Après six semaines de grève, le conflit recouvre maintenant des enjeux qui débordent largement le cadre des industries électriques et gazières. Si les salariés d’EDF et GDF gagnent sur leurs revendications, comme l’ont fait ceux des terminaux méthaniers, des stockages souterrains et du transport de gaz, ce sera le début de la transformation d’un rapport de force dans cette branche mais également au delà.
Voilà la raison de la résistance patronale et de la ligne éditoriale de la presse aux ordres, qui oscille entre omerta et campagne haineuse envers les grévistes.
Mais ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est la pugnacité et la détermination des salariés. Ceux-ci s’organisent pour tenir dans la durée et affichent leur refus de reprendre le travail. « Après tant de semaines de grèves, nous ne pouvons plus reculer », voila le leitmotiv dans les assemblées générales.
Coupures ciblées, rétablissement du courant à des usagers en défaut de paiement, passages en heures creuses, actions de popularisation, l’activité des grévistes ne manque pas. Par le travail des équipes syndicales de terrain (CGT, FO, SUD), le mouvement s’est étendu à la production thermique ainsi que dans plusieurs centrales nucléaires (Chinon, Dampierre, Bugey, Blayais, Cruas, Civaux, Chooz).
Les manœuvres et les intimidations des directions ne manquent pas, avec un encadrement provocateur, en particulier dans le nucléaire, qui n’hésite pas à aller au contact des piquets de grève. Par dizaines, des grévistes présents à ces piquets ont reçu des lettres pour entretien préalable avant sanction (lire encadré).
La question de la stratégie des fédérations syndicales est posée. Comment comprendre, qu’au bout de six semaines de grève, avec une tentative évidente de laisser le mouvement pourrir, avec la multiplication des menaces de répression envers ses propres militants, celles-ci aient besoin d’attendre une semaine entière pour se rencontrer et proposer de nouvelles mobilisations ? Il y a urgence à appeler tous les secteurs de la branche à rentrer dans la grève reconductible. Il y a urgence à appeler tous les électriciens et gaziers à converger sur Paris afin de s’y faire entendre.
C’est ce qu’ont compris de nombreuses assemblées du personnel qui ont voté des appels à la mobilisation de tous leurs collègues comme dans la distribution à Caen, dans le nucléaire à Dampierre et à Chinon. Ce mouvement historique nous réserve encore bien des surprises et ceux qui seraient tentés de le brader pour une poignée de cacahuètes s’en mordraient les doigts.
Dans tous les cas il mérite une solidarité sans faille de tous militants du NPA.
Paco Lélec
* Paru dans « Tout est à nous » n° 7 du 7 mai 2009.
Une grève massive et radicale
Interview : Alain Poret est élu CGT à la centrale thermique du Havre.
Comment le mouvement a démarré à la centrale ?
Deux choses ont mis le feu aux poudres. D’une part, l’annonce des résultats de l’entreprise pour 2009 et l’augmentation du salaire des PDG (900 000 euros pour celui d’EDF et 3,2 millions pour celui de GDF Suez), et, d’autre part, l’annonce quasi-simultanée de nos misérables 0,3% d’augmentation pour cette année. Du coup, le 20 avril, les salariés ont refusé le redémarrage de deux tranches de la centrale, autour de la revendication de 5% d’augmentation, d’une prime de 1500 euros et du relèvement des taux de promotion. Le même jour, ils étaient rejoints par les salariés de la manutention ce qui a provoqué l’arrêt de la dernière tranche. Depuis, la centrale est totalement arrêtée et, aujourd’hui, c’est la même situation dans huit des dix centrales charbon que compte le parc EDF.
Comment la direction a-t-elle réagit ?
Les directions ont riposté, tant à la distribution qu’à la production, par la remise de lettres de menace de sanction. Du coup, le 28 avril, à la suite d’une AG commune des deux secteurs, une centaine de salariés se sont « invités » dans le bureau du directeur, franchissant allègrement les barrières, pour exiger le retrait immédiat des menaces.
L’action a conduit à l’ouverture de négociations locales. Les thèmes du cahier de revendications abordés portent sur la promotion des agents de manutention et des techniciens, la réorganisation des services, la mise en place d’une crèche interentreprises et le logement des jeunes salariés.
Quelle est l’attitude des fédérations syndicales ?
Nationalement, les cinq fédérations agissent dans l’unité, même si le poids de la CGT est évidemment décisif dans le secteur. Le principal problème que nous rencontrons est le manque d’informations sur ce qui se passe sur les différents sites, et, bien sûr, le manque d’impulsion, de coordination et d’une stratégie pour le mouvement. De ce point de vue, l’AG commune de la production et de la distribution du Havre propose une journée nationale d’action avec montée à Paris. Pourquoi pas le 20 mai, jour de l’AG des actionnaires à Paris ?
Propos recueillis par Pierre Jeanne
* Paru dans « Tout est à nous » n° 7 du 7 mai 2009.
EDF GDF : étendre la grève !
La grève des agents des réseaux de distribution ERDF/GRDF se poursuit. Nous avons rencontré Patrice Perichou, militant syndical CGT EDF/GDF de Paris.
En quoi le mouvement à ERDF/GRDF est-il inédit ?
La lutte chez nous est partie suite à la victoire des méthaniers. Tout de suite, les AG ont dépassé les fédérations et ont entraîné les syndicats dans l’action. Les salariés, en particulier les plus jeunes, ont voulu des formes d’action visibles et fortes. Les AG ont donc décidé de procéder à des coupures de gaz, ce qui ne s’était pas vu depuis 40 ans. Elles ont également organisé des coupures ciblées d’électricité. Ensuite, ce qui a prévalu, ce sont les mises en heures creuses, c’est-à-dire au tarif réduit. Dans certains endroits, les hôpitaux ont été déconnectés du point de vue tarifaire pendant une journée, ce qui veut dire que ces services publics n’ont pas payé d’énergie.
Les grévistes et leurs sections syndicales ont mis en place des piquets de grève avec blocage et parfois occupation des locaux. Sur la région parisienne, des AG se sont tenues par services, pour se regrouper ensuite en AG centrales. Ce sont les AG centrales qui ont décidé des actions à mener.
Où en sont les négociations ?
Les directions ont été surprises par la nature et l’ampleur du mouvement. Après avoir fait semblant de négocier, elles ont joué le pourrissement en tentant d’isoler les grévistes pour mieux les réprimer. On est passé des menaces aux sanctions lourdes, au matraquage par les flics devant le siège social de la boîte puis à la rafle de 100 grévistes, à la mairie de Paris, à la demande de celle-ci. Les militants les plus en vue ont subi une surveillance permanente des RG.
Nous demandons 300 euros d’augmentation - ou deux niveaux de rémunération, soit 5% -, l’arrêt de l’externalisation de nos activités ainsi qu’un plan d’embauche massif.
Aujourd’hui, les avancées sont minimes. Le danger de ces négociations est qu’elles se font entité par entité, au niveau de la branche mais également au niveau des filiales d’EDF-GDF, des entreprises, et parfois au sein des grandes directions comme la production. Alors qu’il s’agit de traiter de revendications communes. Les directions font du saucissonnage pour diviser en fonction des rapports de force. Les fédérations n’ont pas l’air de le comprendre.
Tout cela pose la question de la démocratie du mouvement et du contrôle des négociations par les salariés en lutte. Dans un secteur hypercentralisé, la tradition syndicale est elle-même hypercentralisée. C’est au personnel en lutte de décider et de voter sur la réponse à apporter aux propositions des directions.
Comment sortir vainqueur de cette lutte ?
Dans un contexte général de développement des luttes et de radicalisation, que nous sentons fortement dans nos établissements, la solution n’est pas de rogner sur nos revendications, comme l’interfédérale (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC) est tentée de le faire, mais d’étendre la grève, en particulier au RTE (transport électrique) et à la production. Les fédérations ne jouent pas le rôle moteur qu’elles devraient jouer et se contentent d’épouser le mouvement.
Quels sont les premiers enseignements de la grève ?
Celles et ceux qui sont partis dans la bagarre, en particulier les jeunes, l’ont fait en s’affranchissant des logiques des appareils fédéraux. Ils sont partis en grève sans attendre d’ordres venus d’en haut, en sortant de la logique des grèves de 24 h sans lendemain et en cherchant l’efficacité. Ces pratiques-là vont rester.
Propos recueillis par notre correspondant.
* Paru dans « Tout est à nous » n° 6 du 30 avril 2009.
EDF-GDF-SUEZ : une grève venue de loin
C’est une grève, comme on n’en avait pas connu depuis de très longues années, qui se déroule aujourd’hui dans les Industries électriques et gazières (IEG), pour l’augmentation des salaires, contre l’externalisation des activités et pour un plan d’embauche massif.
Nous n’en connaissons pas l’issue, au moment où nous écrivons ces lignes, mais elle est significative d’une entrée dans une autre ère de l’histoire du mouvement social au sein des IEG.
Elle signifie tout d’abord que le poids de la défaite de la privatisation d’EDF et de GDF est dépassé, pour des secteurs importants de nos entreprises, en particulier les jeunes salariés. Et, élément totalement nouveau, que des mouvements profonds peuvent échapper au contrôle des principales fédérations syndicales.
Des salaires en baisse, des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, une perte de sens au travail avec la fin du service public remplacé par la course au profit, l’externalisation de secteurs d’activité toujours plus importants faisant disparaître de nombreux métiers. Ajoutez à cela un management de plus en plus autoritaire, et vous avez une photographie précise de ce que vivent les salariés d’EDF et GDF-Suez aujourd’hui.
Parti d’un site particulièrement combatif de stockages souterrains de gaz avec une présence égale de militants CGT et SUD sur la base de revendications salariales, cette grève reconductible s’est étendue comme une traînée de poudre après l’annonce du montant des stock-options pour Mestrallet et Cirelli, les patrons de GDF-Suez. Les terminaux méthaniers, puis le transport de gaz sont tout de suite rentrés dans cette grève reconductible.
Les patrons de GDF-Suez ont rapidement accordé 5% d’augmentation salariale et 1500 euros de prime exceptionnelle pour tous, et renoncé à leurs stock-options. Cette victoire a donné des ailes à tous ceux qui n’en pouvaient plus des sempiternelles grèves de 24 heures imposées par les principales fédérations. La grève a ainsi démarré quasi conjointement dans la région Paca, avec des structures CGT combatives, et dans la région parisienne, à l’initiative de SUD-Energie dans la distribution gaz et électricité. Dépassant les fédérations et leurs hésitations, certaines équipes syndicales SUD et CGT ont déployé un immense travail d’information et de conviction pour faire rentrer leurs collègues dans le mouvement. Celui-ci a été payant.
Après avoir joué le pourrissement et l’isolement, les directions des IEG ont bien été obligées de constater l’extension du mouvement de grève. Elles se sont donc assises à la table des négociations. Les premières propositions, si elles sont loin d’être convaincantes, n’en montrent pas moins la possibilité de gagner des choses importantes.
Pour contraindre les directions à céder, il reste des munitions essentielles pour les salariés. Là où les directions veulent diviser en organisant des négociations établissement par établissement, il est urgent que les secteurs influents comme la production (nucléaire, thermique, hydraulique) et le transport d’électricité (RTE) entrent dans la grève reconductible. Encore une fois, les équipes syndicales les plus combatives s’y emploient.
Leur tâche serait grandement facilitée si les fédérations syndicales, en particulier la CGT, lançaient un appel clair en ce sens.
Le 14 avril.