De la situation politique thaïlandaise on retiendra la simplicité à repérer à quel camp appartiennent les manifestants qui portent des couleurs bien distinctes (rouge, jaune), encore qu’il s’en ajoute quelquefois (bleu). Les « T-shirts jaunes » sont des militants qui défendent l’establishment qui accapare le pouvoir depuis près de 70 ans. Ils sont contre le principe démocratique « un homme, une voix » car ils jugent les classes populaires incultes. On trouve derrière eux, les hautes sphères militaires, les royalistes, les membres du parti démocrate et les juges des différentes hautes cours.
Les « chemises rouges » sont une coalition regroupant des militants contre le coup d’état de 2006 qui a renversé le premier ministre démocratiquement élu Thaksin Shinawatra, des démocrates sincères, des républicains et la grande majorité des thaïlandais : les classes populaires ont compris que le résultat des élections n’est accepté que s’il va dans le sens des intérêts des élites traditionnelles.
La simplicité s’arrête là. L’ancien premier ministre Thaksin, qui avait remporté par deux fois les élections en 2001 et en 2005, est un chef d’entreprise milliardaire contestant la main mise des élites traditionnelles sur l’appareil d’état pour mieux défendre les intérêts d’une bourgeoisie plus moderne. Ce n’est ni un homme de gauche ni un humaniste mais un politicien avisé qui a su concéder des mesures sociales pour obtenir le soutien de la population déshéritée. Cela a créé une dynamique politique conduisant les Thaïlandais à se vivre de plus en plus comme des citoyens et non plus comme de simples sujets du roi.
Le coup d’Etat de 2006 était une tentative des militaires et des royalistes de revenir en arrière. Ce faisant, ils ignoraient qu’au contraire ils enterraient à tout jamais le vieil ordre politique. Les classes populaires revendiquent le respect du résultat des urnes et questionnent pour la première fois depuis 1932, le rôle de la monarchie qui a soutenu tous les coups d’État militaires. Trois gouvernements démocratiquement élus ont été renversés depuis 2006 par différents moyens, coups d’Etat militaire ou judiciaire. L’actuel premier ministre, Abhisit Vejjajivah, représentant du parti démocrate, a été porté au pouvoir par les militaires grâce à l’achat de voix de quelques parlementaires véreux d’abord alliés de Thaksin.
Les chemises rouges ont depuis manifesté pacifiquement pour demander son départ et de véritables élections démocratiques qui très certainement verraient les alliés de Thaksin revenir au pouvoir. La semaine dernière, ils ont envahi l’hôtel 5 étoiles de Pattaya qui abritait le sommet des chefs d’État des 10 pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) de l’Inde, de la Chine, de la Corée du Sud, du Japon, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande, forçant Abhisit à l’annuler. Le gouvernement d’Abhisit ne survivra sans doute pas à une telle humiliation. Pour le moment, il s’est maintenu au pouvoir en envoyant la troupe et des milices (chemises bleues) tirer sur les manifestants (on dénombre plusieurs morts et de nombreux blessés) et en interdisant tous les journaux, radios et sites internet qui donnent une information alternative aux journaux et médias dominants complices du pouvoir.
Au delà du sort d’Abhisit, ce qui est en jeu est une réelle démocratisation de la société thaïlandaise avec peut être la fin de la monarchie.
Phénomène encourageant, le mouvement des « chemises rouges » a fortement évolué au cours des derniers mois de lutte. Il s’est en parti affranchi du leadership de Thaksin. Mais il lui reste à construire une véritable force politique progressiste et de gauche représentant les intérêts des millions de pauvres des campagnes et des villes du pays. La tâche ne sera pas facile car il s’agit de reconstruire un mouvement qui a été quasiment éradiqué par les différentes juntes au pouvoir depuis les années 50.