Il semble qu’à l’intérieur de la gauche radicale et bien au-delà, l’accord
progresse sur cet objectif qu’est le retour à la liberté de circulation et
d’établissement.
Il est clair cependant qu’à supposer même que les conditions politiques
soient réunies, la réalisation de cet objectif ne se fera pas du jour au
lendemain. Elle suppose en effet quatre démarches préparatoires :
– un important effort d’explication auprès d’une population abreuvée
depuis des années de discours xénophobes ;
– l’élaboration de nombreuses politiques d’accompagnement dans des
domaines comme la santé, le logement, l’école, etc., de façon que soit
mise en œuvre une véritable politique d’accueil ;
– une concertation avec nos partenaires européens ;
– la transformation en profondeur de notre coopération avec les pays
d’origine des migrants.
Le rappel de ces démarches ne doit pas servir de prétexte à un
ajournement indéfini de la décision, mais il nous invite à définir des
objectifs intermédiaires qui pourraient être réalisés immédiatement, et
qui constitueraient une avancée décisive vers la liberté de circulation
et d’établissement.
Je proposerais pour ma part une mesure pour apurer le passé et sept
mesures pour organiser l’avenir :
– Pour le passé, régularisation de tous les sans papiers avec carte de dix
ans, et amnistie de toutes les condamnations pour séjour irrégulier et
faits connexes (refus d’embarquement, travail illégal, etc.).
– Pour l’avenir :
1. Dépénalisation du séjour irrégulier, par abrogation de l’article 19 de
l’ordonnance du 2/11/1945.
2. Suppression des visas de court séjour, et motivation individualisée de
tous les refus de visas de long séjour. Actuellement le refus de visa est
une décision régalienne dont l’Etat n’a pas à répondre : le champ est donc
ouvert à l’opacité et à l’arbitraire. La motivation des refus permettrait
de saisir la juridiction administrative.
3. Transfert des toutes les décisions concernant le séjour à une
Commission de séjour dont la composition serait modifiée et les pouvoirs
étendus. La Commission de séjour devrait être saisie de droit, et non plus
à la seule initiative du préfet comme actuellement ; son avis devrait
être, non plus consultatif, mais délibératif ; elle devrait s’ouvrir aux
représentants des administrations sociales ; enfin, devant elle, la
procédure serait publique et contradictoire ; l’intéressé(e) serait donc
en mesure de défendre son dossier en se faisant au besoin assister.
4. Attribution d’un caractère suspensif à tous les recours. Il est clair
en effet qu’un recours non suspensif est sans conséquence : lorsque la
décision est exécutée, il est le plus souvent impossible de revenir sur
elle, même si le recours est accepté.
En ce qui regarde les recours gracieux et hiérarchiques, il conviendrait
qu’ils soient eux aussi suspensifs et qu’ils fassent l’objet d’une
réponse individualisée, tenant expressément compte des particularités du
cas, ce qui impliquerait l’abrogation de la règle du refus implicite.
5. Abrogation des conditions restrictives imposées au regroupement
familial. Le droit de vivre en famille est un droit naturel, reconnu aussi
bien par la Constitution française que par la Convention Européenne des
Droits de l’Homme (art.8) et la Déclaration Universelle des Droits
(art.16). Limiter ce droit pour les seuls étrangers est donc une mesure
discriminatoire.
6. Abolition de la rétention administrative, fermeture des centres de
rétention et des zones d’attente, auxquelles devrait être substituée, en
cas de besoin, l’assignation à résidence.
Il est clair en effet que, sous l’appellation euphémismée de rétention,
c’est l’internement administratif qui est aujourd’hui pratiqué en France
à grande échelle, comme il l’était sous le régime de Vichy ou pendant la
guerre d’Algérie. Du fait de la multiplication des mesures d’internement,
le contrôle judiciaire de ces mesures devient une formalité vide et
illusoire ; dès lors l’internement administratif est de toute évidence
incompatible avec l’état de droit.
7. Unification des titres de séjour, par l’attribution à tous de la carte
de résident. Il est clair en effet que la carte d’un an renouvelable
maintient ses détenteurs dans la précarité : avec elle, comment signer un
bail de location de trois ans, comment obtenir un CDI, comment obtenir un
prêt ? seule la carte de dix ans permet une intégration effective.
On voit l’esprit qui inspire ces sept mesures : faire reculer l’opacité
et l’arbitraire, rendre effectives les garanties données aux droits des
étrangers, étendre le champ du droit commun en restreignant celui des
mesures spécifiques, toujours discriminatoires par certains cotés.
Il se trouve, en même temps, que ces mesures constitueraient un pas
décisif vers la liberté de circulation et d’établissement, dans la mesure
où elles paralyseraient largement le fonctionnement aveugle et mécanique
de la machine répressive.
Bien entendu, il n’y a pas là une coïncidence : c’est parce que la
politique actuelle de fermeture est une atteinte aux droits que tout
progrès des droits entraîne la paralysie de cette politique.
L’application des sept mesures évoquées aurait en outre une grande vertu
pédagogique : elle permettrait à la population de s’habituer à la liberté
de circulation avant que celle-ci soit officiellement proclamée.
Autrement dit, elle introduirait la chose avant de lui donner son nom :
or c’est bien souvent le nom, beaucoup plus que la chose, qui suscite les
appréhension et les fantasmes.
Emmanuel TERRAY
Pour le Cmil