Dans le bureau du juge d’instruction Thomas Cassuto, les langues se sont déliées. Thierry Lorho, patron de Kargus Consultants, soupçonné d’avoir fait appel à un « hacker » pour pénétrer dans l’ordinateur de l’ancien directeur des campagnes de Greenpeace, Yannick Jadot, ne s’est pas contenté de reconnaître les faits. Il a aussi désigné les commanditaires de l’opération en mettant en cause les numéros un et deux de la sécurité d’EDF.
Après la révélation de ces informations par Le Monde sur son site Internet, vendredi 10 avril, EDF annonçait en fin d’après midi avoir relevé ces deux responsables, Pascal Durieux et Pierre François, à titre « provisoire » et par « mesure de précaution ».
Selon nos informations, M. Lorho, mis en examen le 26 mars pour « intrusion frauduleuse dans un système automatisé de données », à l’issue d’une garde à vue de quarante-huit heures, a été confronté, mardi 7 avril, aux trois autres personnes également mises en examen pour « intrusion informatique » ou « complicité », dans le cadre de l’information judiciaire ouverte par le parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Lors de cette audition, M. Lorho a affirmé avoir reçu commande de Pierre François, un ancien policier de la brigade de répression du banditisme, actuel numéro deux de la sécurité de l’entreprise d’électricité - aujourd’hui mis en examen. Mais le numéro un, le contre-amiral Pascal Durieux, placé, lui, le 30 mars sous statut de témoin assisté par le juge, « était au courant », a précisé M. Lorho.
TECHNIQUES D’INTRUSION
Ancien membre des forces spéciales, puis de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de 1989 à 1999, cet ancien agent des services secrets, âgé de 45 ans, a travaillé dans un cabinet d’intelligence économique avant de créer sa propre société, Kargus Consultants, en 2003, à Nantes. Il la ferme quelques années plus tard avant de la faire renaître à Paris en 2006.
M. Lorho réalise alors des audits sur les sites industriels d’EDF, s’aventurant même à enquêter sur des fuites de documents... A l’époque, rapporte Le Canard Enchaîné du 8 avril, EDF semble s’intéresser à une autre association, Sortir du nucléaire, et à son porte-parole, Stéphane Lhomme, qu’elle aurait fait espionner via une société basée en Suisse, Securewyse. La direction d’EDF a annoncé vendredi que ce contrat, signé « en dérogation aux règles du groupe », a été « résilié ».
En septembre 2006, M. Lorho fait appel à un « hacker », autodidacte chevronné, Alain Quiros - qui fait partie des mis en examen - pour espionner l’ordinateur de M. Jadot dans le but, a-t-il dit au juge, « d’anticiper les actions des militants de Greenpeace sur l’EPR ou les centrales ». Un premier test est réalisé et fait l’objet d’un compte-rendu remis sur CD-ROM.
Lors des perquisitions, les policiers de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) auraient bien retrouvé ce CD-ROM dans le bureau de M. François. M. Lorho serait soutenu dans sa version par M. Quiros qui aurait indiqué avoir rencontré M. François et lui avoir dessiné un schéma des techniques d’intrusion. Mais le « test » aurait tourné court car, entre-temps, M. Quiros a été inquiété pour une autre intrusion informatique concernant, cette fois, le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Prenant peur, le pirate n’a alors pas voulu poursuivre sa mission pour EDF.
Hormis le CD-ROM et ce témoignage, M. Lorho dispose d’un contrat qui le lie à EDF pour une mission de « veille stratégique ». Signé le 26 novembre 2006 par M. Durieux, il prévoit une rétribution de 3 900 euros hors taxes par mois pour une période d’un an, du 1er janvier au 30 décembre 2007.
Mais rien n’indique dans ce document la nature précise des prestations... Et M. François tout comme M. Durieux démentent avoir ordonné l’espionnage des agissements de Greenpeace à travers l’ordinateur de M. Jadot. « Nous contestons formellement ces accusations », indique Olivier Metzner, avocat de M. Durieux, « solide sur (ses) positions ».
La quatrième personne mise en examen serait, elle, à l’origine de l’intrusion dans le LNDD, mais aussi chez un avocat, Frédérik-Karel Canoy, conseil de petits porteurs dans plusieurs grosses sociétés (Vivendi, Société générale...). Selon nos informations, il s’agirait de François Dominguez, un agent de recherche privée, établi à Bayonne, qui connaît bien Kargus Consultants.
Isabelle Mandraud
* Article paru dans le Monde, édition du 12.04.09. LE MONDE | 11.04.09 | 14h19 • Mis à jour le 11.04.09 | 14h20.
Après Greenpeace, EDF est accusée d’avoir espionné l’ONG Sortir du nucléaire
Déjà accusé d’avoir espionné l’ancien responsable des campagnes de Greenpeace France, Yannick Jadot, par le biais d’un sous-traitant, EDF pourrait également avoir mené le même type d’action contre une autre association antinucléaire, Sortir du nucléaire. Selon le Canard enchaîné daté du mercredi 8 avril, EDF aurait eu recours à une entreprise suisse, Securewyse, pour surveiller « le très remuant » porte-parole de l’association, Stéphane Lhomme, pendant plusieurs mois.
En mai 2006 et mars 2008, M. Lhomme avait été placé en garde à vue par la DST pour s’être procuré un document classé « confidentiel défense » selon lequel le réacteur nucléaire de troisième génération EPR ne résisterait pas au crash d’un avion en ligne. Selon le journal, c’est cet événement qui aurait conduit EDF à le faire espionner.
Le directeur de Securewyse, société spécialisée dans la « sécurité informatique », a démenti cette information. Le Canard évoque également d’autres affaires d’espionnage menées par le groupe EDF, notamment contre « le site breton de Couëron où Greenpeace entrepose du matériel militant et dispense des formations ».
Un haut responsable de la sécurité du groupe EDF, Pierre François, a été mis en examen pour « complicité d’intrusion informatique » au préjudice notamment de Greenpeace. Son supérieur hiérarchique, Pierre Durieux, a lui été placé lundi sous le statut de témoin assisté. Trois autres personnes sont mises en examen, dont le patron d’une officine privée de renseignement, Kargus Consultant.
Le groupe EDF maintient ne pas avoir été au courant de ces affaires d’espionnage. Interrogé mercredi par Le Monde, son PDG, Pierre Gadonneix, assure n’avoir « jamais signé de contrat demandant ce type d’opération ». Les contrats de prestation qui existaient entre EDF et Kargus Consultant portaient sur un « travail classique de veille et d’information » et se sont terminés depuis un an, affirme-t-il.
* LEMONDE.FR avec AFP | 08.04.09 | 15h58 • Mis à jour le 08.04.09 | 19h06.
Espionnage présumé de Greenpeace : EDF aurait été... au courant
Le patron de l’officine Kargus Consultant, Thierry Lorho, mis en examen dans l’affaire d’espionnage informatique présumé au préjudice de Greenpeace, commence à lâcher des bribes d’informations aux enquêteurs.
Devant le juge d’instruction de Nanterre, Thierry Lorho a reconnu son implication dans l’opération de piratage informatique de l’ordinateur de Yannick Jadot, à l’époque directeur des campagnes de Greenpeace France. Mais il a aussi affirmé que le numéro deux de la sécurité d’EDF, Pierre François, était au courant de cette opération de piratage, dont l’informaticien Alain Quiros aurait reconnu avoir été l’exécutant, ont expliqué des sources proches du dossier.
Depuis la révélation de l’affaire, EDF, qui s’est constituée partie civile dans ce dossier, s’estime victime des « agissements » de la société Kargus Consultant, avec laquelle elle avait conclu un contrat en 2006. Mais mercredi, une autre source proche du dossier a confirmé que les enquêteurs ont saisi un CD-ROM dans le bureau de Pierre François, CD-ROM dont Le Canard enchaîné a affirmé qu’il contenait « des captures d’écran et des copies de fichiers provenant de l’ordinateur de Yannick Jadot ». En sortant jeudi dernier d’une audition à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) à Nanterre, Yannick Jadot s’était dit « sûr (...) qu’il y a un élément fort de piratage (de son ordinateur) en septembre 2006 ».
* LEMONDE.FR avec AFP | 10.04.09 | 09h38