Qu’as-tu pensé de la façon dont s’est déroulé le procès d’Yvan Colonna et du verdict ?
A.M : C’est un procès qui s’inscrit dans le cadre des tribunaux d’exceptions qui sévissent depuis des années maintenant et qui ne garantissent pas une justice indépendante et démocratique. Le verdict n’a surpris personne en Corse car Nicolas Sarkozy avait annoncé lors d’un meeting de l’UMP (en tant que ministre de l’Intérieur ) l’arrestation de « l’assassin du préfet Erignac ». Maintenant qu’il est Président, il ne fait qu’entériner cette désignation par une justice aux ordres et respecte en cela une tradition de la Ve République : « La démocratie s’arrête là où commence la raison d’Etat » ( Charles Pasqua).
Cette décision s’inscrit-elle dans la continuité de la politique du Gouvernement Sarkozy vis-à-vis de la Corse ?
Sous couvert d’un antagonisme corso-français et dans un contexte de situation politique et sociale très dégradée en Corse on condamne un homme à perpétuité sans véritables preuves. C’est un message très clair qui est adressé à tous les Corses qui veulent relever la tête et résister à cette relation entre un Etat dominant et un peuple dominé. C’est une fois de plus l’arbitraire d’un appareil répressif politique qui tente de creuser le fossé entre ces deux rives de la Méditerranée. Pour autant cette visée manichéenne n’est pas un principe qui s’applique à toute la société française, car le peuple français dans son immense majorité n’est pas dupe et souhaite aussi qu’une justice réelle et impartiale soit rendue en son nom.
Quelles seront les conséquences en Corse et quelles suites seront données après ce proçès ?
Le peuple corse, dans sa diversité, accepte mal la condamnation d’un enfant de ce pays sans que l’on ait pu établir formellement sa culpabilité. Ce qui est largement admis dans l’opinion publique insulaire, c’est le caractère inique du procès qui s’est déroulé, et aucune argumentation, même avec la plus grande pédagogie, ne peut expliquer et justifier cette condamnation. Il est quand même étonnant que la partie civile se contente d’une culpabilité établie avec autant de doutes, doutes qui auraient dû normalement bénéficier à la défense. Nous verrons avec le comité de soutien à Yvan Colonna quelles suites seront données, sur le plan judiciaire et au niveau des mobilisations populaires .
Cette condamnation jette de l’huile sur le feu, c’est un élément de plus alimentant la relation conflictuelle avec l’Etat Français, ce qui ne pourra qu’amplifier les résistances à venir. Il nous faudra resituer la problématique sur le fond politique, à savoir : Existe-il une question nationale corse ? Cette question devra être débattue tôt ou tard, avec l’Etat français, dans le cadre d’un processus de paix qui garantisse un règlement plein et entier de la question nationale corse, y compris en intégrant la question spécifique des prisonniers politiques. Pour cela il faut que l’Etat français change de politique et ouvre de véritables négociations.
Alain Mosconi
La mascarade du procès Colonna
Communiqué du NPA
Le procès Colonna qui s’achève a été une véritable mascarade dont le seul but est de condamner un coupable désigné d’avance.
Dissimulation de preuves, faux PV, intimidations de témoins, modifications de témoignages auront émaillé les procès de première instance et d’appel. Ce n’est donc plus de la justice « d’un peuple souverain » dont il est question, mais des circonvolutions d’un appareil politico-judiciaire empêtré dans ses propres contradictions.
Les droits de l’homme ne s’appliquent pas « à géométrie variable ».
Nous exigeons, avec toutes celles et ceux qui se refusent à admettre l’instauration d’une justice d’exception, le respect des droits inaliénables d’un homme dont la vie ne peut ni ne doit dépendre des aléas d’une justice au seul service de la raison d’état.
Le 26 mars 2009.
La Corse mobilisée contre la justice antiterroriste
Un article du Monde.
AJACCIO ENVOYÉ SPÉCIAL
Ni la pluie battante qui s’est déversée sur Ajaccio ni les forces de l’ordre déployées en nombre dans toute la ville n’ont découragé les manifestants. Dans un climat de malaise, plus de 6 000 personnes ont défilé, samedi 28 mars, au lendemain de la condamnation d’Yvan Colonna à la réclusion perpétuelle assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans pour l’assassinat du préfet de Corse Claude Erignac le 6 février 1998.
Les proches du condamné ont mobilisé, au-delà de leurs espérances, militants et responsables politiques du mouvement nationaliste, à l’image de Jean-Guy Talamoni, ou Jean-Christophe Angelini, chef de file des autonomistes « modérés ». Mais aussi, fait rare pour une telle manifestation, des centaines d’anonymes et, plus discrets, des élus « traditionnels ».
Parmi ces derniers, Jean-Claude Guazzelli, conseiller territorial (sans étiquette), et Jean-Luc Chiappini, président du parc naturel régional de la Corse, ont fait valoir leur écœurement face à la condamnation d’Yvan Colonna. « C’est une injustice et il faut la combattre (...) Nous devons le faire sortir ! », s’est emporté M. Chiappini.
Davantage que le verdict rendu, c’est la manière dont les débats ont été menés, de faux pas en bourdes, par la cour d’assises spéciale chargée des affaires de terrorisme, qui suscite doutes et colère au-delà de la famille nationaliste. Dans le cortège, Alain Napoleoni, ancien conseiller technique du président de l’Assemblée de Corse, s’indigne : « J’ai voulu descendre dans la rue parce que je suis juriste et que je n’ai jamais vu un procès comme ça... On organise des reconstitutions pour le moindre crime et, cette fois, le président de la cour d’assises le refuse alors que l’audience a connu plusieurs révélations, c’est lamentable ! »
En privé, nombre d’élus font part d’un « véritable malaise » et d’un « embarras certain » après un procès jugé « expéditif dans sa conduite ». Mais la prise de parole n’est pas encore à l’ordre du jour. Sur dix édiles de toutes tendances politiques contactés par Le Monde, aucun n’a souhaité s’exprimer. Les quatre députés que compte la Corse ont été démarchés par le comité de soutien à Yvan Colonna ou des proches, mais aucun n’a donné suite ou n’a accepté de s’exprimer.
Le comité de soutien a décidé d’élargir les termes d’un débat qui « doit interpeller tout le monde en démocratie ». « La problématique de la justice antiterroriste, et tout ce qu’elle représente comme arbitraire, est une question qui intéresse tous les citoyens. On le voit en Corse mais on le voit aussi dans la triste affaire de Tarnac », renchérit André Pacou, président de la section corse de la Ligue des droits de l’homme. Samedi, en fin de cortège, environ deux cents jeunes gens insensibles aux appels au calme n’ont pas attendu le prochain colloque sur la justice antiterroriste et s’en sont pris aux forces de l’ordre au cours de deux heures d’affrontements.
Antoine Albertini
* Article paru dans le Monde, édition du 31.03.09. LE MONDE | 30.03.09 | 13h59 • Mis à jour le 30.03.09 | 13h59.