Non, le bestiaire parisien ne se résume pas aux pigeons, aux rats et aux blattes, et sa flore aux platanes et aux marronniers. « La biodiversité est présente partout à Paris, quand on la cherche, quand on sait la voir », dit Philippe Jacob, responsable du pôle biodiversité de la capitale. Bien sûr, elle est moins riche que dans beaucoup d’autres régions. Mais dans ses bois, ses parcs, et ses friches, sur ses toits et ses balcons, au bord de ses voies d’eau, du périphérique, ou de l’ancienne petite ceinture, Paris abrite 2 000 espèces animales, et autant d’espèces végétales. Plus étonnant, tandis que la biodiversité diminue dans les campagnes, elle semble prospérer sur le pavé.
« Il y a un enrichissement, explique M. Jacob. On voit à nouveau des espèces qui avaient disparu dans les années 1960. » Les orchidées, par exemple, abondent. Le héron, le pic vert, l’épervier d’Europe, le martin-pêcheur ont refait leur nid à Paris. L’Argus bleu - un papillon protégé en Ile-de-France - les libellules, sauterelles, grillons, tritons, orvets, réapparaissent. Des renards font quelques incursions.
On aperçoit à nouveau des hérissons « souvent écrasés hélas, car leurs chances de survie sur la chaussée sont minces », précise M. Jacob. Dans la Seine une trentaine d’espèces de poissons sont recensées (dix au début des années 1980). « Le plus beau symbole de cette embellie est la présence de neuf espèces de chauves-souris, un animal menacé en France », poursuit M. Jacob.
Le même phénomène est observé dans d’autres villes françaises et européennes. Il est confirmé par les travaux du Muséum national d’histoire naturelle. Les populations d’oiseaux communs diminuent dans les milieux agricoles et forestiers, tandis qu’elles augmentent dans les milieux bâtis. « La campagne est de moins en moins accueillante pour de nombreuses espèces, du fait de la destruction des haies et des friches. En parallèle, la ville devient plus verte », analyse Philippe Clergeau, spécialiste de l’écologie urbaine au Muséum.
Dans les villes, tout a changé en quelques années. Jean-Charles Noudell, responsable des espaces verts du 3e arrondissement de Paris, est jardinier depuis trente ans. « Avant, on traitait aux produits chimiques à outrance, pour avoir des plantes et des fleurs bien brillantes, se souvient-il. Avec notre équipement, on avait l’air de cosmonautes, les gens nous regardaient avec des yeux ronds. Aujourd’hui, on revient à ce que faisaient nos anciens, comme certains agriculteurs. »
Dans le square du Temple, son QG, il énumère. Les insectes ? « On les laisse vivre. » Le désherbage ? Les mauvaises herbes sont étouffées sous un tapis de débris végétaux, ce qui permet d’économiser sur l’arrosage. Quand elles persistent, elles sont arrachées à la main ou détruites au brûleur. Les maladies comme l’oïdium ? « On traite avec du lait dilué dans de l’eau. » « De toute façon, si une plante est en bonne santé, elle n’est pas attaquée », affirme le jardinier. « On revient à la base du métier, le bon végétal au bon endroit », résume Barbara Lefort, à la direction des espaces verts.
Peu à peu, les parcs changent de visage. Les arbustes persistants et sombres sont remplacés par des prunelliers, aubépines, noisetiers, ronces ou houx, dont les graines attirent les oiseaux. De petites prairies semées de bleuets, coquelicots et tournesols, prisées par les abeilles, remplacent les pelouses. Certains espaces sont même laissés en friche. Les résultats ne tardent pas. « Dès que vous gérez écologiquement, vous avez plein d’insectes, d’oiseaux, la vie revient tout de suite, dès qu’on la respecte », affirme M. Noudell. « Même des jardins très élaborés, comme celui du Musée Carnavalet, sont traités de cette façon, poursuit-il. Tout le monde devrait faire pareil chez soi. Les jardins des particuliers sont beaucoup trop chargés en produits chimiques. »
Paris fait partie des villes françaises les plus volontaristes, avec Marseille, Angers et Nantes. « La gestion plus écologique a commencé en 2001, rappelle Fabienne Giboudeaux, adjointe (Verts) chargée des espaces verts. Aujourd’hui, on n’utilise plus de produits chimiques dans aucun espace vert de la ville. » Une soixantaine d’entre eux sont labélisés « espaces verts écologiques » ; la totalité doit être auditée en vue d’une labélisation avant la fin de la mandature.
La règle souffre de quelques exceptions, comme les collections florales des jardins de Bagatelle, ou les cimetières. « Il y a un problème culturel, les gens n’y supportent pas les herbes folles, comme s’ils avaient l’impression qu’on délaisse les morts », remarque Mme Giboudeaux. Car une nature envahissante n’est pas toujours bien perçue. « Il y a une ambiguïté dans l’envie de nature des citadins, explique M. Clergeau. La ville a été construire pour se protéger des loups. Il y a un besoin de sécurité et de propreté. Quand la nature devient plus exubérante, elle peut faire peur. »
Mais les mentalités évoluent. Les graminées sont plébiscitées. Les jardins partagés se multiplient. « Il ne se passe pas une semaine sans que nous ayons une demande d’autorisation pour installer une ruche », sourit M. Jacob. Plus de 200 sont aujourd’hui implantées dans Paris.
Cependant, cette politique ne forme pas encore le « plan biodiversité » que Mme Giboudeaux souhaite mettre en place à Paris, non sans rencontrer un certain scepticisme. « Le vivant nous entoure et conditionne aussi notre survie, mais ça n’est pas un vrai sujet politique pour les élus », regrette-t-elle.
L’enjeu est de faire gagner du terrain à la nature. Quelque 10 000 m2 de toits végétalisés - qui permettent de capter les poussières et de rafraîchir les immeubles l’été - ont été réalisés, mais « il faudrait un plan plus ambitieux », selon l’élue. Il s’agit aussi d’empêcher les destructions. « On rase une friche de cent ans en une matinée, regrette M. Jacob. Les portes de Paris sont des espaces très riches, mais les grands projets d’aménagement y prévoient la construction de dalles de béton. Dans les discours sur le Grand Paris, la biodiversité n’apparaît pas. »
« Les implications concrètes pour la biodiversité des opérations d’aménagement doivent être prises en compte », affirme Mme Giboudeaux. Il faut surtout, selon elle, « bâtir une stratégie avec les communes limitrophes pour que la circulation entre les différents espaces verts et humides soit possible ». L’élaboration d’une « trame verte et bleue », prévue par le Grenelle de l’environnement à l’échelle nationale, est indispensable à la survie des espèces.
Le « piaf de Paname » va-t-il disparaître, victime des bobos ?
Si la faune et la flore parisienne semblent se porter de mieux en mieux, il existe une exception notoire à cette embellie : le « piaf de Paname », c’est-à-dire le moineau domestique. C’est une espèce sédentaire, qui aime vivre en compagnie des hommes, se nourrit de graines, d’insectes, et niche dans les anfractuosités des murs. Sa population est en baisse « catastrophique » dans certains arrondissements de la ville, selon le Centre ornithologique d’Ile-de-France, une association d’ornithologues bénévoles qui réalise un atlas des oiseaux nicheurs à Paris.
Des chutes importantes de populations ont été observées dans plusieurs pays d’Europe. En Grande-Bretagne, la baisse est estimée à 62 % entre 1970 et 1999. Hambourg a vu sa population de moineaux chuter de 50 % ces vingt dernières années, et Prague de 60 % en vingt-cinq ans. Les chiffres ne sont pas légion, le moineau étant une espèce banale, jusqu’à présent peu étudiée.
A Paris, le Corif et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ont réalisé des comptages, tous les ans, entre 2003 et 2008. Les résultats font apparaître un déséquilibre entre l’est de la capitale et l’ouest. « Le phénomène a déjà été constaté à Londres. Il semble qu’il y ait une relation entre le prix du mètre carré immobilier et la densité de moineaux, constatent les enquêteurs. Il est possible que dans les quartiers les plus riches, mieux entretenus, il y ait moins de trous dans les immeubles pour nicher, moins d’herbes folles, et moins de déchets et d’insectes pour les nourrir. »
La situation est moins catastrophique à Paris que dans d’autres capitales européennes : la baisse moyenne est estimée à 5 %. Mais elle est spectaculaire dans deux arrondissements, le 11e et le 15e , avec respectivement - 92 % et - 74 %. « Ces chutes sont probablement dues à la rénovation des immeubles et aux changements sociologiques dans ces quartiers, qui provoquent une diminution de l’alimentation et du nombre d’endroits pour nicher », commente Frédéric Malher, vice-président du Corif. Le phénomène ne semble affecter que cette espèce. « Le moineau est particulièrement dépendant des habitations pour nicher », commente M. Malher. Il se porte bien ailleurs en France. Ces baisses pourraient préfigurer l’évolution de tout l’est de la capitale. Pour maintenir et favoriser le retour du moineau, la LPO et le Corif recommandent de planter des arbres à graines, de maintenir les friches, de bannir l’usage des pesticides et d’installer des nichoirs.