« Les attentats du 16 mai étaient un cri de désespoir ressemblant aux milliers qui se jettent dans les bras de la mort pour traverser la mer et atteindre le rêve européen. Et ce n’est une coïncidence que les deux grands partis au Maroc et en Turquie portent le même nom ’justice et développement’, parce que c’est ce qui manque au musulmans dans leur monde. »
Marvine Howe, Morocco : the Islamist awakening and other challengers, Oxford University 2005, p. 357.
Est-ce la sécurité peut assurer la sécurité ? D’une autre manière, la sécurité au sens sécuritaire peut assurer la sécurité au sens sociale ? A quel point l’approche sécuritaire est suffisante pour affronter la violence du terrorisme et les menaces des extrémistes ? Et bien avant, de quel sécurité on parle, celle de la société comme l’annonce le discours officiel, ou celle du système ? Et quel est le souci mobilisant cette approche sécuritaire violente ? Est-ce le souci de préserver la sécurité sociale ou le souci de préserver l’existence du système politique marocain qui a peur de se disparaître ?
Le système politique marocain, en tant que monarchie autocrate absolue, s’appuie sur un ensemble de légitimités traditionnelles [1] qui ressource sa continuité et conserver sa nature traditionnelle, tel que le sacré, la généalogie chérifienne, la légitimité de l’histoire, le monopole de la légitimité de la violence symbolique et matérielle. Quant à la religion, elle préside la liste comme source légitimatrice jouant un rôle centrale dans le processus de la légitimation politique, qui nourrit le système monarchique absolu grâce aux éléments de la continuité et la capacité de se préserver. Voir que la religion et le seul fondement capable de réprimer sans qu’il soit discuté.
Pour cela, le règne au Maroc a eu recours au fusionnement des deux champs, politique et religieux, pour fabriquer sa légitimité religieuse ressortissante des traditions de la khilafat « succession » musulmane qui privilège l’institution de sultan puissant, détenteur du pouvoir, de la vie et de la mort, l’ombre de Dieu sur terre, il ordonne et les sujets doivent écouter et obéir, puisqu’il est « l’âme du corps » selon le lettré Mohammad Ibn Al Walid Attartouchi. [2]
Et si le système politique marocain adopte ses traditions, c’est à fin d’acquérir une assise qui lui permet la possession du pouvoir avec absolutisme et unicité sans partage, car, selon Bertrand Badie, (le code culturel islamique est avant tout moniste, exprime une aspiration profonde à l’unité, renvoyant à l’idée d’un Dieu unique) [3]. L’unicité du pouvoir lui évite le questionnement et la soumission au contrôle des gouvernés. Et c’est le fondement religieux qui justifie le pouvoir pastoral et le met en abri de ce controle. la main mise du politique sur le champ religieux comme un ensemble de choix symbolique qui caractérise l’espace du sacré est justifié par le désir du gouverneur d’aboutir à la suprématie politique et symbolique, en versant l’aspect de la sacralité sur ce qui est d’origine profane.
Dans cette optique, toute opposition est qualifiée comme un profane menaçant cette structure dite sacrée, ce qui fait réveiller la dichotomie
sacré / profane [4], et le choc qu’elle engendre d’une part et d’autre part la punition résultante de ce choc, légitimant le recours du pouvoir, qui se classe comme sacré, à la violence à fin d’éradiquer ce qu’il considère menaçant sa pureté par l’impureté.
Les systèmes répressifs sont de nature des régimes peureux, incapable d’établir des relations avec leurs gouvernés loin de la répression, la violence et la contrainte, et le minimum des degrés de confiance et d’amour mutuel sont totalement absente. On ne constate que la peur et le doute mutuels. Quant à la violence omniprésente dans ce paradigme est pour but le contrôle de la masse, l’évitement des imprévus de la colère massive, la garantie de la longévité du pouvoir, et la liquidation des forces opposantes ou concurrentes.
Dans ce cadre, se situe le rapport entre le système politique marocain, et les mouvements islamistes, surtout les extrémistes, crées par le système lui-même pendant les années 60 et 70, comme des murs protecteurs pour combattre, à l’époque, les mouvements de la gauche. Mais le monstre sera, plutard, confronté par les monstres qui les a créé [5]. Les mouvements islamistes vont émergés, et deviendront ambitieux visant le pouvoir. « L’islam politique » atteindra une place centrale dans le champ politique au Maroc, (Depuis les années 1990, l’islam politique occupe une place primordiale sur la scène publique marocaine. Les islamistes, par leurs revendications de participation politique, ont lancé à la monarchie un véritable défi) [6]. Karl Wittfogel explique cette situation en écrivant que l’Etat hydraulique, qui ne permettait aucune direction indépendante, qu’elle fut militaire ou économique, ne favorisait pas non plus la montée d’un pouvoir religieux indépendant) [7].
Ce qui a poussé la monarchie marocaine a rappeler, dans son discours après les attentats de 16 mai 2003 à Casablanca, que « les fonctions religieuses sont la spécialité de la grande commanderie que nous représentions ». Et dans le discours de la fête du trône de la même année, le roi a insisté sur
« L’inacceptation d’importer d’autres doctrines étrangères, opposantes à l’identité marocaine qui s’articule sur l’unification de la doctrine malikite ».
Le sociologue arabe Burhan Ghalioun, écrit « quand le discours de l’islam devient un discours d’Etat – c’est un défi au pouvoir –, ici, l’Etat doit avoir une vision politique, et des mécanismes de travail pour bouger contre l’acteur religieux, qui s’est transformé à un acteur actif » [8]. Cette activité islamique sera répandu dans tous les secteurs de la vie quotidienne, à travers des réseaux condensés des associations de l’aide sociale, qui se sont infiltrés dans le corps de la société, tirant leur force de la faiblesse et l’impuissance des politiciens d’accomplir leurs missions publiques.
La mouvance islamiste au Maroc s’est renforcée pendant la dernière décennie du 20 siècle et le début du 21 siècle. Cette mouvance a été couronnée par la participation de Aladala wa attanmia/Justice et développement au pouvoir à travers les élections législatives de 2002 et l’émergence du grand groupe Al-adl wa Alihssane /Justice et bienfaisances, massivement fort. Mais le sommet de l’activisme islamiste s’est manifesté par les attentas de 16 mai 2003. Le système politique marocain était giflé par l’infiltration des mouvements extrémistes dans son corps au point de le déstabiliser. Et donc, le Maroc quitte la « zone grise » où il était classé, la dedans, par Gilles Kippel. C’est une zone située entre le dialogue avec les éléments islamiques modérés et la pression sur les éléments extrémistes [9]. Les attaques de 16 mai ont changé radicalement cette donnée politique qui a distingué l’image du Maroc comme pays représentant la sécurité et la stabilité, loin de la violence terroriste « grâce » à l’existence de l’institution de la commanderie des croyants. Cette image écrasée poussera le système politique à adopter d’une part une approche sécuritaire dur, et d’autre part à installer une nouvelle stratégie de restructuration de la question religieuse.
Et la confrontation des islamistes ‘’ salafistes jihadistes’’, deviendra une bataille qui précédera toutes les batailles selon le discours royal de 29 mai 2003, après les événements, « le peuple trouvera son premier serviteur en tête pour confronter tout ceux qui veulent le faire reculer en arrière, et en avance pour guider à fin de gagner notre bataille contre le réactionnisme ». C’est une bataille contre ceux qui mis à l’épreuve l’islam de la commanderie des croyants, et plus même ils ont mis en doute sa fois, elle et son système. Ils ont désiré le pouvoir à travers le mécanisme du ‘’ jihade’’. Alors ils ont reçu le châtiment du système dans les ténèbres de ses centres de détention. Comme hier, la gauche était accueillie dans ses centres, aujourd’hui se sont les islamistes.
Et le mécanisme générateur d’accès à la détention s’est manifesté à travers « l’approche sécuritaire’ », qui n’est pas issue, seulement, du combat contre le territorienne, mais c’est une politique systématique, adoptée par le système depuis le règne de Hassan II, et le roi actuel a confirmé dans ses discours qu’il suit les pas de son père. L’approche sécuritaire n’est pas une politique nouvelle liée au terrorisme, mais elle représente la politique publique la plus efficace au Maroc, et le pouvoir veille bien sur sa mise à jour et le déroulement de ses effets, dans le besoin et le non besoin. Et le combat contre le terrorisme lui a ressourcé le souffle, c’est une occasion de renoncer à la petite marge de droits d’un coté, et d’autre coté de réprimer, de plus en plus, les libertés au nom de la préservation de la sécurité. Ici, apparaît, la problématique de mettre la sécurité en dichotomie avec les droits, les libertés et la justice, ce qui n’est pas logique, puisque cette dichotomie oppose la nature de ses concepts et que ses derniers ne peuvent se réaliser l’un sans l’autre ou l’un contre l’autre.
L’Etat marocain a couru sous la pression américaine, pour adopter la loi anti-terroriste, dans un temps record, après les attentas du 16 mai. Cette loi de nature exceptionnelle, terroriste en elle-même, est le générateur de l’approche sécuritaire-répressive, est son fondement juridique. Et selon cette loi, tout fait est vulnérable à être interprété comme fait terroriste, vu qu’elle contient une explication large des crimes terroristes, ce qui permet aux autorités une large liberté d’interprétation des faits et des expressions, la mobilisation et la véhiculation des accusations, tel que « atteinte à le sécurité interne et externe de l’Etat- Semer la déstabilisation ‘’la fitna’’… ». Cette loi a touché même les droits de la défense, on n’autorise pas le contact entre l’avocat et l’accusé, elle contient :
– Des sanctions sévères : la peine de mort, détention à vie, sanction de longues durées (30 ans – 25ans-…).
– Encourage la répression de la liberté d’expression. Et c’est le plus dangereux. N’importe qu’elle pensée interprétée comme germe réflexif du terrorisme, peut envoyer la tête qui l’a pensée en détention.
L’organisation Human Rights Watch a déjà noté dans un de ses rapports sur le Maroc en 2004 que ce dernier est entrain de violer les garanties fondamentales du jugement juste, et a attiré l’attention sur des recommandations, dont les principaux points suivants :
– Lever ses réserves concernant la convention contre la torture.
– Ne pas arracher des aveux sous la torture.
– Ne pas mettre en opposition le combat contre le terrorisme et les normes internationales des droits humains.
Mais ce qu’on constate, c’est que l’Etat marocain n’a pris en considérations ni les recommandations internationales ni locales. Depuis le 16 mai 2003, l’Etat marocain a déclenché une campagne aveugle de détentions, en commettant toute une liste des violations des droits humains tel que « les jugements non juste, les enlèvements, les accusations sans preuve, ne pas prévenir les familles des lieux de leurs fils détenus, les humilier pendant les visite de la prison, arracher les aveux sous la torture, l’inspection humiliante des détenus et de leurs familles, la situation affreuse des prison, la déportation forcées des détenus à d’autres prison loin de là ou leur famille habite, les déporter au sections des prisonniers de droit commun, les jugements sévères… » [10].
Le résultat : des grèves générales de la faim dans les prisons, des lettres de secours et des communiqués dénonçant la torture qui s’exerce dans les centres de détention et aux prisons, les tentations de fuite et les fuites réelles de l’enfer des prisons, les menaces de continuer la confrontation et les attentats [11]. Malgré tout cela, l’Etat marocain continue son terrorisme, non seulement contre les « jihadistes’ » mais contre les militants des droits humains, les journalistes, les syndicalistes, même contre les étudiants universitaires … profitant du combat contre le terrorisme des groupes pour exercer le terrorisme d’Etat. Le rapport d’Amnesty international en 2008 a bien noté le recul affreux du Maroc en matière des droits et des libertés, ce qui dévoile le dualisme du mensonge des discours et la violence des actes, adopté par le système politique marocain.
Ce résultat parait logique et cohérent avec la réalité politique et sociale du pays. Il n y a pas un vrai projet sociétale, ni une vrai volonté pour garantir les droits et les libertés et de dépasser les pratiques du passé. La preuve c’est l’approche sécuritaire qui coule dans un sens uni, la protection du système politique d’une part, et d’autre part lui outiller pour se débarrasser de ses opposants et concurrents. C’est une approche qui ne s’intéresse guerre à la sécurité de la société, elle est destinée pour préserver la sécurité du système politique et son existence. Le rapport « L’indice mondial de la paix et la stabilité’ » de 2008 a mentionné, de son coté aussi, le recul du Maroc du classement 48 au classement 63 au niveau de la paix et de la sécurité. C’est une approche sécuritaire purement policière et répressive. Elle n’était pas accompagné par une approche sociale afin de sauver la société de sa misère et de couper le terrorisme de ses racines (qui ne sont que la répression et les injustices sociales), et si c’était le cas, le Maroc n’aller pas reculer au classement 126 en matière de développement humain.
La société marocaine actuelle est une société titubante entre le suicide et l’explosion, entre l’explosion de la colère en corps à corps avec l’Etat comme le font "les jihadistes’’, ou la confrontation de l’Etat à travers les révoltes de
la faim, la guerre des rues des diplômés chômeurs et l’explosion de la fureur en soi tel que les tentations de suicide en lieu public de quelques groupes des diplômés chômeurs ; plonger dans le monde du crime, la délinquance, la prostitution, la drogue …, le combat quotidien pour un morceau de pain sec à l’ombre de la flambée des prix, et les inégalités frappantes entre classes, la survie désespérée, la fuite vers le Nord sur les barques de la mort ou la fuite des cerveaux … La survie désespérée, et personne n’écoute, personne ne répond, sauf les mécanismes de la contrainte et la torture, ce qui rend une société compartimenté, souffrante du poids lourds des injustices sociales, un champ fertile pour produire plus de terrorisme.
L’approche sécuritaire/securitariste, les détentions, les répressions ne traiteront ni le phénomène du terrorisme ni les problématiques sociopolitiques et économiques qui ont engendré le terrorisme et les terroristes, tant qu’il n y a pas à coté une approche sociétale respectant les normes internationales des droits humains, pour pouvoir écouter les douleurs de la société, comme le font les mouvements islamistes en exploitant ses peines afin de réaliser leur projet politique.
En fin, je reprends ma question de départ, est-ce que la sécurité peut assurer la sécurité ? Ma réponse est Non. La sécurité n’assurera guère la sécurité, car il n y a pas de sécurité avec le despotisme, la faim, l’ignorance, la répression…