La signature des Accords de Partenariat Economique (APE) devait être une simple formalité. Cet accord est devenu un enjeu politique majeur qui a éclairé, d’une lumière accrue, la politique de l’Union Européenne vis-à-vis des pays pauvres dit ACP (Afrique Caraïbe Pacifique). En effet, la fronde des pays africains refusant d’entériner les mécanismes consécutifs à l’accord de Cotonou révèle les oppositions grandissantes du sud contre la globalisation.
A tel point que Sarkozy a demandé un rapport à la députée de Guyane, Christiane Taubira, pour répondre, notamment, aux questions suivantes :
« Comment dissiper les malentendus et les doutes qui persistent quant aux finalités de la négociation des APE ou Quels peuvent être les leviers dont disposent l’Union européenne pour encourager les ACP à poursuivre les négociations en vue d’APE complets et régionalisés. ».
Si l’accord de Cotonou, comme nous le verrons plus loin, représente bien une véritable rupture dans la façon d’envisager les accords économiques entre l’Union Européenne et les pays pauvres, on ne doit pas pour autant parer les accords antérieurs de vertus qu’ils n’avaient pas, au risque de sous-estimer le rôle qu’ils ont pu jouer dans la politique impérialiste de l’Europe vis-à-vis, notamment, de l’Afrique.
C’est ainsi que des militants alter-mondialistes qui, à la lumière actuelle, perçoivent des éléments positifs dans les accords de Yaoundé :
« Derrière un discours humaniste, solidaire et généreux se profile une Europe, fer de lance de la mondialisation néolibérale, qui impose ses vues à ceux auxquels elle apporte son aide. Cela n’a pas toujours été le cas. En 1963, la signature de la convention de Yaoundé (Cameroun) donne vie au premier accord entre la Communauté économique européenne (CEE) et 18 Etats africains et malgache associés. »
Ou de Lomé I :
« Fondée sur le partenariat et la solidarité, cette convention concerne 46 pays et dispose d’un secrétariat à Bruxelles. »
Nous ne partageons pas cette vision. Pour nous, ces accords ne répondent ni à une dimension de partenariat ou de solidarité, mais essentiellement et avant tout, à une nécessité politique, celle d’un accompagnement économique d’une politique néocolonialiste
Une décolonisation en trompe l’oeil
Adossé au premier traité européen de Rome en 1953, le Fond Européen de Développement est créé par les pays européens qui possèdent encore des colonies sur le continent africain ; c’est le cas de la France et de la Belgique.
Ces colonies vont, dans le début des années 60, recouvrer leur indépendance de manière formelle ; en effet les liens qui en faisaient des colonies vont rester quasiment en l’état. L’attitude de la France est, à cet égard, révélateur tant au niveau économique, avec le maintien du franc CFA, que militaire, avec les innombrables accords de défense permettant, non seulement, le maintien des bases françaises dans un bon nombre de pays africains, mais aussi la possibilité d’interventions militaires, politiques avec un personnel dirigeant acquis à la cause de l’ancienne puissance coloniale. Les constructions d’espace, qu’il soit de francophonie pour la France, ou du Commonwealth pour la Grande-Bretagne, ou les PALOP (Pays Africain de Langue Officiel Portugaise) participent à cette politique néocolonialiste.
C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier l’accord de Yaoundé. Il permettra un système dit de préférence tarifaire non réciproque, cette relation asymétrique autorise donc les pays africains à exporter leur production vers l’Europe en étant exonérés des frais de douane. Si, au premier abord, la mesure peut paraître généreuse, elle l’est beaucoup moins lorsque l’on y regarde de plus près.
Cet accord de Yaoundé, en fait, accompagne économiquement le processus de décolonisation des pays africains en les ancrant au monde occidental. Le but est d’éviter qu’ils glissent vers le camp soviétique ou chinois. Le risque n’était pas minime, comme l’atteste la décolonisation conflictuelle de la Guinée de Sekou Touré en 1959 avec la France, ou celle du Congo de Lumumba qui se rapprochera progressivement de l’Union soviétique.
De plus, cet accord est hautement critiquable car il permet de maintenir la division internationale du travail, initiée lors de la colonisation où l’Afrique est cantonnée à exporter ses matières premières structurant son économie pour répondre aux seuls besoins de l’Europe. Ce continuum de l’économie coloniale empêchera l’Afrique d’impulser un développement économique autonome répondant à ses propres besoins sociaux. A cette même époque, l’Europe, la France en tête, sera une fidèle alliée du Portugal qui tentera de maintenir, au prix de milliers de morts, ses colonies : l’Angola, le Mozambique, les Guinée- Bissau et Equatoriales ainsi que les îles du Cap Vert et Sao Tome et Principe. Des pays comme le Zaïre ou le Gabon seront utilisés dans l’aide des troupes portugaises pour leur guerre coloniale. La politique initiée par les accords de Yaoundé sera poursuivie par le premier accord de Lomé, signé en 1975, suivi de cinq autres d’une période de cinq ans chacun. Deux ans plus tôt le Royaume-Uni rejoint la communauté européenne ; l’accord de Lomé I s’étendra aux pays du Commonwealth et pérennisera les préférences tarifaires non réciproques sur les produits des pays ACP en veillant tout de même à ce que ces productions ne rentrent pas en concurrence avec ceux produit par les pays d’Union Européenne. Quand ce sera le cas, des aménagements auront lieux qui concerneront : la banane, le sucre, le rhum et la viande bovine. La seconde nouveauté des accords Lomé I sera la mise en place du système nommé STABEX qui vise à stabiliser les recettes de certaines productions agricoles comme le café, le cacao, le thé, l’arachide contre les variations de prix sur le marché mondial.
Au fil des ans l’Afrique continuera à jouer son rôle de fournisseur des pays européens en matières premières et ainsi l’accord de Lomé II en 1980 étendra le système de stabilité des recettes des produits agricoles à celui des minerais ; ainsi le système dit SYSMIN va permettre à l’Europe un approvisionnement régulier et constant de matières premières nécessaires à son économie, tels le cuivre, le cobalt, la bauxite, l’étain, le phosphate etc.
Si l’accord de Lomé III ne marquera pas les esprits, en revanche celui de Lomé IV -signé en 1980- va jouer un nouveau rôle politique. Il sera un instrument visant à appliquer les diktats des politiques du FMI et de la Banque Mondiale dans un contexte où le paiement des dettes ne peut plus être honoré par les pays pauvres ; ceux-ci se trouvent donc en situation de cessation de paiement. FMI et Banque Mondiale vont leur imposer des mesures drastiques dont l’essentiel sera supporté par les populations. Ces mesures, appelées politique d’ajustement structurelle, visent à diminuer les dépenses de l’état, y compris dans les secteurs comme la santé, l’éducation, les investissements d’infrastructures, à stopper les subventions pour les produits de première nécessité, à privatiser les entreprises nationales, à déréguler le commerce, à interdire les aides à l’agriculture, etc. L’accord de Lomé IV sera le garant de l’application effective de ces dispositions. Pour faire bonne mesure, l’accord de Lomé IV conditionnera l’aide économique au respect des droits humains. Le dernier accord -qui s’appellera curieusement Lomé IV bis- amorcera l’idée que l’Afrique doit s’insérer dans l’économie mondiale et préparera ainsi l’accord de Cotonou. Si, Lomé IV bis précise que l’absence du respect des droits humains peut entraîner une suspension des aides de l’Union Européenne, cette disposition sera appliquée, en vertu d’un principe bien connu des capitales occidentales : la politique à géométrie variable !
Quel bilan de ces accords
Les différents accords de Yaoundé et Lomé I à IV bis ont permis à l’Europe de contrôler les exportations africaines, qu’elles soient agricoles ou minières et de maintenir son emprise politique et économique sur le continent. Tout ce qui est présenté comme aide au développement, mesure de solidarité ou partenariat, aura des conséquences extrêmement néfastes pour les pays africains.
En effet, les accords économiques ont encouragé la mise en place de monocultures d’exportation comme le cacao en Côte d’Ivoire, l’arachide au Sénégal, le coton au Burkina Faso et détruit les cultures vivrières des populations. Ceci a accentué la dépendance des pays africains vis-à-vis du marché mondial, tenu par les traders des pays riches, en dépit des systèmes de stabilisation. Les recettes des exportations agricoles n’ont fait que baisser au cours des années conséquemment à l’accroissement de l’offre du fait de nouveaux arrivant sur les marchés ; par exemple, pour le cacao, l’arachide etc., ou issue d’agriculture mécanisée et surtout largement subventionnée, comme par exemple le coton pour les USA. C’est l’une des explications de la crise qu’a connue la Côte d’Ivoire. Si l’Afrique est dépendante pour ses exportations, elle l’est aussi pour ses importations, notamment au niveau alimentaire et, de ce fait, se retrouve frappée de plein fouet sans aucun amortisseur lors de retournements, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, comme c’est le cas actuellement. La situation de crise alimentaire dans ces pays illustre dramatiquement les conséquences des politiques économiques imposées par les pays riches au travers des accords que nous avons évoqués.
Ce triste bilan est illustré par l’évolution des importations de céréales, ici en ration-kg par habitant, en comparaison avec l’Inde. Pour la période de 1961 à 1966, en Afrique on importait 4,5 en Inde 9, pour la période 1969/71 l’Afrique passe à 8,1 et l’Inde à 5,8 et enfin de 1977 à 1979, l’Afrique est à 13,4 et l’Inde parvient à l’équilibre avec un ratio de 0,3.
Cette tendance s’est maintenue de 1995 à 2002 et la totalité des importations agricoles et alimentaires du continent africain augmentaient de 14,1% tandis que les exportations de l’Afrique régressaient à -10,2%.
L’Europe n’a jamais cherché, bien au contraire, à aider au développement d’une industrie de première transformation tant pour les produits agricoles que pour la production minière. Cette absence d’activité, générant une plus-value, interdit tout espoir de décollage économique. La seule exception est l’Afrique du Sud, fruit d’une histoire politique particulière ou la fraction de la bourgeoisie colonialiste s’est littéralement appropriée le pays tout en se désolidarisant du Royaume-Uni et des Pays-Bas, du moins au début. Cela a nécessité de rompre avec une économie de rente au profit d’une économie industrielle et d’une politique agricole centrée sur les besoins du pays.
L’autre critique que l’on puisse faire est que ces accords ont empêché la construction de marchés sous-régionaux en instituant un face-à-face économique entre l’Europe et chaque pays africain avec des termes d’échanges extrêmement défavorables pour ces derniers. La constitution de marchés sous-régionaux aurait développée une offre économique tant agricole qu’industrielle pour répondre aux besoins des populations, ce qui impliquait une diversification agricole. Cette constitution d’un tissu économique s’appuyant, certes sur les exportations, mais également sur les besoins développés par le marché intérieur, aurait réduit ainsi la dépendance et la sensibilité aux variations des marchés mondiaux et aurait assuré la souveraineté alimentaire.
Cette politique de constitution de sous-marchés régionaux ne peut se mettre en place que si elle est accompagnée d’une politique visant à protéger les structures économiques naissantes et donc faibles. Les pays qui ont réussi un décollage économique comme la Corée du sud, l’Indonésie, sans parler de l’Inde ou de la Chine, ont tous menés une politique protectionniste qui leur permet de s’ouvrir progressivement aux marchés au fur et à mesure de la consolidation de leur industrie. C’est ce que précisément ont interdit les deux derniers accords de Lomé IV et IV bis. De plus, leurs injonctions à diminuer les dépenses étatiques ont eu comme conséquence l’absence d’une politique d’investissement dans les équipements : routes, voies ferrées, équipements aéroportuaires ainsi que les structures de stockage et plus généralement de logistique.
La corruption des dirigeants africains, qui de toute évidence n’aide pas les pays à émerger, n’est ni la raison première ni la principale de l’absence de décollage économique de l’Afrique. D’autres pays dont les dirigeants sont tout aussi corrompus (on peut ainsi penser à l’Indonésie) ont réussi là où l’Afrique à échoué et pourtant les détournements de fonds publics indonésiens, par le dictateur Suharto, sont évalués par l’ONG Tranparency internationale, à 35 milliards de dollars.
La situation est telle qu’après plus de vingt ans d’application de ces différents accords, la part de l’Afrique dans le commerce mondial est passée -en un peu moins de 60 ans- de plus de 7% à 3%, alors que, dans le même temps, le volume des échanges a été multiplié par 27 ! L’explication, apportée par l’OMC quant à cette situation, est la détérioration continue des termes des échanges ; c’est presque une autocritique de la part de cette organisation dont les experts n’ont eu de cesse de pousser les pays africains vers la voie de la monoculture d’exportation.
Les accords de Cotonou
Les exigences de l’OMC en Afrique ont un nom : les accords de Cotonou
Les années 90 resteront marquées par la chute du mur de Berlin et l’offensive ultralibérale sur l’ensemble du monde. En 1994 l’accord de Marrakech est signé et donne naissance à l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce) qui va jouer le rôle de gardien du temple des différentes dispositions adoptées par le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). Désormais, aucun pays ne pourra être à l’abri de ce libéralisme débridé ; c’est ainsi que l’OMC a dénoncé les accords de Lomé IV Bis les considérant comme discriminatoires ; en effet, un avantage commercial concédé à un pays membre de l’OMC doit être étendu automatiquement aux autres pays de l’OMC. L’Union européenne, qui se présente volontiers comme l’alliée des pays pauvres, n’a pas mené une seule bataille sur les prétentions de l’OMC alors que son poids économique lui aurait permis de freiner des dispositions extrêmement graves pour les pays dominés, en premier lieu ceux d’Afrique.
C’est ainsi que l’Union Européenne va s’engager dans la structuration de six zones géographiques dites APE (Accord de Partenariat Economique) : une pour les caraïbes, une pour le pacifique et quatre pour l’Afrique déclinées en une zone pour les pays d’Afrique de l’Ouest, une pour l’Afrique de l’Est et la corne, une pour l’Afrique Australe et enfin la dernière pour l’Afrique Centrale. Après avoir découpée l’Afrique lors de la conférence de Berlin en 1835, l’Europe réitère en plaçant les pays africains dans tel ou tel APE sans se soucier des desideratas de ces pays ou des appartenances, déjà existantes, à des structures régionales. Ainsi la République Démocratique du Congo et l’Angola, qui font partie de deux structures régionales, la CEEAC et la SADC l’une étant affectée à l’APE Afrique de l’Est, l’autre à l’APE Afrique Australe, quant à la Mauritanie, qui elle fait partie de l’UMA (l’Union du Maghreb Arabe), elle se retrouve dans l’APE Afrique de l’Ouest avec tous les pays de la CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest) alors qu’elle n’a jamais fait partie de cette organisation régionale. La seule justification des experts de la commission européenne sera de dénoncer la « polygamie institutionnelle » de certains pays africains, comme quoi de la Conférence de Berlin à l’Union Européenne, les attitudes racistes sont malheureusement des valeurs constantes !
Ces Accords de Partenariat Economique, issus des accords de Cotonou, ne sont ni plus ni moins que des zones de libre-échange dans lesquelles l’Union Européenne et le groupe de pays sont placés sur un même pied d’égalité. En d’autres termes, la mise en place de cette réciprocité va permettre à l’Europe d’accéder quasiment librement au marché des pays ACP.
Avant de revenir sur quelques grands traits de cette politique, il convient de souligner la façon dont la négociation des accords de Cotonou s’est déroulée.
L’Union Européenne à joué de sa supériorité en terme d’expertise, de disponibilité de connaissance des arcanes des négociations multilatérales commerciales, pour imposer son point de vue, imposant la langue anglaise comme langue des négociations, mettant en difficulté les pays africains dont les langues véhiculaires sont le portugais ou le français (notons que la France, d’habitude si sourcilleuse dans sa défense de la francophonie, n’a émis aucune réserve). Imposant aussi son rythme aux négociations en remettant les documents de travail au dernier moment et exigeant des représentants des pays africains des réponses rapides. Par contre, la Commission européenne s’est refusée à entreprendre toutes études prospectives exhaustives, ce qui aurait permis aux négociateurs des pays ACP de mieux faire entendre leurs exigences. Les quelques études qui ont été produites par des centres de recherche indépendant ou par des ONG ont toutes indiqué, à des degrés divers, les conséquences désastreuses des APE pour l’économie et le niveau social des populations. L’Europe a préféré écarter ces études, les jugeant trop partiales. Si l’arrogance et la supériorité ostentatoire de l’Europe se sont fait sentir dans les formes revêtues pour ces négociations, elles sont encore plus manifestes sur le fond.
L’accord de Cotonou balaie toute asymétrie dans les dispositions contractuelles qui existaient dans les accords économiques entre l’Europe et l’Afrique.
Quatre conséquences majeures.
On peut distinguer quatre conséquences majeures.
Première conséquence, au titre de la réciprocité l’Europe pourra accéder aux marchés ACP en bénéficiant d’exonérations des taxes douanières. D’après les estimations de la Banque Mondiale, le manque à gagner pour les pays africains varie entre 10 et 20% des recettes totales de l’état, avec des pointes, pour certains pays, tout à fait alarmantes comme pour le Ghana, le Cap Vert, la Gambie . A Wade, le président de la république du Sénégal, l’estime pour son pays à 35 %.
Au-delà des chiffres le démantèlement tarifaire, pour les pays africains, est particulièrement préoccupant car, pour la plupart des pays, les autres impôts sont soit faibles, soit inexistants ; la suppression des tarifs douaniers obligerait à une mise en place de TVA, difficilement supportable pour la grande majorité des populations et particulièrement onéreuse dans sa gestion. La commission européenne n’a cure de ces arguments et, en bonne dogmatique libérale, salue le désarmement tarifaire douanier qui permettra de freiner le renchérissement du coût du capital. Comme si c’était le principal obstacle au développement économique pour les pays africains.
Quant à l’agriculture, deux cas peuvent être distingué, le premier celui de l’agriculture d’exportation mise en place lors de la colonisation et pérennisée ensuite par les grandes structures financières FMI et Banque Mondiale. Cette politique devait rapporter aux pays africains les devises leur permettant un développement économique, mais voilà, les principales productions agricoles d’exportation : sucre, cacao, café, coton, etc… ont chuté entre 30 et 60% en dollars courants. Dans le rapport de l’Assemblée Nationale sur les APE, l’exemple de l’huile de palme, produite par le Cameroun, est parlant ; son coût est de 545 dollars la tonne alors que, sur les marchés internationaux, la tonne s’échange à 472 dollars ! Cette différence de prix s’explique par la vétusté du matériel, les problèmes d’irrigation, de logistique etc. Cette culture est donc subventionnée par le gouvernement camerounais qui utilise une partie des revenus des droits de douanes, mais ces derniers sont amenés à disparaître avec les accords APE.
Deuxièmement concernant l’agriculture vivrière. Elle a été largement malmenée, pour ne pas dire laminée par les interdictions des organismes financiers internationaux à subventionner cette activité, pourtant décisive, pour la sécurité alimentaire de millions de personnes.
Avec les APE, l’Europe pourra exporter des produits vers les pays africains sans payer les droits de douane, ces exportations européennes ne manqueront pas de ruiner les producteurs locaux, d’autant plus que les produits agricoles et d’élevage de l’Union Européenne sont largement subventionnés, ce qui n’est pas le cas de l’Afrique, comme nous l’avons vu pour l’agriculture vivrière.
A titre d’exemple, l’ANOPACI (Association Nationale des Organisations Professionnelles Agricoles de la Côte d’Ivoire) indiquait que le coût de production moyen d’un poulet de chair était de l’ordre de 1150 à 1200 CFA, soit un peu moins de deux euros, quand le poulet congelé venu d’Europe coûte moins d’un euro ! C’est ainsi que des pans entiers de la filière avicoles se sont retrouvés ruinés, sans compter les risques sanitaires provoqués par des ruptures de la chaîne du froid.
Troisième conséquence, la question de l’industrie. Comme pour le secteur agricole, les principales activités industrielles sont moins compétitives pour des raisons de dimensionnement des unités de production, d’obsolescence des machines, de déficience des infrastructures de transport, des coupures importantes et nombreuses de l’eau, de l’électricité. Mais ces industries représentent un formidable avantage pour la population car elles sont un pôle de stabilité d’emplois, permettant une certaine couverture sociale, même très loin des prestations nécessaires à un bien être social. Le risque est que l’Europe, avec les APE, accentue sa prédominance sur le marché africain et provoque une désindustrialisation qui ne ferait que pousser la population dans le secteur informel, synonyme d’absence de droits, synonyme de précarité, de surexploitation allant jusqu’au travail forcé. Il a été estimé, par l’ONG britannique Traidcraft, que 78% des actifs exerçaient un emploi salarié au Kenya et que, suite aux politiques brutales de libéralisation à outrance, la tendance s’est inversée aboutissant en 2000 à ce que 70% de la population active travaille dans l’informel.
Enfin, dernière conséquence et pas des moindres, la déstructuration des marchés sous-régionaux. Nous avons évoqué plus haut que la commission européenne avait fait fi de l’intégration de certains pays dans des communautés économiques régionales. Dans le même temps, la Commission européenne tente de bousculer les délais internes des différentes communautés économiques régionales pour qu’elles adoptent une politique d’union douanière qui favoriserait la dynamique des APE alors que ces pays ne sont pas encore prêts.
Notons que dans une même APE coexistent deux types de pays pauvres : les PMA et les non PMA. Ces Pays Moins Avancés bénéficient d’un traitement particulier dans leur relation commerciale avec l’Europe, ce qui les pousse à ne pas signer ces APE, créant une situation de juxtaposition de deux régimes douaniers, peu propices à la construction de marché sous-régionaux.
La commission européenne a décliné dans les pays ACP les diktats de l’OMC, mais elle a tenté d’aller encore plus loin en essayant de leur imposer la libéralisation des « matières de Singapour », c’est-à-dire la libéralisation des investissements et des marchés publics. Les responsables européens utilisent les règles de l’OMC pour accentuer le pillage des pays pauvres. Malgré le chantage et devant la résistance de beaucoup de pays africains, seule une vingtaine de pays ACP ont signé des Accords dit Intermédiaires qui ne portent que sur le volet marchandise.
La question des APE est donc toujours à l’ordre du jour. Elles devront être parties intégrantes de nos luttes à l’heure où les pays pauvres, victimes des politiques de libéralisation imposées par les tenants du capitalisme, ont été frappés par une crise alimentaire d’une ampleur inégalée depuis des décennies.