La levée par le régime militaire birman du huis clos au procès de l’opposante et lauréate, en 1991, du Prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, a fait long feu. Les généraux birmans ont indiqué, mercredi 20 mai, que l’accès aux audiences serait, dès jeudi, de nouveau interdit à tout public.
Mercredi, sous la pression internationale, la junte birmane, dirigée par le généralissime Than Shwe, avait ouvert les portes du procès à trente diplomates et à dix journalistes.
Mme Suu Kyi, privée de liberté pendant treize des dix-neuf dernières années, est jugée dans des locaux de la prison d’Insein, au nord de Rangoun, la capitale. Elle aurait, selon le régime, enfreint les règles de son assignation à résidence en hébergeant, début mai, un Américain, John Yettaw, un mormon à la santé mentale fragile, à en croire les organisations non gouvernementales. Celui-ci avait gagné à la nage la demeure de l’opposante, située en bordure d’un lac.
L’opposante risque cinq ans de prison en cas de condamnation, ce qui l’exclurait du paysage politique lors des élections que la junte entend organiser en 2010. Sa période d’assignation à résidence expirait le 27 mai.
Décrite par ses visiteurs comme « souriante et en bonne forme », vêtue d’une tenue traditionnelle rose et rouge, elle a remercié les diplomates pour « leur soutien ». « Je ne peux vous rencontrer un par un, mais j’espère tous vous rencontrer dans des jours meilleurs », a-t-elle déclaré.
Selon l’un des diplomates occidentaux présents à l’audience, mercredi, aucun interprète n’a été autorisé à les accompagner dans la salle de la prison aménagée pour le procès. Après avoir transmis à l’intéressée l’expression du soutien de la communauté internationale, ils ont pu assister à l’audition d’un témoin de l’accusation, un officier de police qui avait perquisitionné les affaires de M. Yettaw.
Mme Suu Kyi a par ailleurs pu s’entretenir avec des représentants thaïlandais, singapouriens et russes. La Thaïlande préside actuellement l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean), dont fait partie la Birmanie. La Russie assure la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Asean avait jusqu’ici respecté une doctrine de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres. Elle disait vouloir traiter la junte birmane par la voie de « l’engagement constructif » et privilégier le dialogue plutôt que les sanctions.
Cette fois-ci, l’Asean semble avoir infléchi cette position. Dans un communiqué publié mardi l’organisation sud-asiatique avait indiqué « sa grave préoccupation » sur le sort réservé à Mme Suu Kyi et sur « sa santé fragile ».
Le même jour, l’Asean rappelait que « les yeux de la communauté internationale étant rivés en ce moment sur la Birmanie l’honneur et la crédibilité du gouvernement (birman) sont en jeu ». Selon un diplomate occidental à Rangoun, seule cette pression aurait convaincu le régime birman de lever, l’espace d’une journée, le huis clos du procès.
Pour autant, le chef du gouvernement thaïlandais, Abhisit Vejjajiva, a exclu, mercredi, que l’Asean se joigne aux Etats-Unis et à l’Union européenne pour imposer des sanctions contre la Birmanie.
La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton a jugé, mercredi, « scandaleux » le procès intenté à l’opposante birmane et assuré que les Etats-Unis tentaient de convaincre, notamment, l’Inde et la Chine « de faire pression » sur la junte de Rangoun pour « libérer » Aung San Suu Kyi.
Pour leur part, les Européens s’étaient réunis, lundi, à Bruxelles pour réfléchir à de nouvelles sanctions économiques après celles décidées en 1996 et 2007 contre la Birmanie. Ils étaient apparus hésitants et avaient préféré, dans un premier temps, recourir à leur tour à l’intervention de la Chine et l’Inde pour faire pression sur la junte.
Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a indiqué, mercredi, que l’Union européenne, d’une part, et la France, d’autre part, n’avaient pas abandonné l’idée de sanctionner la Birmanie. « Le seul moyen de pression économique sérieux ce serait évidemment le groupe français Total (pétrolier et gazier), car pour le reste, il n’y a pas de commerce entre l’Europe et ce pays », a précisé M. Kouchner.
Il a ajouté qu’une « attitude ferme sur Total », qui sera, selon lui, discutée dans les prochains jours « au sommet de l’Etat », voulait dire « qu’on coupe le gaz à une grande partie de la population birmane et aussi à la ville de Bangkok parce que ce gaz va en Thaïlande ».
Jacques Follorou et Elise Vincent
* Article paru dans le Monde, édition du 22.05.09. LE MONDE | 21.05.09 | 14h42.
Ouverture à Rangoun du procès d’Aung San Suu Kyi
Les mesures de sécurité ont été renforcées lundi matin autour de la prison birmane d’Insein, où l’opposante Aung San Suu Kyi doit être jugée pour avoir laissé un étranger séjourner chez elle en violation des règles de son assignation à résidence.
Les forces de sécurité ont érigé des barrières et des barbelés pour bloquer tous les accès aux rues menant à cette prison située au nord de Rangoun. Quelques dizaines de sympathisants de l’opposition étaient rassemblés à environ 300 mètres de l’établissement pénitentiaire autour duquel des policiers armés se sont également déployés.
Jeudi 14 mai, Mme Suu Kyi avait été transférée de sa résidence vers le complexe d’Insein, où elle a été inculpée en liaison avec l’intrusion d’un mormon américain, John Yettaw, dans la demeure où elle était maintenue en quasi-isolement depuis 2003. Outre Mme Suu Kyi, ses deux dames de compagnie, Khin Khin Win et Win Ma Ma, ainsi que M. Yettaw, doivent commencer à être jugés lundi.
Selon les autorités, le ressortissant américain a réussi à gagner à la nage la maison de Mme Suu Kyi, située au bord d’un lac, et y a séjourné du 3 au 5 mai, avec la complicité de l’opposante et de ses deux dames de compagnie. Mme Suu Kyi clamera son innocence et affirmera qu’elle « n’a commis aucun crime », a déclaré lundi à l’AFP son avocat, Kyi Win. « Elle a eu pitié de cet homme car il avait des crampes aux jambes après avoir traversé le lac », a-t-il dit, ajoutant : « C’est la raison pour laquelle elle l’a autorisé à rester. »
Mme Suu Kyi, lauréate du Nobel de la paix, âgée de 63 ans, a été privée de liberté pendant la majeure partie des dix-neuf dernières années. Elle est passible de cinq ans de prison si elle est condamnée pour l’affaire Yettaw, ce qui l’exclurait du paysage politique pendant les élections controversées que la junte entend organiser en 2010. La période d’assignation à résidence de l’opposante expirait théoriquement le 27 mai.
* LEMONDE.FR avec AFP | 18.05.09 | 07h34 • Mis à jour le 18.05.09 | 10h18.
L’UE POURRAIT RENFORCER SES SANCTIONS CONTRE LA JUNTE
Les Européens pourraient renforcer leurs sanctions contre le régime birman, du fait de la nouvelle arrestation de l’opposante Aung San Suu Kyi, a indiqué la présidence tchèque de l’UE.
« Nous sommes prêts à aller de l’avant » en renforçant les sanctions contre le régime, a indiqué le ministre des affaires étrangères tchèques, Jan Kohout, à son arrivée à une réunion avec ses homologues des 27 pays de l’UE à Bruxelles.
« Nous allons discuter de ce problème aujourd’hui », a ajouté le diplomate en chef de l’UE, Javier Solana. « Ce n’est pas le moment de diminuer les sanctions, mais de les renforcer », a-t-il ajouté.
Quant à savoir quelles sanctions l’UE pourrait ajouter aux mesures déjà en place, ni M. Solana ni M. Kohout ne l’ont précisé. – (Avec AFP.)
« PROVOCATION SCANDALEUSE » POUR KOUCHNER
Le procès de l’opposante birmane est une « provocation scandaleuse » de la junte au pouvoir et ne doit déboucher que sur une « sanction théorique », a prévenu lundi Bernard Kouchner.
(- avec AFP)
Chronologie : Aung San Suu Kyi, la recluse de Rangoun
La fille du héros de l’indépendance birmane
Née le 19 juin 1945, Aung San Suu Kyi est la fille du héros de l’indépendance birmane Aung San, assassiné quelques jours avant la proclamation officielle de l’événement, en 1947. Elle a été élevée dans les meilleures écoles de Rangoun avant de poursuivre ses études en Inde – où sa mère avait été nommée ambassadeur en 1960 – puis à Oxford. Assistante à l’Ecole des études orientales de Londres, elle épouse Michael Aris en 1972, un Britannique universitaire spécialiste du Tibet et du bouddhisme, avec qui elle a eu deux enfants.
1988-1989 : le retour en Birmanie, création de la LND, assignation à résidence
Elle revient en Birmanie en avril 1988 au chevet de sa mère malade. Après l’écrasement d’une révolte menée par des étudiants (3 000 morts), elle s’exprime pour la première fois en public en août à la pagode Shwedagon de Rangoun avant de fonder la Ligue nationale pour la démocratie (LND), un mois plus tard, avec d’autres groupes d’opposants.
A la fin juillet 1989, elle est assignée pour la première fois à résidence. Elle entreprend aussitôt une grève de la faim qu’elle interrompt au bout de douze jours, après avoir reçu des autorités l’assurance que les militants de son parti détenus par la police ne sont pas torturés.
1990 : la LND remporte les legislatives
Le 27 mai, la Birmanie vit une journée déroutante : des élections libres et honnêtes, ainsi que l’avait annoncé la junte militaire au pouvoir depuis septembre 1988. La LND remporte 82 % des suffrages et 392 sur 485 sièges à pourvoir. Les militaires refusent de reconnaître les résultats.
1991 : prix Nobel de la paix
Le prix Nobel de la paix 1991 est attribué, lundi 14 octobre, à Aung San Suu Kyi, « pour son engagement en faveur de la démocratie et des droits de l’homme ». La junte l’autorise à quitter le pays à condition qu’elle n’y revienne plus et renonce à la politique. Mme Suu Kyi pose quatre conditions à son départ : la formation d’un gouvernement civil ; la possibilité d’expliquer librement son départ pendant cinq minutes à la télévision ; l’autorisation de se rendre à pied de son domicile à l’aéroport ; enfin, la libération des détenus politiques. La junte refusant ces conditions, Aung San Suu Kyi décide de rester en Birmanie.
1992 : la junte feint l’ouverture
Le nouveau chef du conseil militaire de Rangoun, le général Than Shwe, annonce que la nouvelle junte ouvrira dans les deux mois des discussions avec les chefs de l’opposition. L’opposante est autorisée à revoir sa famille. En vigueur dans plusieurs régions depuis le coup d’Etat sanglant de 1988, la loi martiale a été levée le 26 septembre.
1993-1994 : prolongation de son assignation à domicile
Aung San Suu Kyi reçoit la notification de l’extension de sa détention à domicile pour une cinquième année consécutive. Les appels en faveur de sa libération ne changent rien au statut de la prix Nobel. La junte peut détenir sans jugement tout individu pendant cinq ans. Les seules « faveurs » dont Mme Suu Kyi a bénéficié cette année ont été une visite de son époux accompagné de l’un de ses deux fils et un jeu de l’Encyclopaedia Britannica.
La junte annonce que la dissidente ne sera pas libérée avant 1995 au plus tôt. Cette mise au point intervient au lendemain d’une rencontre entre Aung San Suu Kyi et un parlementaire américain, qui a pu s’entretenir avec elle en compagnie d’un représentant des Nations unies et d’un journaliste du New York Times.
1995-1996 : Aung San Suu Kyi libérée ... puis de nouveau assignée à résidence
La junte militaire birmane annonce le 10 juillet, à la surprise de tous les observateurs, la libération « sans condition » d’Aung San Suu Kyi, aux arrêts depuis près de six ans. Dans une interview au New York Times, elle évoque l’hypothèse de la formation, à Rangoun, d’un gouvernement de transition dans lequel les militaires partageraient le pouvoir avec des civils.
La Ligue nationale pour la démocratie boycotte les travaux de la Convention nationale, chargée par le pouvoir militaire de rédiger une Constitution, tant que les autorités refuseront l’ouverture d’un « réel dialogue politique ».
Depuis sa libération, elle a pris l’habitude de s’adresser, chaque fin de semaine, à une petite foule venue l’écouter devant les grilles de sa résidence. Le pouvoir entreprend à nouveau de l’isoler : Aung San Suu Kyi est virtuellement assignée à résidence. Les barrages, devant son domicile, ne laissent passer que de très rares visiteurs munis d’une autorisation. Elle ne sort que sous la « protection » d’une escorte de police.
1997-2001 : bras de fer avec la junte
1997 : La junte procède à des ravalements de façade qui soulignent avant tout sa volonté de s’accrocher au pouvoir : Aung San Suu Kyi peut célébrer à son domicile, le 24 novembre, la fête nationale birmane en présence de diplomates étrangers et de quelque trois cents de ses partisans.
1998 : Aung San Suu Kyi défie de nouveau la junte birmane par une série d’escapades où elle tente de se rendre en province. L’anniversaire du soulèvement de 1988 ranime la tension : les forces de l’ordre bloquent l’accès à son domicile. Alvaro de Soto, envoyé spécial de l’ONU, la rencontre à deux reprises à son domicile de Rangoun.
1999 : son époux, Michael Aris, universitaire spécialiste du Tibet et du bouddhisme, meurt à 53 ans d’un cancer en Grande-Bretagne. La junte lui a refusé un visa pour une dernière visite à sa femme. Elle se refuse à désavouer l’appel au « soulèvement général » lancé par l’opposition en exil.
2000 : en septembre, Aung San Suu Kyi est de nouveau assignée à résidence après avoir tenté, sans succès, de quitter la capitale pour rencontrer des militants de son parti en province. Ouverture de discussions historiques de « réconciliation nationale » avec la junte. Le processus est brusquement interrompu plus tard par le numéro un du régime, le généralissime Than Shwe.
2002-2007 : Isolement et révolte
2002 : assignée à résidence depuis septembre 2000, Aung San Suu Kyi est libérée. Elle se dit prête à aider la junte au pouvoir dans la lutte contre la pauvreté.
2003 : l’opposante est arrêtée et emprisonnée en mai après l’attaque de son convoi par des miliciens pro-junte. En septembre, elle est transférée dans sa résidence où elle a été maintenue en quasi-isolement.
2004 : la junte hésite à libérer l’opposante. En revanche, elle relâche près de 15 000 détenus, parmi lesquels seuls 60 sont des détenus politiques. Aung San Suu Kyi est complètement isolée. Son assignation à résidence est prolongée d’un an et la junte réduit de moitié la garde de fidèles dont elle disposait. Son médecin n’est plus autorisé à lui rendre visite qu’une fois par semaine, contre trois auparavant. Son téléphone est coupé depuis sa dernière arrestation, en mai 2003.
2005 : la junte libère quelques centaines de prisonniers politiques et transfère le gouvernement du pays de Rangoun vers la ville de Pyinmana (Naypyidaw), plus au nord, traduction de la paranoïa du régime.
2007 : la junte multiplie les arrestations, l’assignation à résidence est prorogée. La hausse des prix de l’essence avive la contestation. A Rangoun, les moines bouddhistes défient le pouvoir en manifestant dans les rues. L’opposante rencontre des cadres de son parti. La « révolte safran » des moines éveille un espoir dans le pays. Mais la répression terrible qui s’ensuit met fin au mouvement.
2008 : Aung San Suu Kyi interdite d’élection
La junte birmane lui interdit de facto de se présenter à toute future élection dans son pays. La Ligue nationale pour la démocratie récuse le projet de Constitution soumis à référendum par la junte au pouvoir en vue d’une transformation du régime militaire. Malgré le passage meurtrier du cyclone Nargis, qui fait plus de 130 000 morts et disparus, la dictature procède au référendum pour approuver la nouvelle constition.
Des opposants birmans sont interpellés à l’occasion du vingtième anniversaire du soulèvement de 1988. Un an après la répression du mouvement de protestation emmené par les moines bouddhistes, les premiers prisonniers politiques sont libérés.
2009 : procès
Le procès à huis clos de la dirigeante de l’opposition Aung San Suu Kyi s’ouvre, lundi 18 mai, dans une prison de Rangoun. Elle est jugée pour avoir laissé un ressortissant américain séjourner chez elle en violation des restrictions liées à son assignation à résidence. Elle encourt cinq ans de prison, ce qui l’exclurait du paysage politique pendant les élections controversées que la junte entend organiser en 2010. Sa période d’assignation à résidence expirait théoriquement le 27 mai.
* LEMONDE.FR | 18.05.09 | 12h47 • Mis à jour le 19.05.09 | 08h28