Si Opel rencontre des problèmes, ce n’est pas uniquement en raison d’erreurs de management. Les grands groupes mènent leur guerre pour maximiser leurs profits sur le dos des employés.
Les arguments des spécialistes s’analysent ainsi : primo, il n’y aurait pas de crise internationale dans l’industrie automobile, mais des erreurs de management chez General Motors (GM) en Europe ; secundo, c’est particulièrement en Europe que GM accumulerait les pertes ; tertio, il n’y pas d’alternative à une réduction massive d’emplois en Europe.
Il est vrai qu’en 2004, avec 52 millions d’unités, on aura vendu bien plus de voitures dans le monde qu’en 2003. En 2005 il devrait se vendre 54 millions d’unités. Cependant le marché se rétrécit et la concurrence s’intensifie. Au cours des quinze dernières années, 12 marques automobiles ont perdu leur indépendance : Saab, Subaru, Isuzu et Daewoo sont passées chez GM ; Volvo, Jaguar, Land Rover et Mazda chez Ford. Alfa et Lancia ont été absorbées par Fiat, Nissan par Renault, Kia par Hyundai. Plusieurs constructeurs ont peu de chances de survivre comme Mitsubishi, Fiat et Rover. Les quelques marchés qui connaissent une véritable croissance — comme la Chine et l’Europe de l’Est — sont l’objet d’une furieuse concurrence. On y voit naître d’énormes surcapacités de production, qui devraient au plus tard en 2006 inonder le marché mondial de l’automobile. Si des tendances à la crise se manifestent actuellement chez GM, ce n’est qu’un instantané sans importance. En ce moment Ford va plus mal que GM/Opel. Il y a six mois Daimler-Chrysler annonçait le désastre chez Mitsubishi. Ne parler d’erreurs que chez GM en Europe est imprudent. Actuellement sur le marché nord-américain, GM doit consentir des rabais de 6000 dollars sur les prix affichés pour écouler ses voitures.
Affirmer ensuite que GM fait des pertes avant tout en Europe est contestable. Effectivement, cette multinationale présente pour l’année 2003 un bénéfice qui est officiellement de 3,822 milliards de dollars. Comparé à 2002 il y a une augmentation de 120 % (selon Fortune du 26 juillet 2004). Pour les quatre premiers mois de l’année 2004, le trust GM présentait un bénéfice net de 440 millions de dollars. Le fait est que, d’après les sources GM, les bénéfices proviennent essentiellement de la filiale bancaire. Le rabais de 6000 dollars par voiture prouve que le constructeur a des difficultés sur le marché. S’il arrive à y introduire ces voitures grâce au crédit, c’est qu’il réalise les bénéfices par l’entremise de sa filiale bancaire
Il est tout aussi discutable d’affirmer que GM subit des pertes en Europe. En janvier 2004, celui qui était encore le président du directoire d’Opel SA, Carl-Peter Forster, faisait observer que le déficit de 400 millions déclarés s’expliquait en grande partie par le fait que la plus grande part des coûts de recherche et développement pour les véhicules de GM Europe, vendus dans le monde entier, étaient imputés à GM Europe et surtout à Opel, tandis que les bénéfices provenant de la vente de ces véhicules (par exemple en Asie) ne leur revenaient pas la plupart du temps.
Le raisonnement qui conduit à penser qu’il faille en arriver à une réduction draconienne de personnel en Europe, voire le cas échéant, à une fermeture de site ne convainc personne parmi les salariés. Ne pourrait-t-on pas plutôt dire que tous les constructeurs s’y prennent ainsi (cf. Daimler-Chrysler et VW), que la structure juridique de Ford Cologne est en cours de modification pour pouvoir y disposer de « plus de flexibilité » (pour faire pression sur le personnel), qu’après une attaque couronnée de succès contre GM/Opel, on pourrait mettre la pression sur le personnel de Saab en Suède ?
Et pourquoi cette offensive contre Opel à Bochum ? Après tout, l’usine tourne à 100 % de ses capacités. Eisenach et Luton (en Grande-Bretagne) seulement à 70 %, Rüsselsheim à 58 %. La direction de GM ne se vengerait-elle pas d’un personnel à Bochum qui avait participé de façon décisive aux luttes pour empêcher le démantèlement et les baisses de salaire, prévus en 2000 ?
Il n’y a aucune raison de croire que ces pressions et ces tentatives de division vont s’arrêter à un moment donné. Au contraire. La direction de GM à Détroit veut voir le sang couler. Et qui a léché du sang et engrangé des profits, commence seulement à avoir de l’appétit. C’est bien ce qu’écrivait dans ce journal le vieux militant d’Opel Bochum , Wolfgang Schaumberg : « la cause profonde réside dans le système économique actuel fondé sur le profit et la concurrence. On ne travaille pas pour satisfaire des besoins mais sous la contrainte de la course aux profits ». Le cercle vicieux du chantage, de la casse sociale , de l’augmentation du stress au travail et des fermetures de sites ne sera brisé qu’à la condition d’une contre-offensive commune des personnels de GM/Opel/Saab, VW et des autres producteurs d’automobiles.