NEW DELHI CORRESPONDANT
Dans le mélange de menaces, de bruits de bottes et de gestes d’apaisement, il est difficile d’y voir clair dans le tableau indo-pakistanais brutalement redessiné par l’assaut terroriste sur Bombay, fin novembre 2008. La relation entre les deux Etats rivaux, nés de la sanglante partition de l’Empire britannique des Indes, est entrée dans une profonde crise sans que l’on sache, à ce stade, si le risque d’un nouvel affrontement militaire - il y en a déjà eu quatre (1947, 1965, 1971, 1999) - est à prendre au sérieux.
Faut-il, par exemple, s’inquiéter de l’annonce de renforts de troupes pakistanaises à la frontière avec l’Inde ? Annoncés le 26 décembre de source militaire pakistanaise à Islamabad, ils sont bien réels. Les Indiens confirment. « Ils sont arrivés à la frontière orientale avec l’Inde », a assuré, mercredi 14 janvier à New Delhi, le général Deepak Kapour, chef d’état-major de l’armée indienne.
Depuis la fin décembre, les services de renseignement indiens ont repéré du mouvement autour du 4e corps d’armée, basé à Lahore, le chef-lieu du Pendjab pakistanais, situé à 25 km du poste-frontière d’Attari. Deux de ses divisions (la 10e et la 11e) se sont approchées à une dizaine de kilomètres de la frontière. Les Indiens ont également constaté que les unités pakistanaises fortifiaient leurs bunkers édifiés le long des canaux d’irrigation alimentés par les affluents du fleuve Indus. De son côté, l’armée indienne a dépêché vers la frontière deux corps d’armée (le 2e et 10e), tout en assurant qu’il s’agit d’un exercice.
Cette poussée de fièvre inquiète au plus haut point les Américains. Car les renforts pakistanais sont puisés parmi les troupes déployées le long de l’autre frontière - l’occidentale -, que partagent le Pakistan et l’Afghanistan. Au cœur de ces zones tribales pachtounes récalcitrantes, les unités pakistanaises sont censées mener le combat contre les groupes talibans et leurs alliés d’Al-Qaida.
LUTTE CONTRE LE DJIHADISME
Tout transfert d’une frontière à l’autre affaiblit fatalement la lutte contre l’une des sources du djihadisme international. La 14e division - appartenant au 2e corps - se désengage de la zone tribale de Bajaur, où des violents combats se déroulent depuis l’été 2008. Cette division était engagée dans ces opérations.
Selon le quotidien pakistanais The News, des unités sont également en train de quitter le Nord-Waziristan, d’où des opérations avaient été lancées vers le Sud-Waziristan contre le fief de Baitullah Mehsud, chef du mouvement Tehrik-e-Taliban-e-Pakistan (TPP), qui fédère tous les groupes talibans au Pakistan. Des retraits identiques sont observés dans la zone tribale de Mohmand.
Près de 75 000 hommes étaient déployés sur la frontière afghane. On ignore dans quelle proportion le redéploiement actuel va dégarnir ce dispositif. Selon certains experts, il pourrait amputer les effectifs des deux tiers. Certes, l’impact n’en serait pas radical, car les combats contre les talibans étaient d’avantage menés par les forces paramilitaires des Frontiers Corps que par les unités de l’armée régulière qui, en général, restent dans leurs casernes. Mais l’effet psychologique sur le moral des insurgés talibans pourrait être considérable.
La diplomatie américaine est mobilisée pour éviter une telle dérive, hautement préjudiciable à la stratégie antiterroriste de Washington. A New Delhi et à Islamabad, les envoyés américains se sont succédé pour faire baisser la tension. Est-ce la raison du relatif apaisement observé ces derniers jours sur le front diplomatique ? Le premier ministre indien, Manmohan Singh, a adressé au président pakistanais, Asif Ali Zardari, et à son premier ministre, Youssouf Gilani, ses voeux pour la nouvelle année, qu’il souhaite placée sous le signe de la « paix et la prospérité ».
De plus, les Indiens ont consenti, jeudi, un geste significatif en cessant d’exiger qu’Islamabad leur livre les auteurs de l’assaut de Bombay. Le ministre des affaires étrangères indien, Pranab Mukherjee, a déclaré que New Dehli se contenterait d’un procès au Pakistan, à condition qu’il soit « juste » et « transparent ». C’est un blocage à la reprise du dialogue qui vient de sauter.