● Qu’est-ce que la désobéissance pour vous ? Les Faucheurs volontaires ?
Alain Refalo – Je parle de désobéissance pédagogique, pas civile ! Je refuse de mettre en œuvre certains aspects des nouveaux programmes. L’aide personnalisée touche le rythme scolaire des enfants, par exemple. Les évaluations par élève, qui doivent être communiquées régulièrement, ne sont pas bonnes. Je fais une objection de conscience à mettre en œuvre ces nouvelles mesures. Je refuse l’évaluation chiffrée, j’ai des systèmes plus nuancés que « oui » ou « non » pour juger d’une acquisition chez un enfant. D’une manière générale, je m’oppose à cette vision comptable de l’éducation. Quand je dis « la coupe est pleine », je pense à la suppression des IUFM (ce qui signifie leur absorption par les universités et la fin probable du Capes comme on l’a connu), des postes de Rased (enseignants qui suivent les enfants en difficulté)…
● Avez-vous déterminé votre action seul ?
A. Refalo – Au départ, j’ai réalisé la lettre tout seul, mais j’avais créé auparavant le blog « Résistance pédagogique ». Je ne suis pas syndiqué, même si le Snuipp 31 m’a épaulé. D’ailleurs, j’ai le soutien de tous les syndicats dans mon département. À partir d’un acte personnel, une action collective s’est mise en marche contre les suppressions de postes, alors que des heures supplémentaires sont proposées, les programmes qui constituent une régression sans précédent, les stages de remise à niveau, qui sont scandaleux et démagogiques, cette instruction civique aux relents passéistes. Je suis un militant non violent. En 1983-1984, j’ai été objecteur de conscience et j’ai participé aux combats antinucléaires. J’appartiens au Mouvement d’action non violente et je participe à la revue Alternative non violente, avec Jean-Marie Muller. Dans ma classe, j’adopte aussi cette ligne de conduite non violente.
● Vous parlez d’un ras-le-bol de la grève traditionnelle…
A. Refalo – Je participe aux grèves, mais le gouvernement actuel est prêt à l’affronter, car il a tiré les leçons de décembre 1995. 85 % d’écoles en grève n’ont pas fait bouger le ministre. Quant à la nouvelle génération, elle est critique envers cette forme de lutte. Est-ce l’échec de 2003 qui empêche les gens de lutter aujourd’hui ? Ne faut-il pas imaginer de nouvelles formes de lutte ? Je vois l’échec de la grève traditionnelle ; j’ai donc imaginé une autre forme de combat, inspirée de la non-violence. Remarquez bien qu’il est demandé aux enseignants de se déclarer gréviste 48 heures avant la grève, afin que le service minimum d’accueil puisse se mettre en place. En conscience, je ne me déclarerai pas gréviste à l’administration et j’informerai les parents trois jours avant de mon intention de faire grève.
● Vous faites référence à Philippe Meirieu dans votre lettre ? Qui est-il ?
A. Refalo – Philippe Meirieu est professeur en sciences de l’éducation, et auteur d’ouvrages sur la pédagogie (notamment Pédagogie, le devoir de résister). Il est vilipendé aujourd’hui car ses idées auraient signé l’échec de l’éducation de ces vingt dernières années, alors que rien de ce qu’il propose n’a été mis en œuvre. J’ai reçu son soutien depuis la publication de la lettre.
● Quelle a été la réaction des parents ?
A. Refalo – Après la publication de la lettre, les parents de ma classe ont organisé une réunion dont la conclusion heureuse a été de rédiger une lettre de soutien à mon endroit. J’ajoute que, à la rentrée, je leur avais expliqué que je refuserai les nouveaux programmes. La brochure du ministère, de 95 pages en A5 destinée aux parents, que j’ai distribuée, me semble être un moyen de surveillance tourné contre les enseignants. Et quel prix a-elle dû coûter puisque chaque élève en recevait une ? J’ai besoin du soutien des parents pour la décharge et que, par conséquent, ils cautionnent une action désobéissante.
● Et vos collègues ?
A. Refalo – Une collègue de mon établissement m’a suivie. Mes collègues ont été interpellés par l’audace de ma démarche. Je garde tous mes élèves jusqu’à la 26e heure, en travaillant différemment. Je pense qu’il ne faut pas stigmatiser des élèves en les retenant le soir, alors que d’autres rentrent chez eux. À Montaigu, en Vendée, 35 enseignants ont signé une lettre de désobéissance et 124 autres à Marseille. Dans la région de Pau, ce sont les parents qui ont pris le relais et, en Isère, quinze enseignants en méthode Freinet ont écrit aussi à l’inspectrice. De toute la France, des individus envoient des lettres à leurs inspecteurs. Il faut noter, sur le blog « Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école », l’appel des enseignants qui s’opposent au démantèlement de l’école et qui lancent un signal fort, pour construire un mouvement durable à la suite de ces actions individuelles.
● À quand la désobéissance des inspecteurs ?
A. Refalo – Une prise de position des inspecteurs, ce serait extraordinaire ! Certains syndiqués ont déjà écrit à leur ministre pour lui faire part de remarques. Dans le Val-d’Oise, ces inspecteurs redoutent le manque de sérénité due aux annonces intempestives de Xavier Darcos.
● Qu’est-ce que vous risquez ?
A. Refalo – L’inspecteur m’a convoqué à deux entretiens, où j’ai dû faire « une explication de texte », qui confirmait que j’étais bien l’auteur de la lettre. J’ai refusé de signer le compte rendu. Puis, plusieurs visites dans ma classe ont permis de constater ma désobéissance. Maintenant, j’attends, mais nous sommes chaque jour plus nombreux.
• Mardi 9 décembre, Bastien Cazals, directeur de l’école maternelle Louise-Michel de Saint-Jean-de-Védas (Hérault) était condamné pour sa désobéissance : huit jours de retrait de salaire pour n’avoir pas mis en œuvre l’aide personnalisée.