Le G20 a présenté un programme de 1100 milliards de dollars destiné à soutenir le crédit. L’objectif est en réalité de promouvoir une redistribution des revenus, principalement vers le secteur bancaire. Ce processus s’accompagne d’une hiérarchisation accrue du système financier international.
L’essentiel a porté sur « la lutte contre les paradis fiscaux ». L’action se fonde sur trois listes qui viennent d’être établies par l’OCDE. La première, la liste noire, ne comprend que quatre Etats, dont le Costa Rica et l’Urugay, qui ne disposent d’aucun rapport de force au niveau international. La deuxième, la liste grise, comprend les pays « ayant des efforts à faire en matière de coopération fiscale », parmi lesquels la Suisse et le Luxembourg, mais aussi la Belgique. La troisième, la liste blanche, est celle des pays coopératifs, dont le Royaume-Uni qui, avec la City, possède l’un des principaux centres offshore du monde, ainsi que quatre de ses « territoires dépendants » : Jersey, Guernesey, l’Ile de Man et les Iles Vierges. Les Etats-Unis en font évidemment partie, et cela sans aucune note désignant les pratiques opaques d’Etats tels que le Delaware ou le Wyoming.
Le secret bancaire et les trusts
L’offensive s’est focalisée sur le secret bancaire, présenté comme le moyen privilégié de l’évasion fiscale. Lors de leur déclaration finale, les pays du G20 ont même affirmé : « l’ère du secret bancaire est terminée ». Cependant, actuellement, la moitié du marché offshore se concentre dans les « trusts », des créations juridiques anglo-saxonnes, qui n’ont pas besoin du secret bancaire pour se mettre à l’abri du fisc. Le trust de droit anglo-saxon permet à une personne fortunée de se dessaisir de sa fortune afin de ne pas en apparaître comme le propriétaire aux yeux du fisc. S’il est « discrétionnaire et irrévocable » [1], la banque qui ouvre le compte peut ne pas exiger l’identité du bénéficiaire. Une personne qui a constitué un tel trust à l’étranger n’est nullement taxée, car elle n’est plus considérée comme propriétaire de ses biens.
Les îles de Jersey et Guernesey, toutes deux territoires britanniques, sont des juridictions spécialisées dans la constitution des trusts. C’est également le cas du Delaware et des Caraïbes, qui servent de refuge à l’argent « gris » en provenance des USA, mais aussi de Miami, qui accueille les capitaux latino-américains voulant cherchant à se soustraire au fisc. Singapour, en traitant des fortunes asiatiques ou européennes, a la même fonction. Les grandes banques suisses se sont également lancées dans le marché des trusts. Elles exigent peu d’informations sur les ayants droit économiques d’un trust « discrétionnaires et irrévocables », mais elles conservent l’identité de son constituant. Les banques anglo-saxonnes pratiquent un usage encore moins contraignant, en ne retenant d’informations que sur le « trustee », la société de gestion et d’administration du trust. Cela permet de maintenir une opacité complète sur la personne désirant échapper au fisc. Même si les législations obligent ces places financières à remettre les informations sur leur clients en cas d’enquête, ces dernières ne peuvent fournir des renseignements dont elles ne disposent pas. Ainsi, les juridictions anglo-saxonnes présentent d’un avantage substantiel sur la Suisse en cas de disparition du secret bancaire.
Une hiérarchisation du système financier
La Suisse est la cible principale de ce G20 qui vise à une réorganisation du système financier international à ses dépens. Les Etats-Unis et leurs satellites des Caraïbes, ainsi que les centres offshores sous pavillon britannique, contrôlent chacun un marché de l’« argent gris » presque égal à celui de la Suisse. Suite à l’offensive états-unienne, la Suisse, qui détient 27 % du marché de l’épargne mondiale gérée hors du pays de résidence, pourrait rapidement abandonner du terrain à ses concurrents principaux : le Royaume-Uni et ses îles Anglo-Normandes, l’île de Man et Dublin, qui traitent 24 % de ces capitaux, ainsi que New York, Miami, les Caraïbes et Panama, qui détiennent 19 % des 7300 milliards de dollars placés hors frontières. La moitié de cette somme ne serait pas déclarée.
Face à la menace de figurer sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE, la Suisse a ouvert une brèche dans son secret bancaire. Elle va abandonner la distinction entre fraude et évasion fiscales et consentir à l’échange de renseignements, au cas par cas, en réponse aux demandes, concrètes et fondées, des administrations fiscales de pays tiers. Le Luxembourg et l’Autriche, qui désirent garder leur secret bancaire, ont fait de même. Pourtant, il n’a jamais été question de placer sur cette liste des Etats américains comme le Delaware, dont les LLC (Limited Liabilities Compagnies) sont soustraites à toute forme d’imposition.
Dans le contexte de la crise financière, cette opération, sous hégémonie états-unienne, « de lutte contre la fraude fiscale », apparaît bien comme une tentative de la part des Etats de récupérer des capitaux destinés à financer en partie les aides consenties aux banques et aux assurances. Cependant, tous les fraudeurs du fisc ne sont pas appelés à apporter leur contribution : les plus aisés auront toujours la possibilité de faire appel à l’ingénierie fiscale des trusts afin d’échapper à l’impôt. Cette opération de soustraction fiscale sera facilitée s’ils placent leurs capitaux dans des centre offshores états-uniens ou anglo-saxons, dans des territoires placés sous contrôle direct de la puissance dominante.