L’émergence d’un commerce globalisé des terres agricoles de même que les récentes émeutes de la faim ont focalisé l’attention sur l’importance des terres arables. En France, les pouvoirs publics ont lancé en 2001 un réseau national de surveillance qui vient d’achever sa première phase de collecte de 2 200 échantillons de sols, offrant ainsi la première « photographie » pédologique du territoire français.
Les chercheurs, qui ne disposent pour l’heure que de résultats préliminaires, ont notamment mesuré les teneurs en métaux lourds (plomb, nickel, cadmium, etc.) Selon Dominique Arrouays, directeur de l’unité Infosol de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui supervise le Conservatoire national des sols créé pour l’occasion, « il n’y a aucune situation catastrophique au point qu’il faille alerter les populations locales ».
« En ce qui concerne le plomb, par exemple, on en trouve des teneurs géogènes (naturelles) élevées sur les pourtours du Massif central ; la contamination diffuse due à l’homme est pour sa part concentrée autour des grandes agglomérations, ajoute le chercheur de l’Inra. Elles sont vraisemblablement liées au plomb présent dans le carburant automobile avant les années 1990. »
Cette mémoire des sols vaut pour les métaux lourds, mais aussi pour les polluants organiques persistants comme les dioxines, les PCB (polychlorobiphényles) ou les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). Les responsables d’Infosol en ont restreint la détection à 200 échantillons afin d’évaluer l’intérêt d’une extension de ces analyses coûteuses à l’ensemble du territoire.
Certaines des molécules recherchées sont indétectables. D’autres sont omniprésentes. « Par exemple, le lindane (insecticide interdit en 1998) est retrouvé absolument partout, y compris là où il n’a jamais été appliqué, comme en milieu forestier, dit Dominique Arrouays. Cela montre que la contamination s’est faite par voie atmosphérique. »
Observation cohérente avec des mesures menées en 2007 par Airparif, qui révélaient que le lindane, « pouvant être soumis à des transports atmosphériques à grande distance ainsi qu’à une revolatilisation à partir des sols », était toujours présent dans l’air parisien. Ses concentrations dans les sols sont toutefois faibles, de l’ordre du microgramme par kilo.
Souvent ignorée, l’érosion compte aussi au nombre des menaces qui pèsent sur les terres cultivables. Selon M. Arrouays, « 20 % à 25 % des terres arables françaises subissent une érosion qui ne pourra pas être supportée durablement ». Ces phénomènes sont concentrés dans les grandes plaines limoneuses du nord du Bassin parisien, en Picardie, dans le pays de Caux, le Languedoc et dans une partie du sillon rhodanien.
Ils ne concernent pas seulement la France. « Les terres cultivables ne se renouvellent pas à court terme et on en perd environ 0,5 % par an par érosion au niveau mondial », dit Daniel Nahon, professeur de géochimie à l’université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence et auteur de L’Epuisement de la terre (Odile Jacob, 240 p., 25,90 €). « L’érosion est due en partie à la déforestation et aux pratiques agricoles, poursuit-il. Les méthodes de culture qui permettent de lutter contre ce phénomène, mais aussi contre l’oxydation des sols, sont mises en œuvre sur 25 % des surfaces cultivées aux Etats-Unis et sur 60 % en Amérique du Sud, mais sur seulement 1 % des cultures européennes. »
L’autre menace qui pèse sur les terres arables françaises est, tout simplement, la « bétonisation » du territoire. « On perd 60 000 hectares par an, l’équivalent d’un gros département français tous les dix ans, précise Dominique Arrouays. Non seulement on diminue notre potentiel agricole, mais on détruit un grand nombre de fonctions environnementales des sols, en particulier leur rôle de tampon en cas d’événements extrêmes, comme les inondations. »
Là encore, rien de spécifique à la France. L’extension des zones urbaines et des infrastructures routières suscite la disparition de plus de 300 000 hectares par an aux Etats-Unis et pas loin de quatre fois plus en Chine.
La mise en place du Conservatoire national des sols permettra de mesurer l’évolution de ceux-ci, tant du point de vue de leurs qualités agronomiques que de leurs niveaux de pollution. Ou d’autres propriétés. « En 2001, quand nous avons commencé à prélever les premiers échantillons, il n’était pas possible d’en extraire facilement l’ADN microbien, dit ainsi Dominique Arrouays. L’évolution des techniques nous permet aujourd’hui de commencer à cartographier la biodiversité bactérienne de nos sols. »
Stéphane Foucart
LES TERRES CULTIVABLES PERDENT DU TERRAIN
Terres cultivables Sur 13,5 milliards d’hectares de terres émergées, 22 % (soit 3 milliards) sont cultivables. Au cours des dernières décennies, 50 millions d’hectares sont devenus impropres à toute culture à cause de la salinisation.
Terres cultivées Dans les années 1960, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) estimait que 55 % des terres arables étaient cultivées. Certains revoient aujourd’hui cette estimation à 60 %, sachant qu’une grande part de ce qui est non cultivé est occupée par la forêt.
Erosion Dans les pays tempérés, l’érosion varie en moyenne de 0,5 à 20 tonnes de terre par hectare et par an. Ce taux peut monter jusqu’à 200 tonnes de terre par hectare et par an dans les régions tropicales à fortes précipitations.