spécial
« Je suis totalement d’accord avec le discours du président Obama, y compris sur la question du voile », a expliqué le président Sarkozy, samedi 6 juin à Caen. Dans un discours sur l’islam prononcé au Caire deux jours plus tôt, M. Obama avait dit qu’ « il importe que les pays occidentaux évitent d’empêcher les musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple en dictant ce qu’une musulmane devrait porter ». La déclaration avait été vue comme une attaque contre la législation de certains pays européens, notamment la loi française de 2004 qui a de facto mis fin au port du foulard dans les écoles publiques françaises.
« En France une jeune fille qui veut porter le voile peut le faire. C’est sa liberté », a assuré le président français, estimant que la France y mettait « deux limites, parce que nous sommes un Etat laïque ». « La première, c’est qu’au guichet des administrations, les fonctionnaires ne doivent pas avoir de signe visible de leur appartenance religieuse », a poursuivi le président. La « deuxième réserve » vise à s’assurer que la décision de porter le voile émane du « libre choix » des jeunes filles musulmanes et ne soit pas imposé « par leur famille ou par leur entourage ». Car la France est un pays « où l’on respecte la femme ». M. Sarkozy a affirmé avoir beaucoup fait lorsqu’il était ministre de l’intérieur « pour que les musulmans puissent vivre leur foi comme n’importe quelle religion ». Dans la soirée, l’entourage de Nicolas Sarkozy précise tout de même : « Il est bien évident que le président de la République n’est pas pour le port du voile à l’école. C’est ce qu’impose la loi. »
M. Sarkozy a qualifié le discours du Caire de « remarquable ». « Il y a bien longtemps que nous attendions que les Etats-Unis, première puissance du monde, prennent toutes leurs responsabilités pour éviter un choc des cultures entre l’Occident et l’Orient », a-t-il poursuivi.
Barack Obama a explicité ses intentions : « Ce que j’ai essayé de faire au Caire, c’est d’ouvrir une conversation dans les pays musulmans mais aussi dans les pays non musulmans… Nous ne devrions pas avoir deux normes sur la liberté d’expression religieuse, l’une pour les musulmans et l’autre pour les non musulmans ».
« LAISSEZ NOUS AU MOINS UNE LÉGÈRE DIVERGENCE »
Second point d’accroche, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE), qui s’est invitée dans le débat à la veille des élections européennes. « Sur l’objectif on est d’accord… C’est que la Turquie puisse jouer tout son rôle de passerelle entre l’orient et l’occident. Quand il y a une différence, c’est sur les modalités », a affirmé le président Français, réitérant sa proposition de créer un « espace économique et de sécurité commun » associant l’UE, la Turquie et la Russie. « Cela ne veut pas dire qu’il faut repousser la Turquie dans les ténèbres », a affirmé M. Sarkozy.
M. Obama a pris la précaution de rappeler que les Etats-Unis n’étaient pas membre de l’UE et qu’ils n’avaient pas à en « dicter les modalités » d’entrée. « L’adhésion de la Turquie à l’UE serait importante », a-t-il toutefois répété. « Laissez nous au moins une légère divergence », a argumenté M. Sarkozy, utilisant l’argument de ceux qui l’accusent de s’être aligné en tout point sur la politique étrangère des Etats-Unis.
Enfin, les deux présidents ont cherché à déminer les polémiques sur la brièveté de leurs entretiens, alors que la famille Obama passe le week-end à Paris. Nicolas Sarkozy a longtemps souhaité organiser une visite plus démonstrative à Paris et à l’Elysée, mais n’a pas obtenu l’accord du président américain. « Vous croyez qu’on n’a pas autre chose à faire que des belles photos en papier glacé, s’est agacé Nicolas Sarkozy. On est là pour travailler, pour obtenir des résultats ». Barack Oabama a répondu à un reproche qui lui a aussi été fait en Allemagne, qu’il a traversée en coup de vent. « J’adorerais passer une semaine à Paris, sortir avec ma femme dans de bons restaurants, naviguer sur la Seine et pique-niquer au jardin du Luxembourg. Tout cela, c’est fini. Pour l’instant », a expliqué M. Obama. « Les bons amis ne se soucient pas des symboles, des protocoles des conventions… Ce n’est pas nécessaire de passer beaucoup de temps à chaque fois ».
Arnaud Leparmentier
* LEMONDE.FR | 06.06.09 | 18h16 • Mis à jour le 06.06.09 | 20h15