Coup de jeune sur les tracts de Lutte ouvrière. En médaillon, surmontant les dix-sept dates des meetings d’une tournée aux airs de précampagne électorale, s’affiche la photo de Nathalie Arthaud, nommée porte-parole nationale pour les européennes. C’est cette enseignante lyonnaise de 39 ans qui tiendra ce soir meeting à la Mutualité, à Paris. Avec - telle une guest star - « la participation d’Arlette Laguiller ». En historique, celle-ci doit se charger du topo sur l’héritage politique de la formation trotskiste. Et sa dauphine entrera dans le vif du sujet : « Face à la faillite du capitalisme, actualité du communisme. » Ensuite, elles débrieferont, comme souvent, autour d’un verre. « D’égale à égale. » Une transition en douceur avant de passer la main pour de bon. « Quand elle ne pourra pas, j’irai soutenir un candidat, promet Laguiller. Mais Nathalie va assumer le plus gros du travail. » Petite révolution dans la maison LO ? Pas sûr, tant sa cadette prévoit de marcher dans les pas d’Arlette.
Forgée par vingt ans de militantisme, Nathalie Arthaud, « emballée par l’idée du communisme » dès ses études dans un lycée lyonnais, interpellera elle aussi les « travailleuses, travailleurs ». « Ça reste : on parle toujours à ceux qui n’ont que leur salaire pour vivre et subissent la dictature des puissances économiques », dit-elle, posée, décidée, sans haranguer. Succéder à l’emblématique porte-voix de la classe ouvrière tient autant du cadeau que du fardeau. Elle mesure le « poids sur [ses] épaules », y mêle « l’enthousiasme de poursuivre le chemin d’Arlette ». Même coupe courte, même look discret avec le strict minimum d’apprêt, copie conforme, a-t-on d’abord glosé. Elle, elle pointe les différences - « chacune a son parcours, je n’ai pas vécu la guerre d’Algérie ni Mai 1968 » - et s’accommode des similitudes : « Tenir le même discours fait peut-être qu’à force on se ressemble. Mais LO n’a pas fait un casting sur la longueur de cheveux ! »
Patte. Laguiller n’étant pas sur les rangs pour la présidentielle de 2012, LO songeait à changer de tête. En 2005-2006, des porte-parole régionaux sont nommés. « Le renouvellement s’est étalé sur trois ans… sans faire disparaître les anciens », insiste Laguiller. L’occasion de « faire émerger la jeune garde » et de tester leur bagout en campagne. Parmi les six finalistes - toutes femmes -, Arthaud fait ses armes dans les médias locaux, est élue conseillère municipale à Vaulx-en-Velin (Rhône) sur une liste divers gauche. Et sort du lot. Au congrès de décembre, son nom fait consensus. Elle, pas du genre à se faire mousser : « Les camarades ont pensé que j’en étais capable. »
Bosseuse battante, « dynamique, déterminée », « mordante » pour ses proches, la jeune pousse, amatrice de sport « progresse vite, ne craint pas de se lâcher ». Son aînée ne tarit pas d’éloges : « Peut-être stressée à l’intérieur, elle ne se laisse pas impressionner. » « Elle a les tripes, ce qu’on ressentait aussi chez Arlette », juge Jean-Pierre Mercier, tête de liste en Ile-de-France en juin. De là à mettre sa propre patte dans le discours de LO ? « Le fond ne change pas, mais elle le dira à sa façon, poursuit Mercier. Elle fait le poids, c’est le poids de nos idées. » C’est qu’Arthaud est dans les clous trotskistes. Le choix d’une femme s’est imposé pour continuer de creuser le sillon féministe du parti, le premier à avoir présenté une candidate à la présidentielle. Certes, la professeure d’éco-gestion syndiquée au Snes (syndicat national des enseignements de second degré) n’est pas l’employée de banque de 1974. Mais « le milieu enseignant s’est prolétarisé ces dernières décennies, et son mouvement a marqué, note un ex-LO. Il y a eu des grèves frappantes comme dans l’automobile, mais ce sont surtout des hommes qui se sont impliqués ».
Après la sortie de route de LO en 2007 (1,33 %), sa nouvelle porte-parole parviendra-t-elle à rivaliser avec Besancenot ? L’autre trentenaire trotskiste, qui avait alors trusté l’électorat d’extrême gauche, dispose d’une longueur d’avance. Et le discours de LO a « ce côté plus rigide, carré qui passe moins facilement », convient un ex-militant. Arthaud se défend bien sûr d’une quelconque concurrence : « On ne s’est pas précipité pour faire pareil. » Dans la mue de la LCR, elle voit des stratégies divergentes : « Le NPA veut rassembler associatifs, écologistes, libertaires. Ce n’est pas ce qu’on cherche. Le mot anticapitaliste est assez flou pour que s’y retrouvent ceux dénonçant des aspects du capitalisme et ceux prêts à le renverser. » Et de jouer les pures : « On veut un parti de militants convaincus par le communisme et la révolution pour changer de société. »
Tribune. Pour sa première campagne nationale, Arthaud défendra des listes strictement LO, qui n’a pas voulu réitérer l’alliance de 1999 et 2004 avec la LCR ni faire font commun avec le PCF et le Parti de gauche. « Ce serait engendrer de la confusion. Buffet et Mélenchon prennent un ton radical, mais ils ont été au gouvernement et gardent l’objectif d’un parti de gouvernement. » « C’est gonflé, rétorque Mélenchon. Aux municipales, ils ont fait des listes avec le PS ! » Perplexe sur le rôle du Parlement européen qui « passe son temps à réglementer la taille des filets de pêche ou la dose de cacao pour écrire « chocolat » sur la plaquette », Arthaud est tout aussi sceptique sur ses chances, « peu vraisemblables », d’y rafler des sièges. Elle veut surtout avoir les coudées franches pour « faire entendre une voix communiste révolutionnaire », s’offrir une tribune. Et fixer ses priorités : « 90 000 chômeurs de plus, ce sont 90 000 familles qui font un pas vers la misère. Cette question de survie, on ne veut pas la noyer dans d’autres mots d’ordre. » Mais juin est encore loin pour la porte-parole qui s’enflamme davantage pour la mobilisation outre-mer et la grève du 19 mars. « Ce jour-là doit montrer que la combativité est aussi forte ici. La Guadeloupe l’a prouvé, la grève générale n’est pas un rêve. Il faut que la colère soit telle qu’on ne quitte pas la rue comme ça. » Nathalie Arthaud garde le cap…